Loin des injonctions à être heureux, Bonheurs du jour vous fait l'effet du lait chaud sucré, d'une brise de printemps dans les cheveux, ou des papillons dans le ventre produit par les mouvements de la balançoire.
C'est tout petit, c'est doux, ça fait du bien.
Comme le petit meuble du même nom, chaque tiroir s'ouvre sur un petit secret qu'on savait mais qu'on avait oublié.
Se lit sur la terrasse d'un café avec un petit vin blanc et 4 olives en observant le monde, en marchant dans la rue en ignorant le monde, seul avec son thé et son chat mais quoiqu'il en soit, se lit.
Merci Mr Augé, tous vos délices ont mis en exergue les miens et c'est savoureux.
De quoi parle ce livre ? Pas du bonheur mais des bonheurs".
"Bonheurs" et pas "bonheur" parce qu'il parle de tous ces petits trucs qui nous rendent heureux par des moments. Et dont parfois on ne se rend pas compte ou alors qu'on se rend compte quand on le perd.
Un exemple qu'il cite est juste même la "liberté" de marcher qu'on perd quand on est hospitalisé. Après, il y a les rencontres, les chansons, manger tout simplement, ...
Si on veut une liste un peu plus exhaustive, un livre qui complète bien celui ci est "Le sel de la vie" de Françoise Héritier.
Marc Augé est un des écrivains dont j'ai toujours plaisir à lire. Il fait partie de ces auteurs qui ont déjà dépassé les 80 ans et qui continuent à réfléchir sur le sens de la vie. Qui ont de quoi être fier de ce qu'ils ont accompli mais qui restent très modestes, pas du tout narcissiques. Quelques uns de ses livres sont plus difficiles mais lire Marc Augé n'est jamais une perte de temps.
L’humanité ne se divise pas entre heureux et malheureux. Sans doute la catégorie du malheur est-elle plus immédiatement sensible à chacun car les malheurs soudains s’abattent avec la brutalité indifférente de la nature : l’éloignement d’un être aimé, temporaire ou définitif, est plus fortement ressenti, parfois, que l’amour que nous lui portions ; ou plutôt c’est à la douleur que nous inspire la certitude d’être privé à jamais de sa présence que nous mesurons l’importance qu’elle revêtait dans l’ordinaire de notre existence. C’est pourquoi la perte d’un être aimé entraîne souvent un sentiment de remords. Nous nous remémorons certains instants d’intimité que nous sommes peut-être les seuls à revivre intensément, dont nous ignorons si l’autre, définitivement disparu de notre vie, en a gardé la trace, mais dont nous savons, si cet autre est mort, que désormais ils nous laisseront définitivement seuls face aux caprices de la mémoire
La certitude d’être heureux passe par la rencontre de l’autre, mais on sait aussi que l’amour est mortel, qu’il ne peut se maintenir longtemps dans l’état d’incandescence dont l’éclat illuminait soudain le monde extérieur et non pas seulement le visage de l’être aimé. L’amoureux regarde les autres, la vie et le monde, pour un temps, avec des yeux neufs. Il vit intensément, il se sent vivre. « C’est pour ces rares instants qu’il vaut la peine de vivre », écrivait Stendhal dans Lucien Leuwen. L’amour, c’est donc l’épreuve combinée de l’autre et du temps. Et il y a quelque chose de cette double épreuve dans l’acte d’écrire – acte d’amour, en ce sens, preuve de vie et élan vers un autre indéterminé, mais irrémédiablement présent dans la conscience de celui ou celle qui écrit.
Les bonheurs malgré tout, les bmt, seraient-ils en définitive des bonheurs passés, des souvenirs embellis par le temps ? Oui et non. Ce sont des instants qui, à l’inverse de l’ordinaire du temps, se gravent dans la mémoire de façon consciente ; ils tiennent au corps, ils ont mobilisé tous les sens ; d’entrée on sait qu’ils seront toujours disponibles. Ils ne sont pas soumis, comme la madeleine de Proust, au déclic d’une sensation retrouvée ; le flux de sensations qui les accompagne – mieux vaudrait dire qui les constitue – ne s’est jamais tari, n’a jamais disparu pour ressurgir à l’improviste.
Boire un café ne nous procurait pas toujours une satisfaction particulièrement intense, nous informer de l’actualité encore moins, mais il suffit d’être privé un temps de ces petites libertés pour en apprécier le prix et en éprouver le besoin : notre revendication se fait alors plus modeste et plus essentielle à la fois ; comme si nous prenions brusquement conscience du fil ténu qui reliait la suite de nos jours et nous aidait à vivre.
Les bonheurs fugitifs sont des révélateurs : c’est quand ils disparaissent que leur nécessité nous saute aux yeux. Cloués sur un lit d’hôpital, nous mesurons le prix de la moindre promenade en ville. Au-delà, ils nous disent quelque chose du lien social et de la solitude, du passé et de l’avenir. Quelque chose aussi de l’inégalité actuelle des destins : les migrants sans espoir de retour connaîtront des moments de bonheur peut-être, mais seront condamnés à ne vivre que l’avenir, condamnés à l’héroïsme en quelque sorte.
Combien y a-t-il de leçons sur la psychanalyse selon Freud ?