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Critique de JeanLouisBOIS



Invisible, est, semble-t-il, l'histoire troublante d'Adam Walker, jeune étudiant de la Columbia, poète et traducteur de sombres oeuvres. Alors qu'il somnole à moitié dans une soirée dans laquelle il a été invité, il fait la rencontre de deux étranges énergumènes : Margot, une fille silencieuse mais très attirante, malgré son « "regard perdu dans le vide, comme si sa principale mission dans la vie consistait à avoir l'air de s'ennuyer" », et Born, un homme qui semble n'avoir peur de rien. Tous deux, formant un couple incongru, lui laissent une drôle d'impression, qui sera bien vite confirmée lorsque Born lui propose, alors qu'ils ne se connaissent que depuis quelques jours, de gérer un magazine littéraire que Walker pourra diriger – et Born le financera intégralement. Un mécénat dont la finalité lui échappe.

Mais bien vite, Walker prend conscience de la tournure que prennent les événements : Margot et Born projetteraient-ils de l'intégrer dans un ménage à trois ? Et puis, au-delà de cette ambiance un peu malsaine à la Les Liaisons Dangereuses, un meurtre imprévu vient sceller cette « "communauté de destins placés sous le signe du désir charnel et de la quête éperdue de justice" » (cf. 4ème de couv'). En effet, lors d'une promenade près de Riverside Park, Born blesse de sang froid un jeune noir qui tente de les racketter. Lorsque Walker revient sur les lieux de l'incident alors qu'il est parti chercher des secours, Born a disparu, ainsi que l'agresseur agressé. L'étudiant reste alors convaincu que son mécène a assassiné le racketteur sans autre forme de procès.

L'histoire commençait à vous plaire ? Vous aviez l'impression d'être plongé au début d'un bon thriller inquiétant ? Alors, vous tournez la page, pour vous rendre compte que tout ça n'était que foutaise. En réalité, il s'agit du premier chapitre d'une autobiographie d'Adam Walker, que ce dernier a transmis à Freeman, un ami d'université de longue date, devenu un romancier reconnu. Ce chapitre est reproduit, c'est celui qu'on lit en première partie d'Invisible. Il ouvre la voie à la deuxième, qui traite en fait du lien d'amitié qui s'installe entre le vieil Adam Walker (car entre l'histoire de la première partie et celle de la deuxième, 40 ans ont passé et Walker est très malade) et Freeman, ce dernier le conseillant quant à la deuxième partie de l'autobiographie qu'Adam écrit, et sur laquelle il bloque. Grâce à ce soutien, Walker parvient finalement à la mettre en forme, en se rendant « invisible » à lui-même, c'est-à-dire en prohibant le « je » pour parler de lui, et en lui préférant le « tu », marquant ainsi une distance avec lui-même qui lui permet de débloquer ses peurs et inhibitions. Ce second chapitre, reproduit dans le récit, narre les terribles relations d'Adam avec sa soeur Gwyn…

L'histoire commençait à vous plaire ? Vous aviez l'impression… bref, on ne va pas vous la refaire, mais là encore, bouleversement : on croyait qu'Auster nous emmenait quelque part, eh bien non, on rebrousse chemin, et on en revient à ce meurtre commis quarante ans plus tôt, avec une histoire cette fois rédigée par Freeman, à la troisième personne (Walker), à partir des notes que ce dernier lui aura confié avant sa mort.

Et puis, on apprend que l'histoire n'est pas à cent pour cent vraie, Walker n'est pas Walker, Born n'est pas Born, Freeman n'est même pas Freeman. Il faut bien protéger les individus impliqués dans cette sombre affaire. Et puis Gwyn dément les propos tenus par son frère. Dès lors, quelle valeur accorder à la certitude d'Adam de la culpabilité de Born dans le meurtre de Cédric Williams, le jeune noir qui les avait racketté quarante ans plus tôt ? Est-ce une invention, son autobiographie est-elle à ce point romancée ? Freeman enquête alors, et on croit avoir le fin mot de l'histoire en lisant le journal intime de Cécile, la fille d'Hélène, qui fut très proche de Born pendant les années qui suivirent l'incident de Riverside Park… Born a-t-il VRAIMENT assassiné quelqu'un ?

C'est peut-être la question essentielle du livre. Mais au-delà même de la trame, il y a la construction du roman. Ou la déconstruction. En tous cas, une structure dont l'intérêt dépasse la trame même.

Auster joue avec nos nerfs dans son laboratoire des mots. Journal intime, lettres, extraits d'autobiographie, de poèmes sont autant de tubes à essais que le docteur ès lettres Auster distille et mélange afin de parvenir à des composés chimiques pour le moins explosifs – mais stables. Car au final, tout tient parfaitement, l'expérience est réussie. Il faut dire que le brevet était déposé depuis le tome 2 de la trilogie new-yorkaise, « Revenants » (1988), alors notre docteur a eu le temps de s'entraîner. Avec Seul dans le noir, Auster avait également imbriqué dans son récit deux histoires, et mis en abîme le roman, mais Invisible est un exercice de style qui transcende ses tentatives passées.


Auster nous manipule jusqu'au bout, nous tient par la main, nous lâche quelques instants, nous laisse faire nos premiers pas dans le livre, nous laisse croire qu'on arrivera à marcher seuls, et puis on s'effondre au bout de quelques enjambées, et voilà qu'il nous reprend par la main, et nous emmène ailleurs, et cela recommence encore et encore…

Un roman qui se met en abîme, des histoires qui partent dans tous les sens mais finement imbriquées les unes dans les autres, et les obsessions d'Auster exacerbées (la relation de l'auteur à son oeuvre, la solitude, New York…). Tout y est pour faire de ce nouveau roman un véritable page-turner.

Le globe-lecteur.
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