« Il me semblait que si je m'abandonnais au chaos de l'univers, l'univers me révèlerait peut-être en dernier ressort, une harmonie secrète, une forme, un plan, qui m'aideraient à pénétrer en moi-même ».
Marco Stanley Fogg se cherche. Certes, il n'est pas le premier jeune adulte à hésiter sur la manière dont il va conduire sa vie, préférant se laisser porter par le quotidien plutôt que de foncer et jouir de ses opportunités. Mais avec un prénom placé sous la double bienveillance de deux illustres explorateurs, on en espérerait davantage d'audace.
Orphelin de père à la naissance, puis de mère il y a peu, Fogg regarde passer la vie, et à travers les deux fenêtres de son studio new-yorkais, la vie qui vibre sur Broadway où se détachent les lettres du
Moon Palace, restaurant dont les deux « O » en néon semblent être le regard de Dieu. Et il s'en satisfait : « C'est tout ce que je mérite : j'ai créé mon néant, il me faut maintenant y vivre ».
Point de départ de cet incroyable roman initiatique d'un jeune homme à la limite de toucher le fond,
Paul Auster – traduit par Christine le Boeuf – nous embarque dans la révélation au monde (et à lui-même) de Fogg par le biais de rencontres plus salvatrices les unes que les autres, pour rattraper le passé douloureux de ces gens « qui se sont trouvés aux bons endroits mais aux mauvais moments ».
Rencontres avec l'oncle Victor, musicien fantasque ; avec Effing, l'acariâtre vieillard ; avec Barber, gargantuesque collectionneur de chapeaux. Sans oublier Zimmer, Kitty, Scoresby, Byrne ou Mme Hume, personnages « secondaires » aux rôles pourtant essentiels. Autant d'étapes qui vont faire progresser Fogg dans son histoire familiale et dans son parcours de vie.
Des rencontres, et de l'amour : « J'avais sauté de la falaise et puis, au tout dernier moment, quelque chose s'est interposé et m'a rattrapé en vol. Quelque chose que je définis comme l'amour. C'est la seule force qui peut stopper un homme dans sa chute, la seule qui soit assez puissante pour nier les lois de la gravité ».
Mais le plus chez Auster, c'est sa capacité à introduire dans sa trame de multiples dimensions parallèles, qu'il déroule sans jamais se perdre.
Moon Palace est aussi un délicieux voyage au coeur des États-Unis, à travers New-York bien sûr, mais aussi Boston, l'Utah ou la Californie.
Et l'on y retrouve les autres thèmes favoris du grand Paul : la littérature, avec quelques clins d'oeils appuyés aux auteurs français (
Flaubert,
Montaigne, Rostand…) ; la musique avec ici, la clarinette fétiche, dernière possession d'un Fogg démuni ; les sciences avec
Nikola Tesla, défenseur controversé du courant alternatif.
Quant au style, c'est un régal d'érudition enrobée de fluidité. Assez dense (quasiment aucun dialogue et des blocs de textes compacts sans retours à la ligne ni aérations), le texte ne se laisse pas facilement aborder. Puis la magie opère, et au fil des pages, l'esprit trouve son rythme et l'intérêt se développe crescendo, jusqu'au dernier tiers où le livre devient difficile à lâcher.
Et si « le soleil est le passé, la Terre est le présent, la Lune est le futur », l'océan qui accueille Fogg à la fin du livre symbolise à coup sûr l'espoir, l'immensité de tous les possibles, car comme le rappelle Auster citant Verne (tiens, encore un Français), « Rien ne saurait étonner un américain ».
Une lecture forte donc, que je vous souhaite de lire à votre tour si, comme pour moi, un astre bienveillant la pousse jusqu'à vous : un grand merci Stéphanie !