À quoi servent les mots et les gestes si l’on est incapable de sauver les innocents ?
Des marchands de bonheur prospéraient sur le malheur des contemporains. La grande dépression attirait les vautours. Psychiatres, médecins, neuropsychiatres : les morticoles occupaient l’espace. Pareils à ces parfums d’intérieur que l’on avait mis dans les toilettes, puis dans tous les coins des maisons. Ils nous donnaient des recettes pour vivre « heureux », « contents », pour guérir du stress.
On n’aime qu’une fois. L’amour, c’est une fois pour toutes tout l’amour du monde. Ça ne brûle qu’une fois, ça ne se recharge pas.
La nostalgie est une méchante maladie. Subrepticement, les souvenirs reviennent, à la faveur d’une lumière, d’un instant, d’un reflet de soleil dans un regard ou des cheveux, mais on ne vit pas sur les tendres stocks des jours heureux. Ce sont des poisons qui vous détruisent à la manière d’une drogue dure distillant une euphorie aussi volatile que dangereuse.
Les jolies choses et les sentiments purs flottent ailleurs, dans cette recomposition de nos vies antérieures passées au filtre de la mémoire. Ils y vagabondent avant d’être avalés par un trou noir, celui de l’oubli qui garantit une chance de survie en extirpant de nos cœurs ce qui les faisait battre si fort.
L’amour, évidemment, aurait tout résolu. Même dans ses eaux les plus troubles, la passion comporte des parts de vérité. Cette vérité qui incendie et apaise dans un seul élan. Notre regard est alors nettoyé des poussières qui le polluent à l’accoutumée. Il porte loin et clair. Une caresse inédite, une pression de la main, un sourire qui gagne les yeux peut suffire. Par la grâce de quelques gestes insignifiants, d’une phrase simple prononcée et recueillie dans son éclat originel, tout s’éclaircit. Les choses et les êtres redeviennent nus, limpides.
Chacun pour soi et tous contre tous : une morale de ce genre guidait les comportements. Il faudrait apprendre à vivre seul et à sortir le couteau ou le flingue au bon moment.
La vie est une lutte. Avoir beaucoup d’argent ne fait pas disparaître le combat, ni l’angoisse ; ça rend au contraire les choses plus compliquées. Si vous restez pauvre, la lutte est plus simple.
Les mœurs et les mentalités avaient changé. On ne cultivait que l’avarice, les intérêts bien compris, et derrière eux la haine de la vie.
Les grandes peines comme les grands bonheurs préfèrent être muets.