Challenge ABC 2016-2017
Il y a moins d'un an, j'embarquais mes godasses de rando, destination la Patagonie, Ushuaïa et le canal de Beagle, au bout du bout du monde.
Le 26 mars 1880, Emily, seize ans et orpheline, charge sa « petite malle sur la diligence de Glasgow, en route vers le Nouveau Monde ». Destination : Ouchouaya, à l'époque petite mission évangélisatrice composée de quelques catéchistes, implantée au milieu des Indiens Yamanas.
A l'arrivée, la foudre a frappé, tant pour moi que pour Emily. Les montagnes, la mer, les glaciers, les arbres pliés par le vent, la végétation rare mais tenace, les sommets enneigés, le soleil, la pluie, le ciel... On ne peut résister à cette beauté intimidante, parfois flamboyante, parfois glaciale, fascinante.
La comparaison s'arrête là, j'en suis revenue après trois semaines de voyage, Emily ne sait pas combien d'années elle y passera. Mais peu lui importe, avide de nature et d'indépendance, elle a choisi de se lancer dans cette aventure. Destinée au poste de gouvernante des enfants du pasteur d'Ouchouaya, elle découvre les Yamanas, les « sauvages », qu'elle trouve tout d'abord hideux. Ceux-ci se sont regroupés autour de la mission, travaillant pour les colons – pardon, les missionnaires, contre de la nourriture et des vêtements, quitte à abandonner leur mode de vie ancestral et à oublier leurs techniques de pêche. de cours d'anglais en distribution de chiffons, Emily apprend à connaître et à apprécier les Yamanas. Surtout Aneki. La foudre frappe à nouveau, mais l'histoire est impossible et s'achève inévitablement en drame.
Au-delà de cette histoire d'amour improbable, il s'agit surtout de la confrontation entre « état de nature » et « civilisation », qui tourne au profit de cette dernière. Avec ses bons sentiments, son « progrès », ses maladies, son alcool, sa surexploitation des ressources ou, au besoin, sa puissance de feu, elle anéantit les rares velléités de résistance des Yamanas, mais aussi des Onas ou des Alakalufs, aboutissant, en quelques décennies, à une extermination presque totale.
Désabusé, ce plaidoyer pour un respect de la Nature montre l'attachement de l'auteur pour cette mythique Terre de Feu, faite aussi d'eau et de vent, et ses doutes pour l'avenir d'Ushuaïa, « ville-pieuvre », qui repousse ses pauvres « en haut dans des taudis qui mitent les bois des collines ».
Il y a moins d'un an, je traînais mes godillots autour d'Ushuaïa, émue par les paysages grandioses, malgré les glaciers qui reculent et qui menacent l'approvisionnement en eau d'une ville qui ne cesse de s'étendre. Quel gâchis... Et comme il est étrange de lire que, pour les Yamanas, le blanc est la couleur du malheur...
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