Twitter, Facebook, tous les frustrés de la terre auront un avis, et c’est tellement bon d’enfoncer quelqu’un qu’on a adoré.
L'examen de conscience, la fierté du travail accomplî, les efforts justifient leur humanité, les distinguent des animaux simples prédateurs, les éloigne de cette vie des cavernes qu'ils ont quelquefois l'impression de mener. Singer la société, c'est encore y appartenir.
Un matin, il pleut des trombes, ils se votent un répit, mais en début d'après-midi le temps dégénère et une forte tempête secoue la base. Le vent rugit, gémit, s'enrage. Les vieilles tôles semblent prendre vie et grondent comme des tambours qui se répondraient l'un à l'autre avec l'avancée des rafales. De temps à autre, un long craquement indique que l'une d'entre elles a cédé, ravageant un peu plus le village perdu. Ils se cloîtrent au « 40 », toussotant dans la fumée du poêle qui refoule. La pluie est si dense qu'elle forme un écran quasi palpable devant la fenêtre. Le monde a disparu, leur refuge est une île dans l'île, un fragment de nuage au sein duquel ils flottent. Plus rien n'existe, ni terre, ni hommes, ni plantes ni animaux, pas même la mer. Ils ne sont que tous les deux, dans ce cœur tonitruant de l'ouragan.
L’odeur ne ment pas. Celle de cette nuit lui dicte de fuir, de repousser Ludovic, tout de suite.
Dans les grands moments, pense Louise, l’humain est seul. Devant la vie, la mort, les décisions suprêmes, l’autre ne compte plus. Elle doit l’oublier et juste vivre. C’est son droit le plus absolu, c’est son devoir envers elle-même.
La nuit est toujours aussi noire et calme. Seul couve l’œil rouge du poêle qu’ils n’éteignent jamais. C’est son tour d’y veiller. Ludovic ne va donc pas s’alarmer, dans son sommeil, qu’elle se lève et fourgonne dans la pièce. Elle récupère sa veste et ses chaussures, l’un des couteaux les mieux affûtés, balance une seconde avant de saisir le briquet, puis l’empoche. A tâtons elle attrape le carnet, le stylet, l’encre et une bougie qu’elle allume avant de recharger le feu.
Dans l’atelier, elle griffonne :
« Je pars chercher du secours. Je reviens au plus dans une semaine. »
Elle ne sait plus si cette dernière phrase est vraie, elle voudrait le croire, ou au moins faire semblant.
Elle hésite et ajoute :
« Prends soin de toi, je t’aime. »
A ce moment précis, elle ne l’aime pas. Il lui est même indifférent, mais elle a pitié de lui. Son départ va le dévaster. Elle lâche ce dernier mot comme une aumône. (p. 129-130)
Un soleil hypocrite fait étinceler les gouttes d'humidité comme des myriades de diamants. En arrière-plan, la plaine fume légèrement. Des otaries et des éléphants de mer se prélassent en bâillant de plaisir. Il regarde autour de lui et pense que rien, pas un vol d'oiseau, pas une vague, pas un brin d'herbe, rien ne changera s'ils disparaissent ici.
Être soudain, seuls.
Passer de la société du tout à celle du rien.
Être isolé à l'heure de la communication mondialisée.
Faire face à une nature hostile.
Réapprendre des intuitions ou des gestes ancestraux.
Son dilettantisme provoque les soupirs de ses professeurs : "N'exploite pas ses possibilités" revient en antienne dans les bulletins scolaires. Bon an mal an, il a terminé une école de commerce où il était plus assidu à la bière et au pétard qu'aux amphis.
Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur.
Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé.
p212
Ils ne sont pas seulement abandonnés sans feu ni lieu, ils sont condamnés l’un à l’autre, l’un avec l’autre, ou l’un contre l’autre. Quel couple résisterait à ce genre d’enfermement ?
Enfant, elle se rêvait en héroïne. Mais la vie se moque des songes. Sa part d'ombre l'a fait grandir. Elle n'est plus la "petite".