Françoise Autrand a fait le point, à la suite de
Jeannine Quillet qui avait signé un
Charles V, un roi lettré. Longtemps après les travaux de Delachenal et de
Joseph Calmette, qui dressa un beau et juste portrait du roi,
Françoise Autrand, qui a percé avec son
Charles VI, fait un travail tout en nuance, insiste sur les face-à-face Etienne Marcel-Charles le Dauphin (premier Dauphin de l'Histoire, car la province fut acquise par Philippe VI, grand-père de Charles), et après les travaux de
Raymond Cazelles, il est devenu difficile de caricaturer le prévôt des marchands de l'eau qui conduisit le mouvement réformiste pour la vérification de l'emploi des impôts levés par la Couronne et qui mena la première révolte parisienne (mouvement de bourgeois qui tenta de trouver un allié en la personne du roi de Navarre, Charles le Mauvais, prétendant à la couronne de France, tout comme Édouard III d'Angleterre, et cela pour limiter la puissance des Valois installés sur le trône de France depuis 1328, une puissance qui se trouvait amoindrie du fait de la défaite subie par les Français à Poitiers-Maupertuis et de la capture de Jean II le Bon, envoyé par le vainqueur, le Prince Noir, Édouard de Woodstock à Bordeaux puis en Angleterre. le Dauphin fut d'abord humilié parce que l'on fit irruption dans le Palais et que l'on tua sous ses yeux deux de ses conseillers, le Maréchal de Champagne et le Maréchal de Normandie, mais il releva rapidement la tête, s'enfuit de Paris, fit reprendre Meaux grâce à la garnison de la forteresse du Marché où son épouse Jeanne de Bourbon avait eu chaud pendant l'assaut tenté par les milices de la capitale et trouva des complicités jusque dans la bourgeoisie parisienne pour renverser Étienne Marcel qui trouva la mort à la porte Saint-Antoine, tombant peut-être sous les coups de Maillart, l'un de ses anciens soutiens. Débarrassé de lui, Charles eut aussi à faire face au roi de Navarre. Et il dut aussi composer avec son père qui revint un moment dans le royaume et dont l'action fut en partie cause du honteux traité de Brétigny, confirmé à Calais. Il fit tout, dès 1369,pour annuler les effets de ce désastreux traité, grignota la partie du territoire tombée aux mains de l'ennemi, s'appuya pour la récupérer sur le savoir-faire en matière de coups de main et de guerre non- conventionnelle de Bertrand du Guesclin, plus ou moins subordonné à Louis d'Anjou, frère et Lieutenant du roi en Languedoc, se sortit avec difficulté de la querelle de succession de Bretagne après la défaite de son poulain Charles de Blois à Auray, tenta de neutraliser le vainqueur, le nouveau duc de Bretagne, Jean de Montfort, soutenu par les Anglais, eut quelque peine à placer son candidat Henri de Transtamare sur le trône de Castille, avec le concours des Grandes Compagnies, dont on ne savait trop quoi faire et qui vivaient inutilement sur le pays quand elles n'étaient pas employées directement par les belligérants franco-anglais dans leur longue guerre de Cent Ans (1337-1453). Son allié castillan fut d'abord vaincu à Najera par Pierre le Cruel (Don Pedre), soutenu par le Black Prince, mais il l'aida à éliminer son ennemi à Montiel. Échange de bons procédés, le Trastamare prêta sa flotte pour faciliter la reprise du port et de la ville de la Rochelle par
Charles V.
L'intérêt du livre de
Françoise Autrand réside dans l'importance qu'elle donne à l'alliance que
Charles V contracta avec Charles IV de Luxembourg, empereur d'Allemagne et roi de Bohême, à l'accueil fastueux qu'on lui réserva à Paris.
Les conséquences de cet accord ne furent pas immediatement visibles.
Charles V s'intéressa beaucoup plus qu'on ne le croit à ce qui se passait sur le flanc est de son royaume patiemment recomposé et agrandi. Sait- on que c'est lui qui négocia au château de Gombervaux l'installation des Français à Vaucouleurs, la place qui servira de point de départ à Jeanne la Pucelle pour se lancer dans l'action que l'on sait en faveur du petit-fils de
Charles V, un autre Charles, septième du nom ?
C'est aussi
Charles V, qui, devenu méfiant après la révolte d'
Etienne Marcel et des Parisiens, fera bâtir la Bastille Saint-Antoine, renforcer la résidence fortifiée de Vincennes et préféra vivre dans l'hôtel Saint-Pol plutôt que dans le Palais de la Cité ou au Louvre. Il ira aussi habiter le petit château de Beauté-sur- Marne, dont une occupante prendra plus tard le nom (Agnès Sorel, maîtresse de
Charles VII, et qui deviendra la dame de Beauté(.
Au total,
Charles V aura été l'artisan d'une première reconquête, oeuvre très fragile- ce que ne souligne pas assez
Françoise Autrand et c'est là le point de faiblesse de son ouvrage car elle aurait dû montrer que cette reconquête ne fut pas complète et dire tout de suite, dans son analyse de l'organisation militaire mise en place sous son règne, que le regret du roi, sur son lit de mort, d'avoir trop imposé son peuple, compromit finalement tout ce qu'il avait fait. Les nombreux points d'entrée conservés par les Anglais sur le littoral (Calais et Bordeaux, entre autres) étaient toujours là, prêts à servir pour permettre aux Anglais de revenir (en 1415,il y aura Azincourt). L'oeuvre de
Charles V sera aussi compromise par ses enfants,
Charles VI et Louis d'Orleans ainsi que par le duc de Bourgogne.
Sur son lit de mort,
Charles V exprimera, nous l'avons vu, son regret d'avoir pressuré d'impôts ses "sujets", recommandant à son fils de réparer cela autant que faire se pourrait. Voeu pieux.
Reste que
Charles V fut un grand roi. le souvenir de son action se trouve magnifié- à l'excès-dans l'ouvrage célèbre de
Christine de Pizan, le livre des faits et bonnes moeurs du sage roi
Charles V. le terme de sagesse s'applique ici à l'homme instruit et cultivé qu'il fut. Grand amateur de manuscrits précieux, il constitua une magnifique "librairie" (terme que l'on doit traduire par bibliothèque) dans la tour de la Fauconnerie, au Louvre.
Il aima aussi beaucoup les animaux rares, et fit installer dans les jardins de l'hôtel Saint-Pol une des premières grandes ménageries.
Un roi très attachant.
Affligé de la goutte, il devait supporter des fistules. Il mourut assez jeune (1338-1380).
François Sarindar, auteur de :
Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010).