Après Les biographies de
Charles VI, de
Charles V et de
Jean de Berry,
Françoise Autrand eut la bonne idée de nous conter la vie de
Christine de Pizan ( née vers 1364- morte vers 1430), célèbre autrice du Moyen Âge, qui devait traverser quelques-unes des décennies les plus agitées et les plus troublées de la fin du XIVème siècle et du premier tiers du XVème siècle. Venue avec son père, Thomas de Pizan, médecin et astrologue, à la cour du roi
Charles V vers l'âge de quatre ans, elle fut sollicitée, après la mort de ce dernier, par l'un des frères du Sage roi, Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, pour écrire une oeuvre de commande, le Livre des fais et bonnes moeurs du Sage roy
Charles V, véritable panégyrique à la gloire du troisième souverain de la dynastie des Valois, pour enseigner aux fils des princes à se bien gouverner et à se préparer à gouverner leur peuple, la vie de
Charles V étant prise comme exemple de ce que devrait être celle de tout monarque, menée publiquement et dans le privé avec prudence et mesure, avec sagesse éclairée par le savoir, avec une exigence de bon et juste gouvernement, pour le "bien public", le bien de son peuple, et qui devait être aimé de ses sujets tout autant qu'il les aimait. Christine voyait en
Charles V un roi idéal, presque à l'égal de Saint Louis, même si elle n'ignorait pas que son souverain de référence était aussi un homme qui avait autant de défauts que de qualités, bien qu'il s'efforçât de les corriger.
Christine de Pizan espérait qu'en ce miroir du prince d'excellence tous ceux qui étaient appelés à régner se reconnaîtraient. Sur ce modèle, elle construisit toute une série d'ouvrages où l'on trouvait le rappel des mérites de ce roi hors pair. Bien sûr, le Livre des faits et bonnes moeurs est le reflet de ce qui plaisait au duc de Bourgogne et de ce qu'il pensait comme chef de clan voulant s'abriter sous l'ombre tutélaire du roi défunt, comme s'il pouvait seul s'en réclamer, alors qu'il était plus ou moins en désaccord avec son frère Louis d'Anjou, lui aussi grand admirateur de Charles le Sage et qu'il allait bientôt être aux prises avec le frère de
Charles VI, Louis d'Orléans.
De tout cela, de ces déchirements et de ces querelles, de la guerre finalement, et du retour offensif des Anglais, qui allaient profiter de ces divisions, Christine sera le témoin, souvent désolé et impuissant, mais elle finira, sur le tard par se réjouir de l'arrivée de Jeanne la Pucelle en s'exstasiant comme elle savait le faire parfois, dans l'enthousiasme : "L'an 1429 reprit à luire le soleil" (Le Ditié de Jehanne d'Arc). Elle voyait là un signe du Ciel, bienvenu à la fin de sa vie qui pouvait se terminer dans une sérénité retrouvée et qu'elle espérait devoir durer après sa mort.
Connue pour ses traités moraux (Le Livre de la Prod'homie de l'homme ou le Livre de Prudence) et politiques (notamment le Livre du Corps de Policie) , mais aussi pour son oeuvre poétique (Ballades, Rondeaux et Lais, etc.), sa vision du rôle et de la place des femmes dans la société (
La Cité des Dames), elle l'est moins pour l'intérêt qu'elle marqua pour la chose militaire (Le Livre des Faits d'armes et de chevalerie). On a donc là une oeuvre intéressante écrite par une femme qui trouva dans ses dons littéraires et son esprit de réflexion un moyen de subsistance et d'indépendance lorsqu'elle devint veuve.
Bien sûr, elle n'était pas avare d'éloges à l'endroit des gens dont elle vantait l'action et/ou dont elle "dépendait" financièrement. Et c'est un aspect qu'il faudra creuser, ce qu'à mon sens
Françoise Autrand ne fait peut-être pas assez, même si elle est bien consciente de cela et si son travail est incontestablement le plus réussi et le plus abouti de tous ceux que l'on a écrits sur cette grande femme de lettres du bas Moyen-Âge français. On n'en attendait pas moins de l'une de nos meilleures historiennes de cette époque.
François Sarindar, auteur de
Charles V, Dauphin, duc et régent (1338-1358), publié en 2019.