Il n'y a pas de vie rangée une fois pour toutes. On essaie d'ordonner un peu mais il faut se résigner au fait que la vie est un magnifique bordel !
Sonia réalisa alors qu'elle avait vécu dans un monde où tout paraissait éternel, parce que c'était cela être jeune: croire que rien ne disparaissait.
On en a profité ensemble, on ne s'est rien refusé, tu sais! Nous avons eu tout ce qu'on peut rêver d'avoir: l'amour, l'aisance et même l'impression d'être utiles... Mais le temps semble toujours manquer quand on est heureux...
Nous ne sommes jamais aussi inutiles que quand nous pensons faire de grandes choses.
Se retourna et se leva dans un même élan. Puis se serra contre lui, sur la pointe des pieds, les bras accrochés à sa nuque. C'était la troisième fois qu'elle se pendait à son cou depuis la veille. On n'avait pas inventé meilleure position pour donner et recevoir de l'amour en même temps. (…) Elle respirait l'odeur du savon sur sa peau, fermant les paupières comme si elle avait pris le temps d'en engranger toutes les nuances pour être sûre de s'en souvenir plus tard.
(…) elle passait son temps à découper le temps – ses journées s'étaient métamorphosées en minuscules fuseaux horaires quadrillant une existence trop libre pour être sérieuse.
Elle n'avait jamais aimé jusque-là, sinon en se forçant, pour la forme, pour que sa main prenne celle d'un petit ami quand elle sortait.
Mais vois-tu, ce qui me frappe, c'est que quand je revois certains moments d'autrefois, je me revois dedans, évidemment, sauf que celle qui m'apparaît est une sorte de témoin passif. C'est comme s'il m'avait fallu du temps pour être enfin l'actrice de ces réminescences. (…) Mais la Sonia de l'époque est comme une poupée morte. Je sais vaguement ce que j'ai pu éprouver alors mais je ne le retrouve pas ; les sentiments que je retrouve sont ceux que j'éprouve par déduction aujourd'hui...
Ce n'est pas la solitude qui l'effrayait mais l'absence et avec cette absence, l'impression d'une raréfaction des possibles alors que si souvent par le passé, elle s'était au contraire persuadée que le fait d'être privée de Jonas serait une façon de revenir à la case départ pour explorer d'autres vies. C'est ainsi qu'elle avait vécu, elle le comprenait maintenant : de façon segmentée, comme si chaque fois un changement de route, une bifurcation était encore envisageable, et elle réalisait à présent, que pour vivre de la sorte sur le fil, il lui avait fallu une confiance inébranlable mais qui d'autre que Jonas lui avait donné cette confiance ?
Dans cette ville où tout était nouveau Sonia n'avait pas d'amis, pas de famille, personne, mais elle se sentait ivre de bonheur, délivrée de tout ce qui pouvait encombrer sa fulgurante et merveilleuse entrée dans le monde des adultes.