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Critique de Charybde2


Très surprenant. Magnifiquement riche et réussi, une fois la prémisse acceptée.

Publié en avril 2013, trois ans après « Résurgences » et neuf ans après « Transparences », « Rainbow Warriors » ajoute une nouvelle dimension surprenante à la palette déjà bien fournie, entre science-fiction et thriller, d'Ayerdhal.

D'emblée, le propos, tel que présenté par la quatrième de couverture ou par les brèves parues de ci de là, peut laisser légèrement incrédule : pour envahir et remodeler une dictature africaine particulièrement cruelle et corrompue, réputée notamment pour ses lois spécialement iniques en matière d'orientations sexuelles, et en faire ainsi un « exemple » à la face du monde, un informel mouvement clandestin à grande échelle, conduit par un ex-secrétaire général des Nations Unies très progressiste et droit-de-l'hommiste, abondamment financé par un club de milliardaires plus ou moins atypiques, recrute un brillant général américain en retraite et un staff d'une centaine de militaires professionnels, pour encadrer une armée (enfin, plutôt une division ou une très grosse brigade, donc) de 10 000 volontaires… lesbiennes, gays, bis et trans (LGBT).

Je dois donc avouer que, plein de curiosité, je m'attendais, les préjugés (littéraires ou autres) étant ce qu'ils sont, à un roman usant abondamment de la farce comme procédé, quelque part entre « M.A.S.H. » et « Priscilla folle du désert ». Colossale erreur de ma part ! Si l'humour est éminemment présent (notamment dans de nombreux très savoureux dialogues « sur le terrain » entre ces militaires d'un genre en apparence particulier), ces 500 pages d'une grande densité de récit et de réflexion livrent en réalité un techno-thriller politique de très grande qualité…

Techno-thriller en effet, sans aucun doute, tant le réalisme des intrications militaires, politiques, tactiques et humaines n'a rien à envier à des praticiens chevronnés spécialistes du genre tels Larry Bond (son emblématique « Red Phoenix », ou son « Tempête rouge » co-écrit avec Tom Clancy, bien avant que celui-ci ne se mue en prêcheur conservateur) ou Harold Coyle (dont le « Team Yankee » reste un modèle du genre). Mais bien au-delà des technicités impeccables ici mises en oeuvre, cette dimension de « Rainbow Warriors » frappe par la profondeur et l'intelligence de sa mise en scène de l'imagination et de la motivation au combat, et de son influence sur les résultats atteignables, sujet que des théoriciens militaires contemporains pointus comme l'Israélien Naveh, ou les Américains rédacteurs du surprenant « Warfighting » de l'US Marine Corps, sont bien loin d'avoir épuisé… Sujet qui résonne aussi bien entendu avec la « trilogie magique » compétence / confiance / signification que les théoriciens les moins conventionnels du management actuel s'échinent à approcher dans un contexte capitaliste qui y est – en réalité – impropre. Et qu'une cause telle celle inventée ici par Ayerdhal permet justement de déployer dans sa plénitude, sans idéalisme mal placé.

Livre politique, de manière encore plus essentielle, par toutes les questions qu'il agence avec habileté dans la trame de l'aventure : motivations philanthropiques d'ultra-riches atypiques et ultima ratio de leur engagement, complexité des motivations et absence d'innocence des « maîtres des réseaux » informatiques et électroniques, conflits d'intérêts entre visées théoriquement démocratiques des nations et appétits financiers des acteurs économiques, qui de nos jours n'ont à se dissimuler que bien faiblement (avec à leur disposition toutes les ressources des puissants storytellings destinés aux opinions publiques), différence profonde, qualitative, technique et humaine entre conquérir le pouvoir et le faire vivre, surtout dignement et en cohérence avec les visées affichées (éternelle question ayant fait chuter à terme, dans l'histoire, nombre de vainqueurs militaires, qu'ils aient été impérialistes ou révolutionnaires…). Une richesse et une force thématiques qui ne quitteront pas le lecteur, de la première à la dernière page…

On peut, on doit aussi noter au passage qu'en tant que roman « sur » les LGBT (même si je considère qu'il ne s'agit pas du véritable propos ici), « Rainbow Warriors » se positionne largement, en termes de sensibilité et de finesse, aux côtés de ces petits monuments que sont, en SF, le « China Mountain Zhang » de Maureen McHugh et le « Slow River » de Nicola Griffith.

Une réussite indéniable, donc, même si elle peut, nettement, surprendre le lecteur, car cette galerie de personnages occidentaux et africains, singulièrement profonde et humaine, et le récit à la fois très détaillé et très fluide de leurs péripéties, demande de la vigilance pour être pleinement appréciée, et mobilise beaucoup de ressources disponibles en questionnement intime, philosophique et politique, sous son vernis initial de légèreté farceuse. Un grand roman, qui pourrait faire curieusement date, à mon humble avis.
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