Je m'appelle Martin. J'ai vingt-huit ans. Un jour que je rentrais chez moi sans être attendu, j'ai trouvé mon frère et ma fiancée couchés dans mon lit, endormis dans les bras l'un de l'autre.
Dans le moment, j'ai pu prendre sur moi et, sans éveiller personne, je suis sorti pour aller considérer la situation dans la rue. Ayant descendu un étage, je me suis trouvé, sur le palier du cinquième, nez à nez avec Chazard, un locataire irascible qui se plaignait quotidiennement qu'on fît trop de bruit au dessus de sa tête. Chazard m'a entrepris avec son habituelle véhémence et, me voyant qui filais sans vouloir l'entendre, il a tenté de me retenir par le flottant de mon veston.
Ç’a été le réveil de la bête...
(extrait du volume paru à la "Nrf" en 1960)
J'ai le côté puritain qu'ont souvent les gens pauvres ayant fait quelques études et s'étant attachés à retrouver dans un enseignement qui les a dépaysés, la rigueur de cet autre enseignement qu'à d'abord été pour eux la pauvreté.
p.1429, en Pléiade
"A demi couché sur le divan de la salle à manger, mon frère lisait un livre ayant pour titre Lolita. Il a levé le nez à mon approche et m'a dit qu'il était en train de lire un livre comme jamais lu, un roman faramineux. Je n'ai pas manifesté de curiosité Les romans et plus généralement la littérature ne m'intéressent pas. Michel, qui s'en est souvenu tout à coup, m'a considéré un moment en silence. "C'est, a-t-il ajouté, l'histoire d'un type de quarante ans qui est l'amant d'une petite fille de douze ans." À quoi je n'ai pu me retenir de hausser les épaules. On se casse le dos à faire des études, on avale des centaines et des centaines d'alexandrins et après, il faudrait se plonger dans une littérature qui va à contre-poil de tout ce qu'on a appris. C'est ce que j'ai dit à mon frère. Maintenant, on en est au derrière des fillettes, demain peut-être à celui des octogénaires. Une littérature de pissotière, d'égout, d'asile de fous, voilà de quoi tu te délectes. À quand le best-seller mondial dont l'action se passera tout entière dans les chiottes ?" Pp. 74 et 75 NRF Gallimard - 1ère édition, 1960
Je dois vous dire que je me suis toujours intéressé à la littérature et qu’en dépit du plaisir que j’y ai trouvé, elle m’a beaucoup déçu. Alors que Marx et Freud nous fabriquent des kilomètres d’histoire, la simple littérature n’engrène pas sur la vie. On se récite un poème de Baudelaire comme on prend un cachet d’aspirine ou on lit un romancier pour s’isoler dans un monde déjà dépassé, dans une espèce de paradis artificiel. C’est pourquoi j’ai imaginé la littérature appliquée. Pour moi l’œuvre littéraire commence au moment où je l’ai terminée.
En amour, les personnes du sexe, faut pas se tromper, c'est social d'abord.
p.1409, en Pléiade
Ces grands amours passionnés, ces moteurs, ces orages, ces trémulences, ça me faisait mal au cœur. L'amour et rien que l'amour, ça me fait l'effet d'une horrible machine qui tourne à vide.
p.1387 en Pléiade
Surtout, il avait une conscience, alors que moi, je n'avais que des sentiments. Et les sentiments sont les choses qui passent avec le moment qui s'en va et la conscience est la chose qui dure.
p.1389 en Pléiade