JENNIFER: Vous pensez bien que je n'allais pas les suivre dans ces vieilles querelles racistes. Je suis de Cleveland. Du reste, les marcheurs de l'Évangile considèrent que les gens de couleur sont des créatures de Dieu et si, comme il est naturel, notre église refuse de les recevoir en son sein, elle n'est pas non plus opposée à ce qu'ils se groupent en chapelles instruites dans nos disciplines.
Bureau d'un avocat à New-York.
D'un côté, face au public, cinq chaises disposées en éventail ; de l'autre une table bureau.
Au milieu, baie vitrée, par laquelle on découvre un paysage de gratte-ciel.
SCENE I
Sur la première chaise, à gauche, est assis Roy Granger, trente-cinq ans.
Sur la quatrième, Lorna Granger, vingt-cinq ans, belle, élégante.
Sur la cinquième, Jennifer Handley, chapeau à rubans et à choux, et quarante-cinq ans.
JENNIFER
- C'était bien la première fois que j'entendais ce nom de Granger (elle prononce : Grènger). Il faut vous dire que je n'ai connu ni mon grand-père, ni ma grand-mère. Ils sont morts quand j'étais encore au berceau.
ROY
- Ça arrive. Moi non plus, je n'ai pas connu mes grands-parents. Mais je vais bien vous épater. J'ai connu mon arrière-grand-père, Félicien Granger. Il est mort à quatre-vingt-sept ans alors que moi j'en avais douze. Et il est mort chez moi, chez ma mère - à Jackson, si vous connaissez, dans le Mississipi. Tout ça pour vous dire que le bisaïeul en question. Je me le rappelle comme s'il était là...
(lever de rideau de l'édition parue à la NRF en 1961)
Il était une fois un petit café-restaurant, entre ville et campagne, refuge d'une poignée de drôles d'oiseaux que le monde moderne n'avait pas encore engloutis.
« On boit un coup, on mange un morceau, on écoute des histoires. Toutes activités qui s'accommodent mal du va-vite. Chacun offre son grain de temps au sablier commun, et ça donne qu'on n'est pas obligé de se hâter pour faire les choses ou pour les dire. »
Madoval, le patron, Mésange, sa fille, Comdinitch, Failagueule et les accoudés du zinc – braves de comptoir… « Pas des gueules de progrès », ces gens-là, mais de l'amitié, des rires, de l'humanité en partage et un certain talent pour cultiver la différence.
Jean-Pierre Ancèle signe un premier roman tendre et perlé comme une gorgée de muscadet, aux accents de Raymond Queneau ou de Marcel Aymé.
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