AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070362240
376 pages
Gallimard (26/10/1972)
4.01/5   322 notes
Résumé :
- Edmond ! Est-ce que tu es fou ? Voilà que tu encourages ta fille... Ah ! le jour où cette petite imbécile sera enceinte... - Evidemment, dit Archambaud en s'adressant à sa fille, c'est la chose à ne pas faire. Il faut absolument éviter d'avoir des enfants. Ce coûte cher, c'est un embarras, une cause de soucis, de tracas, et pour une jeune fille, un handicap très lourd. Ta mère s'inquiète à juste titre de ta promenade au bois des Larmes. Ce n'est pas un endroit pou... >Voir plus
Que lire après UranusVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (48) Voir plus Ajouter une critique
4,01

sur 322 notes
5
28 avis
4
11 avis
3
5 avis
2
1 avis
1
0 avis
Il fallait un courage hors de pair pour oser publier, en 1948, un livre tel que cet "Uranus", brillant et féroce réquisitoire contre la lâcheté et la bêtise humaines. Or, le courage, ce n'était certes pas ce qui faisait défaut à Marcel Aymé.
Il imagine une petite ville provinciale qui sort tout juste de la Seconde guerre mondiale. Les rares collaborateurs qui ne sont pas parvenus soit à retourner leur veste, soit à se réserver des appuis dans les plus hautes sphères ont été liquidés par les FFI. Un seul rôde encore, affirme-t-on, un certain Maxime Loin, un journaliste viscéralement anti-communiste qui s'est laissé prendre au mirage de la "Grande Allemagne."
Pour le reste, c'est l'heure de gloire du Parti communiste. Il lorgne cependant d'un oeil méfiant vers le Parti socialiste qui, plus modeste mais bien résolu, rêve de rogner peu à peu la suprématie des "Rouges", grands vainqueurs de cette guerrre pour l'unique raison qu'Hitler eut la bêtise de rompre le pacte germano-soviétique.
En cette période de reconstruction, les appartements et maisons préservées par les bombes ont été réquisitionnés pour abriter, outre leurs occupants légitimes, les familles des sinistrés. Ainsi, M. et Mme Archambault doivent-ils partager leur appartement avec l'un des responsables locaux du P.C., Gaigneux, sa femme, Maria et leurs enfants. Cela ne va pas sans créer pas mal de frictions.
Mais la situation s'aggrave le jour où, pris de pitié et aussi de révolte contre sa lâcheté personnelle, Archambault recueille Maxime Loin ...
Le style d'Aymé n'a jamais été aussi lucide, aussi précis, aussi cinglant - aussi matois. Avec un brio amer, il restitue toutes les peurs, toutes les lâchetés, toutes les contradictions d'une époque noire, aussi accablante en son genre que le fut celle de l'Occupation. Symboles antagonistes de ces temps troublés : Léopold, le cafetier et la "grande gueule" du coin, qui ne s'en laisse imposer par personne et qui finira assassiné sur ordre par une gendarmerie passée à la solde des vainqueurs, et le vieux Monglat, qui a collaboré à peu près avec tout le monde et qui a bâti sur la disparition d'un monde une fortune colossale dont il ne peut cependant jouir au grand jour. C'est lui qui fera pression sur ses hautes relations pour que Léopold, qui en savait trop, soit abattu en toute légalité.
Entre les deux, le professeur Watrin, incurable rousseauiste qui croit en la bonté humaine alors qu'Aymé, lui, en doute un peu plus tous les jours. Un incurable qui, pour réconforter Archambault qui vient de voir Gaigneux emmener Loin à la gendarmerie, déclare, tout à la fin du roman : "Attendez. Attendez seulement cinquante ans ..."
"Uranus", de Marcel Aymé : un grand livre, hélas ! méconnu par nos histoires de la Littérature française - et donc à mettre d'autant plus en valeur. ;o)
Commenter  J’apprécie          501
Ce roman est comme une fenêtre ouverte sur une période de notre histoire de plus en plus difficile à saisir, les témoins de ce monde se faisant de plus en plus rares. Uranus permet de le restituer dans sa complexité en nous situant au-delà des idées toutes faites qui, irrésistiblement, en simplifient la lecture.
Comme les tragédies de Shakespeare, Uranus est à la fois tragique et comique. Comme la plupart d'entre elles, il se refuse à poser l'héroïsme en absolu, et il le situe dans le champ du relatif, du contingent et du prosaïque. Etre un héros, c'est se détruire, et les personnages, assommés par six ans de guerre, veulent tout simplement vivre. Il leur faut un courage confinant à l'inconscience, ou alors une certaine marginalité, pour affirmer leurs convictions, en particulier lorsqu'il s'agit de prendre la défense d'un individu soupçonné, à tort ou à raison, de collaboration avec l'ex-occupant.
Dans une petite ville de l'après-guerre à demi détruite par les bombardements, les personnages sont saisis dans un quotidien redevenu ordinaire, mais toujours aussi imprévisible et dangereux. Ces individus charmants, naïfs, souffrants, parfois odieux ou simplement imbéciles, sont pris dans des situations inextricables où le sens de l'héroïsme se perd. Archambaut, l'ingénieur, est l'homme honnête qui a réussi. Ex-supporter du Maréchal (comme tant d'autres), il doit affirmer son soutien aux nouvelles autorités pour échapper aux soupçons….. Un soir, il rencontre par hasard Maxime Loin, un collaborateur traqué, et le recueille : non pas par sympathie idéologique mais par esprit de charité. Ai-je bien fait ? s'interroge-t-il. La question n'est pas vraiment qu'Archambaut ait mal agi, mais qu'il a mis sa famille en danger.
Car les dénonciateurs sont légions dans ce monde où communistes et gaullistes multiplient les coups tordus pour conquérir le pouvoir. Si Jourdan, un communiste venu des classes supérieures, prône une ligne dure, c'est pour être accepté par ses camarades ouvriers. Il lui faut, comme il le dit crûment, « des morts à son actif ». Dénoncer Archambaut serait pour lui le meilleur moyen de prouver son allégeance à son parti. Gaigneux, qui quant à lui est un communiste ordinaire, défend les intérêts de sa classe et se soucie peu de politique. C'est lui qui finalement enverra Loin devant les juges. Découvert par hasard, Loin protège à son tour son protecteur, en déclarant à Gaigneux qu'il vient de pénétrer chez Archambaut, alors qu'il s'y était réfugié depuis plusieurs jours….. qui peut dire si Gaigneux n'aurait pas dénoncé ce dernier, connaissant la réalité ? Et le mensonge de Loin, qui évite sans doute la prison à Archambaut, ne fait-il pas de lui une sorte de héros ?
La plupart de ces personnages, dont les habitations ont été détruites, vivent chez les Archambaut. Ce qui fait que la politique est éclipsée par des quiproquos de vaudeville. Gaigneux se retrouve épris de la fille d'Archambaut, tout comme Loin, qui se retrouve finalement dans les bras de Madame Archambaut! Cette tonalité légère se retrouve chez Watrin, le professeur idéaliste, qui est lui aussi hébergé chez Archambaut. Chaque jour, Watrin admire la beauté du monde et affirme détenir la formule du bonheur, s'isolant ainsi (assez artificiellement) de ce milieu sordide. Mais le dernier bombardement avait détruit sa maison et tué sa femme dans les bras de son amant, de telle sorte qu'il souffre d'anxiété et d'insomnie. Chaque nuit, il sent la présence d'une force obscure autour de l'existence humaine – Uranus.
Même si la politique est discréditée, certaines valeurs morales subsistent dans le roman : le pétainisme d'Archambaut et les opinions nazies de Maxime Loin n'ont aucune crédibilité. Monglat, collaborateur enrichi, est un personnage faustien qui paie le prix de son pacte avec le Mal nazi. Plus rien ne compte désormais pour lui que de convertir son magot mal acquis en valeurs sûres, afin de faire oublier son triste passé. Il fait arrêter puis abattre Léopold, le cafetier alcoolique et poète, qui sous l'emprise de l'ivresse l'a dénoncé en place publique.
Une autre valeur subsistante est la tradition littéraire française, avec la tragédie racinienne. Andromaque revient en leitmotiv, soulignant la rémanence de la culture traditionnelle en dépit des déstabilisations apportées par la guerre. Les élèves doivent utiliser les cafés de la ville pour travailler, et c'est dans celui de Léopold que se déroulent les cours de français. Fasciné par le dramaturge, le cafetier se met à composer des vers de mirliton. C'est une preuve comique de la vitalité de cette culture. Mais Andromaque reflète aussi le dilemme qui s'impose à tous les personnages : celui de la conscience morale. L'héroïne cède finalement au chantage de Pyrrhus et l'épouse afin de sauver son fils Astyanax, sacrifiant sa fidélité à Hector, son défunt époux. Les personnages d'Uranus sont dans une situation analogue : pour survivre, ils sont poussés à trahir et à se trahir eux-mêmes. Ainsi affirment-ils avoir toujours été Gaullistes, allant jusqu'à rester immobiles devant le lynchage d'un soi-disant traître par les FFI. Cette passivité est dénoncée comme veule et indigne. Mais en même temps, un autre message se superpose : tout le monde n'a pas l'étoffe des héros, et tout le monde ne peut pas se le permettre….
En somme, le roman présente des personnages ordinaires égarés ou aveugles, qui doivent se situer dans le champ de force d'idéologies émergentes (communisme, gaullisme) contre lesquelles ils ne peuvent rien. Ils subissent en même temps la pression d'idéologies périmées mais persistantes (pétainisme et même, pour Loin, nazisme.) Et surtout, ils ont leur propre vie à vivre. le symbole le plus pertinent et le plus drôle (car ce roman pétille d'humour, en dépit d'une tonalité argumentative parfois assez lourde) en est sans doute le passage où Archambaut saisit le costume qu'il va porter pour la cérémonie marquant le retour des prisonniers de guerre. Ce n'est autre celui qu'il avait revêtu pour la visite du Maréchal. Que voulez-vous, il faut bien retourner sa veste !
Le seul « héros » du livre, finalement, c'est l'auteur lui-même. En 1948, Marcel Aymé a mis en cause un mythe gaulliste qui était en train de supplanter le pétainisme. Il ne s'agit pas d'une dénonciation du premier, ni d'une réhabilitation du second. Comme le suggère le nom du pro-nazi « Loin », le roman met à distance un « Gaullisme » (d'ailleurs concurrencé par un « Stalinisme ») officiel qui dissimule la complexité de l'héroïsme. Il critique cette langue de bois qui accepte toute délation sans la vérifier par la preuve parce qu'elle sert un projet politique, celle qui refuse de considérer que derrière un collaborateur, même avéré, il y a un être humain qu'il faut respecter. Tout ceci au profit d'axiome manichéen : « nous sommes tous Gaullistes ». Et, hypocrisie suprême, cet axiome procède à une relecture simpliste du passé trouble de l'Occupation : «nous l'avons tous toujours été». Un esprit fanatique aussi irrationnel et destructeur que l' « Uranus » qui a rendu Watrin insomniaque.
Uranus nous aide à comprendre une période déjà lointaine, et à la perpétuer dans la mémoire collective. En dénonçant ce mythe d'un Gaullisme universel, le roman préfigure même l'immense travail d'interprétation de cette époque qui a été effectué par les historiens, les sociologues, et même les juges dans la seconde partie du vingtième siècle. Et comment considérer ce livre comme périmé alors qu'aujourd'hui, des idéologies politiques et religieuses extrémistes reviennent en force, menaçant de suspendre la liberté d'expression, et que nous peinons à nous positionner efficacement par rapport à elles en tant que citoyens. Il nous faut respecter, et surtout faire respecter, l'idée qu'il existe des croyances et non une seule, un ensemble de situations possibles et non une seule. Nous devons défendre les notions de conscience morale et de tolérance, si nous ne voulons pas nous retrouver un jour dans une situation comparable à celle décrite dans Uranus.
Commenter  J’apprécie          271
Marcel AYME aborde dans cette oeuvre caustique et lucide la période de l'épuration à la fin de la seconde guerre mondiale. Le retournement de situation consacre le temps de l'hypocrisie, celui où la majorité de la population, qui a vécu sans trop d'états d'âme le temps de Vichy, se tait et approuve l'exécution des plus compromis. On sent bien l'aversion de l'auteur pour le parti communiste et les résistants de la dernière heure, dont il dénonce le rôle actif, quoique quelque peu erratique, dans cette épuration.
Les traits du caractère humain sont rendus dans toute leur grisaille anthracite, mais aussi dans ses moments de générosité apeurée : on sent le malaise monter au fur et à mesure que sont présentés les évènements, tant les circonstances sont embrouillées, tant on prend conscience qu'il est difficile de rester une honnête femme ou un honnête homme quand on circule à vue dans un labyrinthe de mauvais sentiments et de motivations embrumées par les circonstances. Avec toujours la peur en toile de fond. Bien sûr, quelques personnages sortent du lot, résistants ou collaborateurs déclarés, mais ils ne sont pas le commun des mortels : dans la médiocrité et la veulerie ordinaires, les vrais héros et les fieffés salauds ne sont pas légion.
C'est une oeuvre très forte que j'ai détestée adolescente : il faut avoir un peu vécu pour admettre pour véridique ce camaïeu de couleurs sombres : une jeune existence ne peut le faire sans abandonner son élan vital. J'avais donc gardé la conviction que l'auteur éprouvait une haine forcenée envers le genre humain. Je sais aujourd'hui qu'il ne dépeint que la réalité, avec une lueur d'indulgence, incarnée par professeur de mathématiques Watrin, qu'une nuit de bombardement où la mort l'épargna, transforma en vrai sage un peu lunaire le jour et uranien la nuit.
Commenter  J’apprécie          283
L'histoire, dit-on, est faite par ceux qui la font (pardon, par ceux et celles qui la font), nous sommes bien d'accord. Mais ceux et celles qui la racontent, c'est une autre histoire, je dirais même plus, c'est une « autre » histoire, c'est une vérité recomposée. Tous les historiens et romanciers vous le diront (je le suppose n'en connaissant pas personnellement) : si on a devant soi sur la table, les faits, avec toutes les preuves, en revanche les causes, les effets, les motivations, tout ce qui n'est pas matériellement prouvé, reste du domaine de l'interprétation. La logique bien sûr permet de combler quelques trous, mais tout le reste peut être soumis à discussion, voire à polémique. Et quand on touche à des sujets sensibles – en gros ceux qui nous touchent personnellement) – je vous raconte pas (comme dit mon fils qui met des négations partout, sauf dans sa façon de parler).
« Uranus », publié en 1948, est pour Marcel Aymé un certain coup de culot, d'audace et certainement de courage. A cette époque les esprits étaient échauffés, et les têtes près du bonnet (surtout certaines femmes qui avaient payé de leur chevelure le trop plein de courage de certains de leurs concitoyens). le roman évoque clairement la période de l'Occupation et de la Résistance, que nous connaissons en long en large et en travers, et celle de l'épuration, plus discrètement évoquée dans nos manuels scolaires. Il ne s'agit pas ici de dire qui sont les bons et qui sont les méchants, encore moins de juger et condamner. La chose certaine c'est qu'il y a eu globalement un combat entre la barbarie et la civilisation, mais le problème c'est que les combattants étaient des êtres humains, donc tour à tour barbares et civilisés, suivant qu'ils étaient guidés par leur esprit, leur coeur ou leur âme, ou bien leur portefeuille, ou encore autre chose encore plus bas… Marcel Aymé, on le connait : il ne fait pas dans la dentelle. Vous vous souvenez de Jean Dutourd et de « Au bon beurre » ? Côté causticité, c'était déjà du costaud. Marcel Aymé, c'est pareil, il va peut-être même plus loin dans la dénonciation de la veulerie, de la malveillance, de la délation, du manque de scrupule, de l'opportunisme…
Nous sommes à Blémont, un patelin qui pourrait être n'importe où, y compris chez vous ou chez moi. Léopold est cafetier. Mais pas n'importe quel cafetier. C'est un cafetier, sans doute un peu alcoolique et un peu brut de pomme, mais il est du style du cuisinier Ragueneau dans « Cyrano » : il a des prétentions littéraires, et une prédilection pour Racine, en particulier « Andromaque ». Aussi quand, à la suite de bombardements, son café (le « Café du Progrès ») devient l'école du village, il est aux anges. Entre les cours de français où il se délecte et les conversations de comptoir où il tient sa place, il ne s'ennuie pas. C'est que la clientèle, c'est du premier choix : des néo-résistants de la dernière heure, des trafiquants de marché noir, des militants communistes, socialistes, tout ce que vous voudrez, des nostalgiques du Maréchal, etc. etc. de calomnies en délation, les ignominies qui avaient cours sous l'Occupation se perpétuent, elles changent seulement de camp, et pas toujours.
Et tout ça sous l'oeil de Marcel Aymé. En fait c'est lui le seul personnage positif de cette histoire : son regard à la fois malin et cinglant, d'une terrible lucidité, est impitoyable. Pourtant il n'accable pas ses personnages, il ne les défend pas non plus. Certains critiques ont cru voir dans ce roman une réhabilitation du maréchalisme, d'autres une dénonciation du gaullisme naissant sur les mythes de la Résistance, billevesées que tout cela : s'il y a dénonciation, c'est celle de la bêtise et de la bassesse humaines. « L'homme est une laide chenille pour celui qui l'étudie au microscope solaire » disait Alexandre Dumas dans « le Comte de Monte-Cristo ». Marcel Aymé ne disait pas autre chose :
« Je ne dis pas que vous soyez un hypocrite, mais il y a des époques où le meurtre devient un devoir, d'autres qui commandent l'hypocrisie. le monde est très bien fait. L'homme a en lui des dons qui ne risquent pas de se perdre. »
Je n'ai pas besoin de vous conseiller le magnifique film de Claude Berri (1990), avec Gérard Depardieu, Jean-Pierre Marielle, Philippe, Noiret et Michel Galabru (entre autres) ...

Commenter  J’apprécie          140
« C'était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d'épaule
La pièce était-elle ou non drôle?
Moi, si j'y tenais mal mon rôle
C'était de n'y comprendre rien »
Ces quelques vers d'Aragon, qui parlent pourtant d'autre chose et d'une autre guerre , sont sans doute le meilleur commentaire de ce livre.
A Blémont, fin 45-début 46, c'était un temps déraisonnable ; la ville avait été détruite aux trois quarts dans les derniers jours de la guerre par un bombardement d'origine indéterminée, peut-être pas imputable aux Allemands comme on veut le croire, la guerre était finie, mais on se battait encore entre Français ; tout avait changeait de pôle, la légalité de la veille était le crime d'aujourd'hui, les communistes et leur chef Ledieu commandaient aux gendarmes, et le trafiquant de marché noir Beuglat aux ministres ; et l'on pourrait continuer encore. En tout cas la pièce n'était pas drôle, quoique...du point de vue d'Uranus...
Telle est la vision qu'en donne Marcel Aymé dans ce livre, écrit à chaud et paru en 1948, qui le fit passer aux yeux de certains pour le collaborateur qu'il n'était pas.
Les acteurs de la pièce : l'ingénieur Archambaud et sa femme et ses enfants, qui doivent héberger quelques sinistrés, l'ouvrier communiste Gaigneux et sa famille et le professeur Wavrin, mais aussi le collaborationniste Loin, recherché par la police et caché par Arcambault, le cafetier Léopold, dont l'établissement doit héberger les cours du collège détruit par le bombardement et grâce à ces cours s'est pris de passion pour Andromaque, quelques communistes, les gendarmes, le trafiquant de marché noir Monglat, quelques figurants (*)...et puis la planète Uranus, qui tient le rôle-titre grâce à Wavrin.
Wavrin, qui lisaif le chapitre consacré à la planète le soir du bombardement ; cela a transformé sa vision du monde. Il nous l'explique en même temps qu'à l'ingénieur Archambaud  dans la citation ci-après, qu'il est souhaitable de lire en complément de ma critique.
Et la pièce va se jouer sous nos yeux. Est-elle ou non drôle ?



(*)Si vous voulez, vous pouvez vous amuser à voir Wavrin sous les traits de Noiret et Léopold sous ceux de Depardieu, qui en ont tenu les rôles dans le film homonyme de Claude Berri sorti en 1990
Commenter  J’apprécie          170

Citations et extraits (44) Voir plus Ajouter une citation
— Vous vous rappelez, onze heures et quart, c’est l’heure à laquelle le bombardement avait commencé. Tout à coup, le souvenir de ma lecture de l’avant-veille, qui s’était enfui de ma mémoire, est venu m’assaillir : « Malheureuse planète ! Astre sombre roulant aux marches de l’infini… » En même temps, j’ai été pris d’un affreux vertige. Dans ma tête alourdie, les mots se figeaient en nombres monstrueux qui, peu à peu, revêtaient eux-mêmes une forme et une. Je sentais peser en moi la présence réelle d’Uranus. J’embrassais l’immensité de la planète obscure, je touchais sa solitude. Comment pouvez-vous me croire si je vous dis simplement que j’en éprouvais les dimensions et la pesanteur ? Et même si vous l’admettez, vous ne parviendrez pas à imaginer ma souffrance
. . . .
Chaque soir, à onze heures et quart, le combat recommence et se poursuit toute la nuit à travers mon sommeil. Jusqu’au réveil, à la délivrance du matin.
Watrin regarda l’humble mobilier de la petite chambre, la pluie, les ruines et les champs sous la pluie.
Le matin, en ouvrant les yeux, je retrouve enfin la Terre, je reviens dans la patrie des rivières et des hommes. Qu’elle est belle la Terre, avec ses ciels changeants, ses océans bleus, ses continents, ses îles, ses promontoires, et toute la vie, toute la sève, qui frémit dans sa ceinture, qui monte dans l’air et dans la lumière. Cher Archambaud, je vous vois sourire. Ces splendeurs, trop heureux, vous n’y pensez plus guère. Mais moi, quand mon réveil me délivre, je suis comme le premier homme au matin du monde dans le premier jardin. Mon cœur est gonflé d’admiration, de joie, de reconnaissance. Je pense aux forêts, aux bêtes, aux corolles, aux éléphants (bons éléphants), aux hommes, aux bruyères, au ciel, aux harengs, aux villes, aux étables, aux trésors qui nous sont donnés à foison et il me semble que la journée va être bien courte pour jouir de ces faveurs. J’ai toujours envie de rire et de chanter et si je pleure, c’est d’amour. Ah ! que j’aime la Terre et tout ce qui est d’elle, la vie et la mort. Et les hommes.
— Comment le souvenir de tant de merveilles peut-il m’abandonner toutes les nuits ? Le matin, en ouvrant les yeux, je retrouve enfin la Terre, je reviens dans la patrie des
Commenter  J’apprécie          41
Voyez-vous, maître, le grand ennemi de la France, c'est la culture générale qui poétise et dramatise l'univers en nous dérobant la réalité.[...] Nous, les professeurs de collège, nous avons beau avoir l'esprit faussé par les humanités, nous sommes à même de nous rendre compte à quel point notre rôle est néfaste. Ainsi notre métier de malfaiteurs publics ne nous intéresse-t-il plus. Les problèmes qu'il propose ne sont jamais les vrais problèmes. Sachant que l'avenir ne peut germer que dans les têtes dures et obtuses des garçons à lourdes mâchoires, nous voyons avec tristesse des collégiens mordre à nos boniments sur le grand siècle ou l'emploi du subjonctif. Il serait pourtant si facile de les désabuser et d'en faire des brutes efficaces !
Commenter  J’apprécie          80
Dire qu'il a en lui de quoi faire un assassin, un voleur, un mouchard, un traître, un satyre, et qu'il sera très probablement un brave type comme tout le monde, et peut-être un héros ou un saint...
Commenter  J’apprécie          290
Que la presse entière feignit d'ignorer qu'il existait des millions d'individus tenant pour telle opinion ou en réduisît le nombre à quelques dizaines de milliers d'imbéciles et de vendus, il y avait là, songeait-il, un mensonge colossal. Il en arriva ainsi à conclure qu'une partie de la France manœuvrait à donner le change sur ses convictions, l'autre partie affectant de croire que certaines façons de penser n'avaient d'existence ni dans le présent ni dans le passé.
Commenter  J’apprécie          110
Est-ce que toute cette vie, cette opulence, n'ont pas été façonnés par l'homme, par ses mains, par son esprit? Ah! Les hommes sont quand même épatants, Archambaud! Dire que tout ce que vous voyez là et plus loin sur des milliers de kilomètres, les blés, les avoines, les arbres, les alignements, les perspectives et jusqu'aux touffes d'herbe, c'est l'homme, ses pensées, son cœur, ses bonnes mains! On vient nous parler de la poésie de la nature. Quelle blague! Il n'y a que la poésie de l'homme et il est lui-même toute la poésie. (p.153)
Commenter  J’apprécie          80

Videos de Marcel Aymé (36) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Marcel Aymé
Il était une fois un petit café-restaurant, entre ville et campagne, refuge d'une poignée de drôles d'oiseaux que le monde moderne n'avait pas encore engloutis.
« On boit un coup, on mange un morceau, on écoute des histoires. Toutes activités qui s'accommodent mal du va-vite. Chacun offre son grain de temps au sablier commun, et ça donne qu'on n'est pas obligé de se hâter pour faire les choses ou pour les dire. »
Madoval, le patron, Mésange, sa fille, Comdinitch, Failagueule et les accoudés du zinc – braves de comptoir… « Pas des gueules de progrès », ces gens-là, mais de l'amitié, des rires, de l'humanité en partage et un certain talent pour cultiver la différence.
Jean-Pierre Ancèle signe un premier roman tendre et perlé comme une gorgée de muscadet, aux accents de Raymond Queneau ou de Marcel Aymé.
+ Lire la suite
autres livres classés : épurationVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (759) Voir plus



Quiz Voir plus

Marcel Aymé

En quelle année est né Marcel Aymé?

1880
1897
1902
1910

10 questions
60 lecteurs ont répondu
Thème : Marcel AyméCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..