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Critique de nilebeh


Essai. Lecture-analyse d'un tableau extrêmement connu, emblématique du XVIII ème siècle et du libertinage.

L'intérêt, classique, de ce travail consiste tout d'abord à croiser les regards de l'auteur avec ceux d'analystes et de critiques d'art qui se sont penchés sur cette oeuvre magistrale de Fragonard, emblématique de l'érotisme et du libertinage avant la Révolution. L'auteur fait une lecture à la fois technique et historique du tableau, replace l'artiste dans son siècle, met en valeur les influences qu'il a reçues (Antiquité, baroque, rococo), celle qu'il a pu exercer (précurseur du romantisme, annonciateur de l'art moderne). Il resitue le tableau dans le continuum du travail du peintre et met en valeur l'évolution qu'il représente.

Son approche est originale en ceci qu'il amène le lecteur à regarder différemment le tableau, cessant de se focaliser sur sa construction par la diagonale lumineuse de la pomme (à droite) au bras tendu et au verrou (à gauche) pour en découvrir les replis et les contenus plus secrets :

« on jouit d'autant plus des subtilités de la toile que l'on échappe à son emprise structurale. C'est cette liberté que j'ai voulu suggérer ici au lecteur en bouleversant le dispositif même de la lecture, pour qu'il aborde le tableau sous un autre angle. » 

Les étoffes constituent en effet plus de la moitié de la surface peinte totale, selon certaines lectures on peut y voir des allusions aux sexes féminin et masculin, voire de la blancheur nacrée du sperme rendue par le tissu de satin blanc...

L'auteur aborde plusieurs thèmes dans son analyse : la théâtralisation, l'époque de Louis XV étant le triomphe du théâtre, du bal masqué. L'important est de se « désennuyer » à tout prix. de retour d'Italie, en 1762, Fragonard adapte « plastiquement » des sujets de théâtre, il en termine avec les sujets « obligatoires » d'avant, tels que l'Antiquité. le lit du Verrou est une vraie scène de théâtre. La diagonale lumineuse participe d'une vision baroque, elle impose la lecture du tableau de gauche à droite contrairement à celle de l'  « Adoration des Mages ». qui lui fait pendant (amour sacré/amour profane).
La construction en losange du lit, d'une simplicité à l'Antique. Une brune/une blonde dans ce diptyque. Ici, la forte tension émane plus de l'opposition ombres /lumières que de l'expression des personnages. La construction rococo suggère une intimité douillette, « cosy ».

L'époque : le 18ème siècle, climat de désir. Aucun message spirituel, il s'agit d' « être » tout simplement. Aucun poids moral, aucun symbole, aucun poids sémantique, de la frivolité toute pure !
Les maîtres de Fragonard, Chardin et Boucher. Inspiré par la Nouvelle Héloïse, une vague lyrique,d'inspiration sentimentale , Replacer Fragonard dans son époque, annonciatrice du romantisme. Faire le rapprochement avec "Les liaisons dangereuses", quasi contemporaines du tableau.

Dans le Verrou, existe « une harmonieuse discordance entre le sujet et et la forme » qui suscite l'émotion, par la magie de la touche, de la lumière, du jeu de couleurs:

La technique : la « touche » : Fragonard est connu pour son pinceau léger, désinvolte et moderne (le « fa presto »), qui s'oppose à une facture soignée, sévère, héritée des peintres hollandais. Dans le Verrou, après des tableaux exécutés à une vitesse extrême, il adopte une facture plus « serrée », le pinceau s'assagit.
La lumière : Fragonard retient le mystère, sans la mélancolie des intérieurs hollandais, avec leurs clairs-obscurs. Ici, il utilise le faisceau lumineux d'un projecteur.
La couleur : Fragonard exerce son talent de coloriste,emploie abondamment le jaune-blanc (couleurs « vaticanes » selon Sollers) pour les tissus des jupes et jupons, de rouge - sang de boeuf des rideaux. Avant le Verrou, on a parlé de « ragoût de couleurs ». A son retour d'Italie, pour le Verrou, il estompe, nuance (cf les Hollandais), annonce David. Il a été influencé par la technique de ses prédécesseurs, Chardin, Watteau, van Loo et surtout Boucher, Rubens aussi pour l'évocation des chairs féminines. Fragonard est « le peintre du jaune », tandis que Boucher est celui du bleu et du rose. (cf Pierre Rosenberg).

L'amante a-t-elle déjà échangé baisers et caresses sur ce lit manifestement défait, espéré et redouté à la fois que les choses aillent plus loin ? La tête penchée vers le lit, le regard éperdu, elle pose la main sur la bouche de l'amant, geste tendre ou ultime résistance ? Au bruit sec que fait le verrou, les dés semblent jetés. La symbolique pène - tige du verrou ne laisse aucun doute sur le désir et la suite probable. Mais la discussion oppose les tenants de la tentative de viol à ceux de l'amour consenti in fine, après une résistance de bon aloi. Quant à l'hypothèse émise d'une tierce personne, mystérieusement cachée dans le lit mais dénoncée par un semblant de genou au pied du lit, pour ma part elle me semble assez farfelue. Qu'aurait donc besoin le peintre de sombrer dans l'obscénité et la vulgarité ? de légère et délicieusement érotique, son oeuvre deviendrait graveleuse. Chacun jugera.

Quant à l'amant, bras décidé, étreinte sans possibilité d'esquive, fesse musclée et rebondie, il manifeste un ferme désir de passer à la phase ultime et son bras tendu vers le verrou ne laisse augurer aucune échappatoire. Pour autant, on ne lit rien de sauvage ni d'agressif dans ce qu'on voit de sa figure. Une chaise renversée, un vase jeté sur le lit, un châle noir par terre, pourtant laissent penser qu'il y a eu une certaine effervescence. Faut-il y voir les marques d'une lutte ? D'une passion irrépressible ? A chacun de se faire sa propre lecture et c'est tout l'intérêt du rapport à l'art, quel qu'il soit.

Un livre intéressant, qui permet d'entrer au plus près dans l'oeuvre. Il aurait été judicieux d'ajouter une bibliographie et des références précises, cela manque réellement, même si on dispose de certaines connaissances sur le sujet.
Au final, un livre comme on aimerait qu'il en existe davantage pour « apprendre à lire » . Un grand merci à Babelio pour cette découverte.





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