Ce tome fait suite à "Le bal des marionnettes" (épisodes 37 à 42). Il comprend les épisodes 43 à 50, parus en 2003/2004, avec un scénario de
Brian Azzarello, des dessins et encrages d'
Eduardo Risso, une mise en couleurs de Patricia Mulvihill, et des couvertures de
Dave Johnson.
Épisodes 43 à 46 - L'action se situe en univers carcéral avec une population de durs à cuire, mélangeant blancs et noirs. Louis Hughes (surnommé Loop) sort de cellule d'isolement. Il redoute le moment où Nine Train va sortir de l'infirmerie et sera en capacité d'exercer sa vengeance. Il va saluer Erie, un grand blanc tatoué de partout, avec des motifs de croix gammée. Il retrouve son compagnon de cellule. Il se heurte à Dirtz l'un des chefs matons qui le rend responsable de l'augmentation de la tension dans la prison. Lorsque que le fourgon arrive avec les nouveaux arrivants, le lecteur reconnaît Lono.
Azzarello et Risso continue à faire le tour de tous les sous-genres du polar ; ils passent cette fois-ci par la case "prison sous tension". Un black plutôt futé a dû froisser quelques susceptibilités pour se faire respecter et il ne va pas tarder à en payer le prix, dans une institution où tout s'achète, mais où il ne fait pas bon gêner les affaires.
Azzarello recommence à s'amuser avec le mode d'expression du personnage principal, et il développe également un argot plein d'ellipses et de sous-entendus pour les prisonniers. Au début, Loop s'exprime en rimes rapides qui exigent une bonne attention de la part du lecteur.
Le début installe une atmosphère bien poisseuse où la vie des prisonniers ne vaut pas cher, où les trafics vont bon train. À défaut de partir d'une situation très originale, les auteurs décrivent un environnement très convaincant. Les échanges entre détenus sont vifs et transmettent la nécessité pour chacun de se montrer sans faille, prêt à bouffer le voisin, pour ne pas montrer de faiblesse, et ne pas devenir une victime. Les échanges sont également inventifs et constituent un spectacle pervers très divertissant. Risso s'illustre à nouveau en croquant des gueules et des carrures qui font peur et qui traduisent bien cette obligation de paraître fort, sans faille. Les tatouages tribaux d'Erie sont magnifiques. Lono est d'une animalité incroyable.
Il faut le voir pour le croire, la manière dont Risso réussit à tout faire passer. Quelques détenus ont organisé des passes, avec l'un des leurs faisant le tapin. Il lui suffit d'une case avec un bas résille pour faire comprendre la situation au lecteur et confirmer ce que les dialogues ne font que sous-entendre. Évidemment, il s'en donne à coeur joie pour transformer les barreaux des cellules en éléments de décors conceptuels (mais le lecteur n'en attendait pas moins d'un tel artiste). Il transforme chaque confrontation verbale, en un conflit visuel palpitant (même sans les dialogues) évitant les suites de cases composées uniquement de têtes en train de parler. L'art de la mise en scène de Risso dépasse de loin la production industrielle des comics. Ses personnages évoluent en fonction de décors consistants, avec un langage corporel d'une expressivité rare. Il sait choisir ses cadrages pour faire ressortir à chaque instant qui a le dessus dans la conversation, et rendre compte des fluctuations dans les positions dominantes. À ce titre, la scène de discussion dans les douches entre Lono et Erie est une leçon de mise en scène, transformant une scène de dialogue en un affrontement visuel où chaque posture correspond à l'état d'esprit de l'individu et transcrit sa tactique dans cette confrontation verbale.
Il faut dire qu'
Azzarello sait incorporer de nombreux éléments qui nourrissent visuellement le récit et qui compose un thriller haletant. Cette scène de douche (point de passage obligatoire dans un récit de prison) sort des sentiers battus pour devenir une séquence unique, un hommage au genre, sans plagier une autre oeuvre, sans être insipide.
La fin est magnifique et prouve à nouveau la complémentarité entre scénariste et dessinateur. Regardez ce cadavre d'oiseau de la dernière page, et reportez-vous à la scène d'ouverture du début de l'histoire. La conclusion est limpide et sans appel.
Azzarello et Risso montrent avec évidence et simplicité comment l'individu est façonné par son environnement, conditionné et cantonné dans un registre d'actions très limité, prisonnier de ses limites et de celles imposées par son cadre de vie.
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Épisodes 47 à 49 - Jack Daw et Mikey sont sur la route avec tout leur matos de piquouse dans la voiture. Ils font un arrêt chez Garvey Meatcalf, le frère de Mikey qui tient un zoo proposant des activités nocturnes sortant de l'ordinaire. Sous l'emprise d'un shoot, Jack Daw est fasciné par les tigres. Des clients payant pour l'une de ces attractions nocturnes arrivent. La transaction se heurte à des imprévus.
Comme à leur habitude,
Azzarello et Risso convainquent le lecteur sans aucune difficulté que ce genre de petit trafic dans un zoo peut exister, qu'il existe même. C'est une évidence à la lecture. le lecteur découvre une de ces histoires où tout ce qui peut aller de travers, dégénère effectivement dans des situations inextricables auxquelles seule violence pourra mettre fin. À nouveau les personnages sortent tout droit d'un roman noir bien poisseux, tout en ayant une forte identité ce qui sépare l'hommage de l'ersatz. À nouveau les auteurs savent créer des moments uniques et inattendus qui surprennent le lecteur. Tout peut arriver. À nouveau leur complémentarité atteint un niveau où il pourrait ne s'agir que d'un seul et unique créateur.
Azzarello et Risso vous feront croire qu'une belle jeune femme en robe peut s'apprêter à se servir d'une tronçonneuse pour une besogne des plus répugnantes afin d'aider son mari dans sa petite entreprise. La scène d'ouverture constitue également un moment parfait avec ce conducteur peu futé paumé sur une highway, sans repère, incapable de retrouver l'établissement qu'il cherche, avec un passager dangereux et imprévisible. le contrôle par un véhicule de patrouille évoque des scènes déjà vues mille fois, et pourtant le dialogue enlevé et caustique la rend unique, pleine de tension, sans pouvoir en deviner l'issue.
À ce stade là du récit, le lecteur apprécie cette histoire comme une nouvelle, et en profite pleinement, sans se soucier de savoir si elle apporte quelque chose à la trame plus large de la série. Loin des résolutions propres et nettes,
Azzarello et Risso montrent que les protagonistes doivent vraiment y mettre du leur pour pouvoir s'extraire du bourbier dans lequel ils se sont fourrés.
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Azzarello et Risso proposent 2 nouvelles histoires complètes en elles-mêmes, apportant chacune une nouvelle pierre à l'intrigue globale de la série. Ils créent leur variation sur des schémas classiques du roman noir pour se les approprier et dépasser les stéréotypes inhérents à ces sous-genres. À nouveau, ils savent dépasser l'horizon d'attente du lecteur, le surprendre par une intrigue pensée au millimètre près, et des visuels portant leur part de narration, sans redondance avec le texte, sans case inutile.
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Épisode 50 - Bass, Sheila et Victor Ray viennent de commettre un cambriolage. Ils attendent que ça se calme dans un bar. Victor Ray en profite pour raconter une histoire sur le Trust. Harley débarque, à la recherche de son frère Perry que les 3 autres ont abandonné lors du casse.
Azzarello emploie une structure maintenant bien établie : un personnage (ici Victor Ray, sixième minutemen) raconte une histoire pendant qu'une autre intrigue se déroule en simultané, fournissant le quota d'action. Il dévoile les origines de la fondation du Trust, sous forme d'une légende basée sur une réalité historique. Il met en parallèle la violence de la situation présente, avec les bases viciées de la fondation des États-Unis.
Azzarello et Risso font apparaître un moyen-âge de pacotille avec une conspiration d'une envergure peu plausible. le complot global est une variation du thriller dans laquelle ils se révèlent moins convaincants que dans d'autres sous-genres du polar.
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Les fils des intrigues continuent de tisser une toile plus grande dans "Périple pour l'échafaud" (épisodes 51 à 57).