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Critique de Presence


Ce tome contient une histoire complète et plutôt indépendante de la continuité, parue initialement sous la forme d'une minisérie en 3 épisodes, en 2002. le scénario est de Brian Azzarello, les dessins de Lee Bermejo, et l'encrage a été réalisé conjointement par Bermejo, Tim Bradstreet, Richard Friend et Peter Guzman. La mise en couleurs a été réalisée par Grant Goleash. Azzarello et Bermejo ont également collaboré sur le célèbre Joker, mais aussi sur Lex Luthor. Lee Bermejo a également réalisé une étonnante histoire de Batman : Noël.

Il y a 10 ans à Gotham, dans le quartier de Chinatown, Deathblow (Michael Cray, un agent de terrain de l'organisation secrète IO) effectuait une filature, sous les ordres de Scott Floyd. de nos jours, la police retrouve une carte blanche barrée de 2 bandes rouges sur les lieux d'une exécution : c'est signé Deathblow (qui a pourtant disparu de la circulation depuis plusieurs années). Batman enquête pour essayer de comprendre qui est ce mystérieux Deathblow, qui est le pyromane qui rôde dans sa ville. En tant que Bruce Wayne, il croise la route de 2 agents secrets : Scott Floyd et Carla Fante.

Brian Azzarello et Lee Bermejo prennent le parti de raconter une histoire bien noire, à base d'opérations clandestines et d'agent triple, dans un Gotham réaliste et sombre. Azzarello a donc été piocher un personnage créé par Jim Lee et Brandon Choi, à l'époque de Wildstorm (quand cette branche éditoriale était encore indépendante chez Image Comics, avant que Lee ne la vende à DC Comics en 1999) en 1992.

Azzarello choisit d'éviter la confrontation directe entre les 2 héros, contournant ainsi l'écueil de mettre Deathblow face à Batman, et de le réduire à un mercenaire très costaud de plus. Par ce dispositif narratif habile (en situant les actions de Deathblow il y a 10 ans), il parvient également à conserver les spécificités des 2 superhéros : les actions clandestines musclées pour Deathblow, la justice musclée pour Batman. Toujours aussi adroit, il établit une situation compliquée avec Deathblow, réservant l'enquête à Batman, là encore dans le droit fil des histoires de ces personnages.

Dès ce coup d'essai qu'est "After the fire", Azzarello place sa narration sur un terrain adulte, dans la mesure où il faut faire un petit effort pour assembler les pièces du puzzle, et où le récit intègre les conventions du roman noir. Les personnages ne sont pas des enfants de choeur, ils sont cyniques et font preuve d'une morale élastique. Ce sont des individus qui ont choisi une vie de violence et d'exécution sommaire, qui en connaissent le prix et qui sont prêts à le payer. Deathblow n'hésite pas à tuer. Les quartiers de Gotham visités sont malfamés et dédiés à des activités réprouvées par la loi. Batman est dépeint comme un individu efficace à la violence maîtrisée et mesurée. Azzarello intègre sans difficulté quelques unes des conventions propres à ce personnage : talents de détective, aide logistique fournie par Alfred Pennyworth, départ en catimini dans le dos de James Gordon, et même déguisement et grimages.

Les dessins de Bermejo apportent beaucoup au scénario, en particulier en termes de crédibilité, de réalisme et d'ambiance. Goleash habille les images de Bermejo de tons brun et ocre foncés, distillant une luminosité faible et poisseuse, évoquant une ville mal éclairée, cachant des secrets coupables dans chaque zone d'ombre. Tous les vêtements des personnages sont marqués par des plis appuyés attestant qu'ils les portent depuis plusieurs jours, ou d'un début d'usure. Bermejo inscrit la fatigue du temps qui passe sur les visages, par le biais d'un encrage appuyé.

Bermejo investit du temps dans le dessin des décors, donnant une apparence années 1930 aux immeubles de Gotham, là encore un environnement daté, un peu usé par le temps, mais aussi immobile, insensible aux drames humains qui s'y déroulent. Il incorpore également des accessoires modernes (téléphones, ordinateurs) montrant que les individus sont éphémères, par rapport à ces bâtiments inchangés ou légèrement fatigués. Les dessins et les couleurs se complètent parfaitement pour faire ressortir la patine des pierres, ou les écailles des peintures des pièces intérieures. le soin apporté à l'encrage rend les images réalistes, et même photoréalistes. Chaque individu présente une apparence et une morphologie spécifique, avec un visage particulier. Les tenues vestimentaires appartiennent soit à un registre décontracté et urbain (le pyromane, les figurants), soit au contraire à un registre luxueux (l'habit de soirée de Bruce Wayne), empruntant aussi bien à un air du temps moderne, qu'à une forme de mode intemporelle, distillant un léger parfum de pulp à cette histoire.

Azzarello et Bermejo travaillent de concert, en particulier dans la manière d'atténuer la composante superhéros. Par nature, Deathblow est surtout un homme avec une carrure et une musculature exceptionnellement développées. Ce qui le caractérise visuellement sont les 2 bandes rouges peintes sur sont visage et la dizaine de pochettes utilitaires portées autour du torse. le récit est ainsi construit que Deathblow porte un pardessus la majeure partie du temps, il ne reste donc plus qu'au metteur en couleur à atténuer la vivacité du rouge pour que ce personnage prenne un aspect conventionnel pour une histoire avec quelques scènes à grand spectacle. de la même manière, Azzarello a conçu son intrigue de telle sorte à limiter le nombre de scènes dans lesquelles Batman apparaît en tenue de superhéros. Bermejo a choisi une approche naturaliste pour représenter le costume de Batman : cape en cuir avec coutures et renforts apparents, masque thermo-moulé, gants en matière renforcée, etc. Cette approche narrative et esthétique permet de rendre crédible le rapprochement du monde d'espionnage de Deathblow, de décrépitude urbaine larvée, et d'homme qui s'habille en chauve-souris.

Brian Azzarello et Lee Bermejo s'emparent de 2 personnages DC, créent un écrin taillé sur mesure pour rendre compatibles les caractéristiques de leurs 2 mondes, et racontent un récit violent et bien noir, demandant un petit peu d'attention de la part du lecteur pour ne pas perdre le fil en route. Par rapport à la production mensuelle des aventures de Batman, ce récit s'inscrit dans ceux à destination d'un lectorat adulte, souhaitant que les créateurs sachent tirer Batman vers un monde plus réel. L'intrigue est retorse à souhait et réserve plusieurs surprises. Pour mériter 5 étoiles à titre de récit mature, il aurait fallu qu'Azzarello réussisse à étoffer la personnalité des protagonistes, et à dépasser un nihilisme qui reste de circonstance.
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