Autobiographie, récit historique, conte, essai ethnologique,
Amkoullel, l'enfant peul, draine en une prose sereine et fertile, comme les méandres du Niger qui l'ont vu naître, la mémoire des ancêtres et des vingt premières années d'une existence, en Afrique subsaharienne, plus précisément en terre malienne.
Amadou Hampaté Bâ est le fruit de lignées antagonistes, des Peuls par son père, peuple de pasteurs nomades fiers de leur noblesse, tour à tour opprimé et conquérant; des Toucouleurs par sa mère, au sang mêlé, qui finirent par s'octroyer la suprématie dans le pays de langue peul. C'est ainsi sous le signe de la concorde, que l'auteur, aux qualités exceptionnelles de conteur, issue de la grande tradition d'oralité de la transmission du savoir des sages d'Afrique et des maîtres du Verbe, livre ses confidences; respect, curiosité et tolérance face aux différences ethniques et cohabitation harmonieuse entre lois musulmanes et coutumes africaines.
Puisqu'en Afrique la lignée des ancêtres prime sur l'individu, c'est d'abord aux grandes figures qui l'ont précédé dans l'existence que notre auteur s'attache à rendre hommage et prête allégeance. Ainsi il fait référence au grand père maternel, Pâté Poullo, grand initié en l'art pastoral, "oreille de la brousse"; puis viens le tour de son père
Hampaté Bâ, "l'agneau dans la tanière du lion", rescapé du massacre de sa famille, puis mis en prison sur des faux témoignages et proscrit. Comme la primauté du respect est dû à la mère dans les moeurs africaines, impossible de passer sous silence la figure indispensable et tutélaire de Kadidja, femme de tête, industrieuse, une lionne protégeant ses proches, "une femme à pantalon" comme sauront la qualifier tout ceux qui l'approcheront. On peut aussi s'attarder sur les tribulations de Tijani Thiam, son père d'adoption par son mariage avec Kadidja, défricheur exceptionnel et abatteur d'arbre de haute volée, tisseur-brodeur de talent, guide religieux écouté; mais en fait la liste des personnages marquants et attachants est fort étendue et il serait bien vain de vouloir tous les citer... Car c'est un livre riche que le lecteur curieux et désireux d'horizons littéraires divers saura découvrir dans ses pages. On y apprend nombres de choses en matière de coutumes africaines, de moeurs, de rites initiatiques et de coutumes liées à la foi musulmane telle qu'elle était pratiqué en Afrique subsaharienne au début du XXème siècle. Les anecdotes sont légions, souvent drôles; la force du parler africain, fleuri, exubérant, chargé d'images évocatrices, prompt au sobriquet bien tourné, est plaisamment rendue; les proverbes africains imagés et savoureux ne sont pas oubliés. La jeunesse de l'auteur, chapardeuse, querelleuse, bagarreuse; les grandes veillées nocturnes agrémentées par les contes et les chants des griots; la narration des grands voyages, dans une calebasse remplis de linge et juché les épaules d'une servante, puis sur le dos de sa mère ou les épaules de ses compagnons de voyage, enfin à pied, en pirogue, en chaland, en chemin de fer; tout concourt à rendre la lecture de cet ouvrage attachante et précieuse. Un regard est aussi porté sur l'influence des "toubabs de France" dans les successions de pouvoir tribales, dans la formation des élites de la population autochtone, pour servir les intérêts coloniaux de la France en Afrique. On prend conscience que le témoignage porté par son auteur sur la société de sa jeunesse, concerne un âge d'or révolu, dont les premières atteintes furent portées par la levée en masse des tirailleurs pour la Grande Guerre, entraînant une grande rupture dans la transmission orale des connaissances traditionnelles.
Premier lauréat, en 1991, du Prix Tropiques, visant à récompenser un ouvrage de langue originale française qui apporte un éclairage particulièrement intéressant sur les problèmes de société et de développement dans les régions d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique et de l'océan Indien,
Amkoullel, l'enfant Peul, apporte un témoignage pertinent sur la société africaine, dont le lecteur occidental saura bénéficier. Une très belle lecture.