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Critique de vincentf


Quelle est l'unité de base du temps ? Question centrale à laquelle répond Gaston Bachelard : l'instant. Seul l'instant existe. Démonstration convaincante contre les partisans de la durée, qui divisent l'unité de base en fragments imaginaires, alors que l'intuition de Bachelard renverse la perspective : seul l'instant est et la durée n'est qu'un produit de l'imagination.

Cette conception du temps n'est évidemment pas sans conséquences. Elle fait de la nouveauté et de la transformation une valeur absolue. Tout instant est un et nouveau. Toute répétition est reprise, c'est-à-dire modification insensible et totale. Cette idée du temps, je ne peux que la rapprocher de celle d'Alain Robbe-Grillet, de sa poétique de la reprise et de l'imagination triomphante, toujours prête à tout chambouler, à nier les individus que l'on croyait éternels, les faisant disparaître définitivement avant qu'ils ne réapparaissent tout aussi définitivement parce que l'instant est création d'un monde totalement nouveau à chaque fois. La poétique de Robbe-Grillet n'est cependant pas calquée sur celle de Bachelard, qui croit au progrès par l'habitude, c'est-à-dire par la mise en place de rythmes qui organisent les instants et créent chez les être humains ce qu'il appelle une conscience. Chez Robbe-Grillet, pas d'habitude, pas d'organisation rythmique, pas de progrès (surtout pas), pas de conscience ou du moins pas une seule conscience.

Ce qui différencie le penseur et le romancier, c'est sans doute que le premier est optimiste et le second pessimiste. le temps n'est qu'une succession d'instants toujours nouveaux mais l'illusion de durée que crée l'habitude peut féconder une philosophie, une sagesse créative, une morale, ou peut, si l'on pousse jusqu'au bout l'intuition de l'instant, détruire la possibilité même de toute habitude, de toute conscience, de toute morale et de toute création féconde, l'anarchie devenant totale, tout se détruisant à l'instant même de son apparition. Bachelard parie en faveur de la raison, du progrès et de l'ordre, Robbe-Grillet en faveur de l'imagination débridée, du bordel, de la liberté absolue.

La même intuition aboutit à une philosophie et à une poétique contraires. Quelle est la voie de la liberté ? Celle de l'habitude féconde ou celle du renversement constant de toute réalité autre que l'instant ? Faut-il apprendre quelque chose des instants passés pour créer des instants nouveaux meilleurs ou faut-il nier constamment les instants passés pour créer des instants vraiment nouveaux ? le souvenir est-il un outil nécessaire dans la construction du présent, même s'il n'existe en réalité pas, ou n'est-il lui-même qu'un instant présent qui mime un passé à jamais révolu et sans sens ? La morale et la science sont-elles possibles ? Question clé à laquelle il semble nécessaire de répondre par l'affirmative et de suivre donc Bachelard, même si c'est partiellement au prix de notre liberté. Il est pourtant nécessaire de ne jamais considérer cette réponse comme définitive et, à tout instant, de pouvoir user de notre liberté, qui est par principe illimitée.
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