Bachelard aurait pu être musicien. En fait..Il l'est dans l'âme.
Il entend si bien que tout ce que touche sa pensée sonne beau, sonne juste. Sonne bien.
L'intuition de l'instant, dans lequel il oppose la notion du temps soutenue par la philosophie de Bergson et celle exposée par son ami Roupnel dans son oeuvre Sinoë, est un manuel de bel et bien-savoir être, du bien-être tout simplement.
Ce bien être ne peut être atteint qu'à la condition d'en avoir pleinement conscience. Conscience de soi dans l' espace de l'instant.
Puisque le temps est un espace, de quoi est il constitué exactement ?
Bergson voyait le temps comme un durée, une phrase musicale, monocorde, sempiternelle, une totalité, un bloc, une ligne droite pleine et entière, sur laquelle on peut inscrire des repères mais qui n'altèrent en rien son universalité.
Ce que
Bachelard réfute, en donnant écho à la pensée de Roupnel : le temps n'est pas une durée !
Le temps ne peut se comprendre pour l'humain que dans l'instant. Cet espace dans lequel il existe, l'instant T, le moment présent.
C'est un angle de vision totalement différent.
Bachelard est un poète. Personne ne me contredira. Qui mieux qu'un poète peut percevoir l'Eden de l'instant et l' Enfer de la durée ?
Un détenu fait son temps comme sa peine , un homme libre invente son temps. « le temps ne dure qu'en inventant »
On n'écoule pas ses heures, on ne les égrène pas, on régénère l'instant, mieux on le génère !
On se crée à chaque instant.
Bachelard fait de l'instant un événement !
Rien ne dure, il est vrai, mais tout existera, et c'est ce possible que
Bachelard inscrit dans son raisonnement qui étincelle.
« le possible est une tentation que le réel finit toujours par accepter ».
La durée est une notion insupportable pour tout homme qui espère. On n' espère pas « le même », on espère mieux, plus grand, plus haut.
C'est cet élan de l'instant qui nous mène à notre progrès, au meilleur de nous même.
« La durée ne peut être vue que sous l'angle de la dynamique des instants » .
Le temps est un mouvement.
Bachelard est en plus chorégraphe...
Il brise la ligne de Bergson et la fractionne en un rien de temps.
Nous voilà libre d'orienter notre mouvement !
Imaginez un escalier sans contre marche. La marche : l'instant, la hauteur qui sépare les deux marches : le vide, la non souvenance, le temps mort. Ce vide où réside la probabilité, le chance du devenir. Il porte l'instant, l'instant repose sur lui.
Et si la ligne de Bergson file bien vite, l'escalier de
Bachelard, lui, monte très haut, il va jusqu'au coeur là où la conscience d'être rejoint la conscience de l'instant, ce qui nous place dans la joie, la raison, la bonté, la vérité.
Bref si le petit train de Bergson nous mène tout droit au ciel, l'échelle de
Bachelard nous mène à la lumière.
Bachelard est en plus un maître du Tao...
« Et nous rêvons à l'heure divine qui donnera tout. Non pas l'heure pleine, mais l'heure complète. »
Le temps est relatif, subjectif, pour
Bachelard. Courant alternatif !
Il appelle à ses côtés Einstein pour soutenir son raisonnement. le lieu et le temps sont deux espaces. Il faut les traiter comme tel. Et ils interagissent. Il sont de parentelle fréquençable. L'instant ici n'est pas l'instant là bas. le temps n'est pas universel, démonstration est donnée.
Le temps n'était pas égal dans le passé. Nous avions, en des temps non pas plus sereins mais moins précipités, la sagesse de considérer que toutes les heures n'étaient pas égales.
Les heures de la nuit n'étaient pas égales à l'heure du jour.
Sommes nous bien sûr qu'il soit intelligible pour notre esprit que huit heures de sommeil soient égales à huit heures de travail ? Comment notre corps, notre esprit peut il entendre cela ? La montre le dit, le réveil le prononce, mais l'homme comment le vit il ?
Il est étonnant que de nos jours on ait un tel soucis de sa propre durée. Endurer pour durer. Pourquoi ? puisque rien ne dure...
Durer jusqu'à cent ans. L'étrange affaire.
Et plus l'homme se soucie de sa durée et plus il crée l'obsolescence. Plus rien ne dure autour de lui, rien.
Court terme - au mieux moyen terme. Il est tellement préoccupé par sa durée qu'il en oublie de faire durer les choses. Plus il dure moins il a le soucis de transmettre.
Petit défaut d'éternité sans doute..
La durée est une notion qui pour finir empoisonne notre pensée.
Manie de durer, manie de le faire tous à la même vitesse. Manie de compter le temps comme des kilomètres. Manie d'aller vite, trop vite, si vite que l'on déraille.
Qu'est que c'est que cette manie de faire entrer les instants de chacun dans les heures de tous ?
Il n'y a pas si longtemps il ne paraissait pas stupide de dire qu'il fallait au moins toute une vie pour être un bon ouvrier.
Aujourd'hui en quatre ans vous voilà charpentier...
Tous dans le même ascenseur, et plus un chat dans l'escalier.
C'est pourtant sympa de taper la discute sur le palier....
Alors si pour Bergson nous filons horizontalement sur un long et triste rail, pour
Bachelard nous gravissons un à un les instants.
Et comment ? D'une façon que nous tendons à rendre harmonieuse mais surtout, fait très important, nous devons gravir notre escalier en des rythmes différents.
Ce sont les rythmes que nous imprimons à notre ascension qui assurent sa réussite.
Nous ne vivons pas toujours au même rythme, et chacun a le sien, au moment qui lui convient.
C'est bien normal nous avons nos instants, notre temps qui n'appartient pas aux autres même si tous les escaliers s'entrecroisent, et que parfois nous partageons nos paliers.
Il faut comprendre les rythmes, les accepter, les défendre quoiqu'il s'en dise.
Il faut un rythme différent pour éviter la rupture.
« Une réception du son trop uniforme est un principe de rupture de la matière ».
Quelles belles choses que les sciences lorsqu'elles servent l'humain !
Non, on ne traverse pas sa vie en ligne droite continue, d'un bloc ,prédestiné, la tête la première, à une vitesse soutenue et constante.
Bergson est un marathonien.
Bachelard c'est celui qui se promène, qui se met à courir, qui s'arrête, qui marche, qui sautille, qui s'allonge, qui grimpe. Il est pointilliste.. « L'idée du temps se ramène à un effet de perspective -Guyau » le voilà peintre !
A votre avis lequel des deux sommes nous naturellement tentés de suivre ?
L'intuition de l'instant c'est tout simplement l'intuition de sa vie, et si on ne suit pas cette bonne intuition il se peut que le marathonien , auquel nous jouons, arrive - peut être - mais peut être seul dans sa nuit.
Il faut lire, relire
Bachelard, il fait du bien. Il parle à l'humain.
« Nous venons de loin avec notre sang chaud ».
Nos instants sont précieux, parce qu'ils sont uniques, parce qu'ils ne sont pas évidents, parce qu'ils nous échappent parfois, parce qu'ils arrivent lorsqu'on ne les attend plus, parce qu'ils ne se ressemblent jamais, parce que leur nouveauté nous donnent la force de continuer. Ils sont imprévisibles.
Lâchez les mauvaises habitudes, ne conservez que celles qui vous serviront à progresser sur le sentier. Les mauvaises sont souvent celles que vous empruntez aux autres, les bonnes sont les vôtres, elles vous viennent naturellement.
Bergson aurait aimé les autoroutes,
Bachelard aimera toujours les sentiers.
Semestres, trimestres, années... Médailles à l'honneur du passé. « on comprend le passé par le présent, et il faut arrêter d'expliquer le présent par le passé ».
Pas évident, mais marche après marche, on peut y arriver.
Prenez votre temps, ne le comptez pas, ne le soupesez pas, vivez l'instant, une seconde dans un geste, une minute dans un regard, une heure sous un arbre, considérez chaque instant, même les plus pénibles, puisque , nous le savons bien, rien ne connaît d'éternité.
Vivre l'instant c'est reprendre son temps.
La durée ne nous est pas destinée, nous sommes accidentellement présent dans chaque instant.
« Il faut la mémoire de beaucoup d'instants pour faire un souvenir complet » !.
C'est la très belle mécanique de
Bachelard.
J'oubliais : il n'a pas souhaité devenir horloger...Et il ne l'a ( je crois ) jamais regretté.
à noter : du 12 octobre 2012 au 21 octobre 2013, le Louvre-Lens nous invite à venir contempler « le temps à l'oeuvre ».
Astrid Shriqui Garain.