AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9781030701983
Au Diable Vauvert (17/05/2018)
3.97/5   35 notes
Résumé :
Guerrier mi-homme mi-bête, Tool a été créé pour le combat dans un futur dévasté par le changement climatique et les conflits. Échappant aux impulsions de soumission génétiquement implantées, pourchassé avec acharnement, il a quitté sa meute d’esclaves de guerre modifiés pour devenir le leader d’une bande d’enfants-soldats. Mais le temps est venu de se révolter contre ceux qui l’ont asservi.
Un thriller dystopique hallucinant.
Que lire après Machine de guerreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Ferraille, recyclage et petits trésors engloutis au coeur d'une vive saisie d'un capitalisme de l'effritement et de l'adaptation sous contrainte climatique. Une magnifique immersion fictionnelle.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/12/29/note-de-lecture-trilogie-des-cites-englouties-paolo-bacigalupi/

Lancée début octobre 2022 avec les éditions La Volte, la librairie Charybde et le journaliste Antoine Daer (St. Epondyle), en attendant d'agrandir l'équipe, « Planète B » est l'émission mensuelle de science-fiction et de politique de Blast. Chaque fois que nécessaire, les lectures ou relectures nécessaires pour un épisode donné figureront désormais sur notre blog dans cette rubrique partiellement dédiée.

« La trilogie des cités englouties » (2010-2017) est l'un des livres-clé de l'épisode n°2, « Pénuries », à regarder ici.

Paolo Bacigalupi, auteur américain ayant longtemps vécu en Chine et en Asie du Sud-Est, est entré d'emblée au voisinage des sommets de la littérature de science-fiction : son premier roman, « La fille automate », en 2009, a été couronné immédiatement par les prix Hugo, Nebula et Campbell, de manière on ne peut plus justifiée. Les univers qu'il imagine sont pétris par les pentes fatales de nos économies politiques contemporaines, les « nouvelles » technologies, dans la lignée du cyberpunk des années 1985, y sont avant tout asservies aux (très) grandes entreprises et à la recherche du profit à court terme, au mépris toujours renouvelé des communs et des humains eux-mêmes, même lorsque le monde se délite autour des comptes de résultat. Dans cette noirceur, ordinaire ou extraordinaire, il parvient néanmoins toujours à inventer avec une ferveur lucide des échappées et des chemins de traverse, parfois joliment improbables – ou au moins inattendus -, enracinés dans des résistances et dans des espaces irréductibles à l'accumulation du capital. Son deuxième roman, « Ferrailleurs des mers », ouvre à partir de 2010 une somptueuse trilogie autour d'un effritement climatique et d'un épuisement des ressources terrestres qui ne provoquent pourtant toujours pas d'infléchissement notable dans la marche du monde – ce qui pourrait rappeler quelque chose aux lectrices et aux lecteurs moins familiers du genre science-fictif, en se contentant de suivre la triste litanie des rapports du GIEC poliment (ou pas) entendus sans déclenchement réels d'actions, ce qu'égrènent au fil des ans les COP numérotées, montagnes encore et toujours accoucheuses de souris, dans la difficulté.

Publié en 2017, traduit en français en 2018 par Sara Doke, toujours au Diable Vauvert, le troisième et dernier tome de la trilogie en constitue l'apothéose naturelle. Personnage d'arrière-plan dans le premier tome, fil conducteur de moins en moins souterrain dans le deuxième, le personnage de Tool, l'augmenté, l'un de ces nombreux humains génétiquement lourdement modifiés pour être plus forts et plus redoutables, au service des multinationales qui les ont brevetés, est cette fois pleinement sous les sunlights. En travaillant au corps et aux tripes les rebondissements inattendus d'une fort hégélienne dialectique maître-serviteur devenue folle et inopérante, Paolo Bacigalupi offre une conclusion à la fois logique et presque métaphysique à sa trilogie : questionnant de très près la différence entre l'arme et le tueur, entre le monstre et l'humain (qui, bien entendu, ne peuvent pas être définis aussi simplement que ce qu'impliquerait à première vue la légèreté souveraine et néanmoins avide du capitalisme tardif), entre la liberté et la servitude – qu'elle soit « librement » consentie ou absolument pas, il propulse sa narration à des sommets auparavant insoupçonnables (et pas uniquement du fait de scènes rugissantes à bord d'un dirigeable quartier général d'entreprise évoluant dans la haute atmosphère).

Avec ce très fort roman offert en guise de conclusion à cette redoutable trilogie de chair et de métal, de gènes et de rouille, de carburant résiduel et d'antiquités recherchées, Paolo Bacigalupi démontre à nouveau, s'il en était vraiment besoin, à quel point il dispose d'un talent fort rare dans la littérature d'imaginaire contemporaine, celui de pouvoir dépeindre un univers corporate certes, fort logiquement, extrapolé, mais doté d'un réalisme aussi minutieux que paradoxal – ce que le coup de tonnerre de « La fille automate » en 2009 avait déjà largement établi, mais qu'il pousse ici à un degré cruel et intelligent de raffinement. Si l'on y ajoute son refus méticuleux du manichéisme, quand il s'applique à doter tous ses personnages ou presque de complexes contradictions internes, et son art de laisser toute la violence des dominations se refléter dans sa narration, sans complaisance aucune, mais sans se voiler la face, on comprendra que cette trilogie en général, et ce troisième tome en particulier, s'inscrivent dans une littérature d'aujourd'hui qui compte réellement, pour notre plus grand plaisir ambigu de lectrice ou de lecteur, toujours.

Avec cette trilogie encore toute récente, Paolo Bacigalupi nous passionne encore et toujours. Héritier génétique du cyberpunk des années 1985-1995, il a su, comme quelques-uns de ses confrères (on songera certainement aux grands William Gibson et Neal Stephenson, voire à Cory Doctorow), se saisir de tout l'ADN prometteur de ce sous-genre qui fut décisif en son temps et au-delà, en ne se contentant jamais – comme trop de « continuateurs » des mythiques verres miroirs – de ressasser des motifs peu à peu vidés de leur sens et devenant de plus en plus purement ornementaux, et s'en saisir d'une manière tout aussi profondément politique que celle d'un China Miéville, même si son terrain de jeu personnel présente des caractéristiques bien différentes. Et c'est ainsi qu'il contribue tant, encore, à notre plaisir et à faire de la science-fiction l'une des littératures les plus essentielles qui soient.
Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          40
Salut les Babelionautes
je viens de refermer "Machine de Guerre" de Paolo Bacigalupi qui fait suite a "Ferrailleurs des mers" et "Les cités englouties" qui racontais deux histoires sans lien apparent a part la présence de Tool, l'homme génétiquement modifié.
On le retrouve dans ce troisième roman, toujours dans cet Univers Post-Apo, et la ont s'aperçoit que c'est lui le personnage principal.
Au début on ne sait pas comment il a put contourner son conditionnement mais petit à petit tout s'éclaire au fil des pages.
Les deux premiers sont en fait des hors-d'oeuvre pour mieux savourer le plat principal que constitue "Machine de Guerre".
On y retrouve aussi deux des personnages de "Ferrailleurs des mers" et plusieurs enfants Soldat du tome deux, car c'est une trilogie qui ne le dit pas.
J'ai vraiment aimé la plume de Paolo Bacigalupi , Superbement traduite par Sara Doke que je remercie pour son travail.

Commenter  J’apprécie          110
Je publie des chroniques littéraires sur lavisqteam.fr et celle de ce roman est présente au lien suivant : http://www.lavisqteam.fr/?p=45807

J'ai mis la note de : 13/20

Mon avis : Machine de guerre constitue le tome trois de la saga des Ferrailleurs des mers, une dystopie noire, haletante sur fond de conflits technologiques et sociaux, dans un monde dévasté par le réchauffement climatique et la montée des eaux. Après Les cités englouties, qui décrivaient les batailles intenses menées par Tool, un augmenté aux allures d'homme-bête, homme-chien, et ses armées d'enfants, Machine de guerre met en avant la lutte de Tool pour échapper à ses maîtres, à son ancienne vie et à sa condition d'esclave. Une rébellion finalement peu originale mais nécessaire.

Machine de guerre rappelle les évènements des précédents tomes, de sorte qu'il reste possible de lire ce roman sans avoir lu les deux autres, bien que cela soit préférable pour comprendre toutes les références. Les personnages des deux premiers tomes se réunissent dans cet ouvrage, pour clore une série mouvementée, sombre, menée tambours battants.

Ceux du premier tome sont davantage mis en valeur, dans la seconde partie du roman, tandis que les autres, les enfants des cités englouties, figurent surtout auprès de notre héros lors de la première partie. Tous ont leur part d'utilité, et tous aideront Tool à se sortir de ses carcans et à se préparer pour aller combattre ses Dieux. Les relations d'amitié sont touchantes, déchirantes et pleines d'espoir dans un monde où rien ne laisse à imaginer qu'il fera beau le lendemain.

L'environnement reste sombre, glauque à souhait, et malsain. Les âmes sensibles n'apprécieront sans doute pas les passages les plus sanglants, ou les plus violents psychologiquement. Les ennemis de Tool, des généraux humains aux coeurs d'acier, constituent d'ignobles personnages, avides de pouvoir et d'argent, que l'on apprend rapidement à détester. Une femme se détache du lot, grâce à ses principes moraux et à ses besoins d'épargner des innocents. Ses combats intérieurs contre un gouvernement qui la cloisonne sont plutôt prenants mais restent malheureusement trop peu développés pour amener à des situations marquantes.

Tool est un héros atypique qui aurait mérité certainement bien plus de trois romans pour que nous puissions le comprendre dans son ensemble, assimiler ses pensées, ses angoisses ou ses préoccupations, tant il est différent des humains que nous côtoyons. Plus vif, plus souple, aussi bien physiquement que mentalement, il est capable de choses terrifiantes comme époustouflantes. Certains personnages le craignent quand d'autres l'admirent. Cette ambiguïté donne une dimension plutôt surnaturelle au personnage principal, car le lecteur a du mal à le cerner.

La saga Ferrailleurs des mers n'hésite pas à critiquer les manipulations génétiques, et la création de Tool, cet augmenté aux capacités incroyables, permet à l'auteur d'en montrer les aspects les plus négatifs, voire les plus dangereux pour l'humanité. Les messages portés, bien que pas assez approfondis dans ce tome, amènent toutefois des réflexions intéressantes, d'actualité, dans un monde où la technologie et les sciences ne cessent d'évoluer.

Machine de guerre nous plonge dans le passé de Tool, via de petits flash-backs plutôt bien amenés. Son passé d'esclave trouble et perturbe devant les épisodes abominables de ces petites tranches de vie. L'augmenté, malgré toute la crainte qu'il inspire, en devient de plus en plus attachant. le lecteur comprend son besoin de liberté, cette envie irrépressible de s'émanciper et de détruire ceux qui lui ont fait du mal, ceux qui l'ont soumis et ceux qui l'ont créé. Ce récit constitue le combat de Tool, une bataille qui semble perdue d'avance et qui se terminera dans les flammes. L'auteur parvient à rendre son personnage énigmatique attachant, et cela n'était pas gagné d'avance.

Le rythme du roman n'étonne guère, comme la fin, malgré ses combats assez épiques. Les batailles s'enchaînent sans nous donner beaucoup de scènes de répit, les passages avec les généraux ressemblent à de gros clichés sur les gens de pouvoir, les scènes dans les cités englouties lassent et se répètent, quand les discussions politiques amènent quelques dialogues bien tournés. le climat ambiant est pesant, très sombre et les descriptions des personnages restent superficielles, de telle sorte que seul Tool apparaît comme une personne complexe. Peut-être était-ce là le souhait de l'auteur, afin que nous puissions mieux comprendre les crises identitaires de son héros ?

Machine de guerre constitue une fin de dystopie intéressante sur le thème de l'identité et de la génétique, quoique peu rafraîchissante et originale, nous redonnant à lire des scènes de rébellion déjà vues et revues, et accumulant trop de scènes de guerre. Les relations des différents personnages restent agréables à suivre, et Tool porte le roman, grâce à sa personnalité insaisissable.
Lien : http://www.lavisqteam.fr/?p=..
Commenter  J’apprécie          20
👉 La bête reste solidement charpentée et très largement divertissante même si nous tombons ici dans quelque chose de bien plus prémachouillée.

Je suis peut-être passé un peu à côté. Tool était très bien en personnage secondaire, je lui trouve par contre la couenne un peu dure dans la peau du personnage principal.
Sa capacité à ne pas mourir étant éventée dès le début, il survit à l'insurvivable sans trop comprendre comment... ben j ai réalisé qu'ensuite je ressentais plus de suspens quand j'ouvrais mon frigo qu'en lisant le bouquin.

Voilà, ça reste sympa mais c'est, à mon sens, pour le moment la production la moins aboutie que j'ai eu à lire de cet auteur. On frise parfois le granguignole, il se la joue un peu facile quoi!.
C'est dommage.
Ou alors, c'est peut-être juste moi aussi qui cherchait sa rudesse épurée et coutumière alors que lui (l'auteur) cherchait plus le grand spectacle et un certain laisser- faire... bref les rencontres ne peuvent avoir lieu à chaque bouquin.

#machinedeguerre #sciencefiction
Commenter  J’apprécie          60
Voilà une trilogie enfin bouclé.
Un excellent tome. Tout comme les deux précédents.
Nous retrouvons tous nos héros. Et notre mi-bête préféré Tool. Qui va décider d'arrêter de fuir après un bombardement des citées englouties. Il part en guerre contre ses créateurs et va finir par se rappeler pourquoi ses créateurs le pourchasse.
Commenter  J’apprécie          24

Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Mercier n’avait pas recruté Arial Madalena Luiza Jones pour qu’elle emmerde le monde. On l’avait engagée parce qu’elle avait explosé les scores du MX.
Alors, laisse tomber.
Pourtant, ça la dérangeait. Elle avait toujours été curieuse, obsédée par des questions et quand son esprit s’accrochait à quelque chose, c’était difficile de l’en décrocher.
Elle réfléchit, pensa à l’augmenté. Une vérification de routine à succès et Caroa s’était soudain intéressé à elle, lui avait demandé de dérouter les drones, ordonné de rapprocher leurs équipements de l’Atlantique nord des côtes au cas où il aurait besoin de plus de force de frappe.
Elle avait demandé au général quelle compagnie méritait leur attention, qui dirigeait les activités de l’augmenté mais Caroa avait répondu par une rebuffade, dit que ça n’avait pas d’importance.
D’après elle, l’augmenté devait travailler pour une société qui voulait reprendre le marché de la récupération dans les Cités englouties. Lawson & Carlson ou un autre. Mais ça n’avait pas de sens non plus. Les activités d’un unique augmenté dans l’un des innombrables trous à rats sans importance du monde étaient triviales comparées aux genres d’opérations que Caroa menait habituellement. Cet homme envoyait des milliers d’augmentés au combat conquérir de nouveaux territoires, étouffer des rébellions et reprendre des ports d’eau profonde. Caroa organisait les monopoles militaires du commerce maritime du pôle Nord fondu, il ne perdait pas son temps avec un unique augmenté dans une zone de récupération oubliée.
Sauf qu’à présent, il le faisait.
Donc, au lieu de s’inquiéter de savoir si Mercier allait perdre le contrôle de ses mines de lithium au Pérou, Jones s’inquiétait de la survie d’un vaisseau de contrebande de fer blanc venant du trou du cul du monde. Elle retourna à son bureau en fronçant les sourcils. Elle sirotait son expresso avec une grimace en débloquant ses fichiers de recherche.
Des listes de bateaux se déroulèrent sur l’écran, des clippers de classe Mante qui avaient jeté l’ancre dans des dizaines de ports de l’Atlantique, de Reykjavik à Rio de Janeiro. Même les ports les plus proches renfermaient des centaines de navires du même type. Jersey Orleans. Seascape Boston. Mississippi Metro. Récif de Miami. Ils étaient peut-être allés plus loin. Vers Londres ou Lagos. Avec un bateau de classe Mante, le monde entier était à portée de voile. Ils pouvaient tout aussi bien se diriger vers l’île de Shanghai.
Elle étudia les quelques captures d’écran dont elle disposait. Des images lointaines et pixellisées. Elle n’avait pas dirigé le Rapace sur le clipper pendant ses surveillances, il n’y avait donc qu’une petite série de bonnes prises, dix secondes de tournage pour le drone.
Jones repassa les images, se pencha inconsciemment pour regarder l’écran même si cela ne rendait pas les photos plus claires.
Des enfants soldats portant les couleurs de l’augmenté transportaient une cargaison quelconque, de forme étrange. Une jeune femme à la peau et aux cheveux sombres semblait les superviser. Ses traits semblaient venir d’Asie orientale mais n’étaient ni vraiment chinois, ni vraiment japonais, plus africains, en fait. Un mélange de Chinois et des Cités engloutie peut-être ? Une orpheline abandonnée par les casques jaunes qui avaient tenté de remettre de l’ordre dans le coin ?
On aurait dit que la fille était en charge de la cargaison, même si elle n’avait pas l’air plus âgée que Jones. Mais tout le monde dans les Cités englouties était jeune. Les vieux avaient été abattus des années auparavant. Celle-là semblait bien abîmée. Jones essaya d’affiner la résolution de l’image. La fille avait une cicatrice sur une joue qui ressemblait à un insigne de milice. Jones ouvrit ses fichiers de recherche.
Commenter  J’apprécie          10
Le drone volait en cercles loin au-dessus des ravages de la guerre.
Il n’était pas là une semaine plus tôt. Une semaine plus tôt, les Cités englouties ne valaient pas la peine qu’on les mentionne, encore moins qu’on envoie un drone les surveiller.
Les Cités englouties : littoral rendu marécageux par la montée des eaux et les haines politiques, lieu de décombres et d’incessants échanges de feu. Autrefois fière capitale, les gens qui alors circulaient dans ses couloirs de marbre dominaient une bonne partie du monde. Aujourd’hui, l’endroit avait à peine sa place sur les cartes, et encore moins au cœur des réunions des personnes civilisées. Les histoires qu’elles avaient contrôlées, les territoires qu’elles avaient gouvernés, tout avait été perdu à mesure que ses habitants sombraient dans la guerre civile – avant d’être oubliés.
Pourtant, un drone de surveillance de classe Rapace les survolait à présent.
Maintenu à distance par des courants humides et chauds, il observait les jungles impénétrables et les côtes érodées. Il tournait en ronds, les ailes déployées pour profiter des vents tièdes de l’océan Atlantique. Ses caméras passaient sur les marais emmêlés de kudzu et les étangs émeraude infestés de moustiques. Son regard s’attardait sur les monuments de marbre, les flèches, les dômes et les colonnes abattues, le squelette désarticulé de la grandeur de la ville.
Au début, les rapports avaient été écartés, ce n’était que récits de réfugiés rendus fous par les guerres : un monstre menant les enfants soldats à la victoire ; une bête immunisée contre les balles démembrant ses adversaires. Une immense créature sauvage qui exigeait un tribut sans fin de crânes ennemis.
Au début, personne n’y croyait.
Mais plus tard, des photos satellite floues montrèrent les bâtiments en feu et les déplacements des troupes, confirmèrent les témoignages les plus extravagants. Le drone fut donc lancé en chasse.
Le vautour électronique tournait, paresseux, lointain. Son ventre regorgeait de caméras, de senseurs de chaleur, de micros laser et d’équipements d’interception radio.
Il photographiait les ruines historiques et ses habitants barbares. Il écoutait les brèves communications radio, analysait les mouvements de troupes, le rythme des explosions. Il traquait les lignes de feu et enregistrait le morcellement des soldats ennemis.
Et au loin – de l’autre côté du continent, les informations rassemblées par le Rapace atteignaient ses maîtres.
Là flottait un grand dirigeable, majestueux au-dessus de l’océan Pacifique. Le nom inscrit sur son flanc était aussi grandiose que le vaisseau de guerre lui-même : Annapurna.
Un quart de la planète séparait l’aéronef de commandement et le Rapace d’espionnage, pourtant les informations arrivaient en un clin d’œil et déclenchaient l’alarme.
– Mon général !
L’analyste s’écarta de ses écrans de contrôle, clignant des paupières, essuya la sueur de son front. Le Centre stratégique de renseignement global de Mercier Corporation irradiait de chaleur à cause des équipements informatiques et des analystes serrés coude à coude, occupés à leurs propres opérations. Le murmure de leur travail emplissait la pièce, accompagné des gémissements épuisés des ventilateurs qui luttaient pour rafraîchir les lieux.
À bord de l’Annapurna, on accordait plus d’importance à l’efficacité spatiale et à la vigilance maximale qu’au confort, tout le monde transpirait donc et personne ne se plaignait.
– Mon général ! appela de nouveau l’analyste.
Elle avait, au début, détesté la chasse au dahu qu’on lui avait confiée – succession de petites tâches quand ses confrères en renseignement ourdissaient des révolutions, massacraient des insurgés et luttaient contre la spéculation sur les marchés du lithium et du cobalt. Ils s’étaient moqués de sa mission – au mess, dans les chambrées, dans les douches -, la chahutaient sous prétexte qu’elle ne participait pas au dessein global, lui rappelaient que ses primes trimestrielles seraient réduites à zéro puisqu’elle ne contribuait pas aux profits de la société.
Elle était secrètement et amèrement d’accord avec eux. Jusqu’à cet instant.
– Général Caroa ! Je pense avoir quelque chose.
Commenter  J’apprécie          00
– Au sang, murmura le général Caroa. Au sang et à l’histoire.
Et à la fin du cauchemar.
Il leva un verre de cognac vers la vue de la fenêtre de sa salle de commandement.
Six mille mètres plus bas s’étalait le Pacifique éclairé par la lune. De sa hauteur, Caroa pouvait presque s’imaginer regarder une planète extraterrestre, des mers de mercure scintillant à ses pieds – un lieu sombre encore à découvrir.
Ce que la Terre était devenue à tout point de vue. Une grande partie du monde avait reculé à la fin de l’ère accélérée, s’était effondrée sous les désastres. Sécheresses et inondations. Ouragans. Épidémies et catastrophes agricoles. La faim et les guerres de réfugiés avaient ravagé la planète et laissé de vastes étendues à la ré-exploration humaine. Et il avait mené cette charge.
Il avait forgé de nouveaux territoires, réprimé des soulèvements et apporté la force gouvernementale de Mercier à tout ce désordre pendant plus de trois décennies. Sa salle de commandement était grande, comme il convenait à un homme de son rang, décorée des trophées de ses campagnes : un tapis en mémoire de l’offensive nord-africaine pour contrôler le canal de Suez ; une dague taillée dans l’os d’une baleine ramassé après les combats pour les droits sur le Passage du Nord-Ouest. Sur une étagère, des bouteilles de liqueur rappelant les guerres agricoles françaises brillaient au-dessus d’une autre planche couverte de livres imprimés sur du vrai papier, Sun Tzu, Clausewitz et Shakespeare, certains très anciens et d’autant plus luxueux considérant les contraintes de poids et d’espace d’un dirigeable de classe Narval. L’Annapurna pouvait transporter près de cinq mille âmes. Elle demandait un équipage de commandement et d’ingénierie de cinq cents personnes et emmenait un contingent de deux mille marines Raid éclair. Elle possédait des installations de lancement et de drones, des centres logistiques, de renseignement et de commandement sous la direction de Caroa.
L’influence du général s’étendait sur un quart de la planète – les Amériques, de pôle à pôle – depuis ses bureaux, grâce à ses yeux et ses oreilles électroniques liés aux satellites et aux communications avec les troupes et les flottes, selon les désirs de Mercier.
L’écusson de sa première compagnie présentait des augmentés enragés rampant et les mots : Mercier Raid Éclair.
Sous l’image, la phrase qui avait guidé sa carrière était brodée en lettres d’or. Feritas – Fidelitas : Férocité – Fidélité.
Il caressait l’écusson et se demandait si ses cauchemars avaient vraiment pris fin.
Loin sous ses pieds, la côte noire du protectorat CalSud de Mercier s’étendait vers le nord. Il apercevait les ruines piquetées de feux de camp de l’ancienne Los Angeles, accentués par le collier scintillant des tours gratte-ciel de Mercier qui longeaient le bord de la baie.
Il lui avait fallu une vie entière pour arriver aussi haut. Il n’existait quasiment aucun échelon au-dessus de lui dans les rangs de l’entreprise. Tout ce qui lui restait réellement était une promotion au comité exécutif de la société, un directorat au conseil permanent où l’élite de Mercier délibérait sa stratégie depuis l’un des bâtiments les plus hauts de Los Angeles.
S’il devait avoir une promotion, étrangement, il devrait perdre de la hauteur.
Amusé par cette pensée, Caroa rejoignit son bureau et vérifia ses écrans une dernière fois.
Le ComEx s’inquiétait d’accrochages dans l’Arctique, SinoCor mettait probablement la pression sur les opérations de forage et il y avait toujours le problème de piraterie dans le Passage du Nord-Ouest, la TransSiberia et ses soldats inuits tentaient de « taxer » les navires qui traversaient les pôles. C’était irritant, surtout quand ses forces étaient déployées dans le sud, sur les plaines de lithium dans les Andes. Déplacer les troupes d’un bout du monde à l’autre, même avec la flotte de dirigeables de Mercier, prendrait du temps. Au moins les soldats étaient déjà équipés pour le froid.
Il éteignit l’écran. Ça pouvait attendre. Il pouvait, pour une fois, se détendre et profiter des avantages de sa profession. Il tendit la main vers le cognac.
Le comm sonna.
Commenter  J’apprécie          00
Six mille mètres plus bas s'étalait le Pacifique éclairé par la lune. De sa hauteur, Caroa pouvait presque s'imaginer regarder une planète extraterrestre, des mers de mercure scintillant à ses pieds - un lieu sombre encore à découvrir.
Ce que la Terre était devenue à tout point de vue. Une grande partie du monde avait reculé à la fin de l'ère accélérée, s'était effondrée sous les désastres. Sécheresses et inondations. Ouragans. Epidémies et catastrophes agricoles. La faim et les guerres de réfugiés avaient ravagé la planète et laissé de vastes étendues à la ré-exploraiton humaine.
Commenter  J’apprécie          10
Les Cités englouties : littoral rendu marécageux par la montée des eaux et les haines politiques, lieu de décombres et d'incessants échanges de feu. Autrefois fière capitale, les gens qui alors circulaient dans ses couloirs de marbre dominaient une bonne partie du monde. Aujourd'hui, l'endroit avait à peine sa place sur les cartes, et encore moins au cœur des réunions des personnes civilisées.
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Paolo Bacigalupi (10) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Paolo Bacigalupi
Vous pensiez ne pas aimer la littérature de l'imaginaire ? Détrompez-vous ! Voici une sélection de 5 livres qui vont vous faire aimer la science fiction, le fantastique et la fantasy.
Retrouvez les livres sur Babelio : 'Jonathan Strange et Mr Norrell' de Susanna Clarke : https://www.babelio.com/livres/Clarke-Jonathan-Strange-et-Mr-Norrell/4327 'Le maître du haut château' de Philip K. Dick : https://www.babelio.com/livres/Dick-Le-maitre-du-haut-chateau/4031 'La fille automate' de Paolo Bacigalupi : https://www.babelio.com/livres/Bacigalupi-La-fille-automate/343518 'Qui a peur de la mort ?' de Nnedi Okorafor : https://www.babelio.com/livres/Okorafor-qui-a-peur-de-la-mort-/524959 'American Gods' de Neil Gaiman : https://www.babelio.com/livres/Gaiman-American-Gods/6910
Abonnez-vous à la chaîne Babelio : http://bit.ly/2S2aZcm Toutes les vidéos sur http://bit.ly/2CVP0zs Suivez-nous pour trouver les meilleurs livres à lire : ?Babelio, le site : https://www.babelio.com/ ?Babelio sur Twitter : https://twitter.com/babelio ?Babelio sur Facebook : https://www.facebook.com/babelio/ ?Babelio sur Instagram : https://www.instagram.com/babelio_/
+ Lire la suite
autres livres classés : apocalyptiqueVoir plus
Les plus populaires : Imaginaire Voir plus


Lecteurs (97) Voir plus



Quiz Voir plus

Les plus grands classiques de la science-fiction

Qui a écrit 1984

George Orwell
Aldous Huxley
H.G. Wells
Pierre Boulle

10 questions
4868 lecteurs ont répondu
Thèmes : science-fictionCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..