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La passeuse d'histoires » est une chronique familiale qui fait voyager le lecteur en l'Inde au temps de l'occupation britannique, dans les années 30 et 40.
Le titre a retenu mon attention. J'aime lorsque les histoires sont un pont entre hier et aujourd'hui, qu'elles sont le reflet de nos vies et nous incite à réfléchir sur notre parcours, nos attentes.
Il est question d'héritage familial, du poids des secrets et des non-dits, mais ce récit est aussi porteur d'un message d'espoir et de résilience.
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Dévastée à la suite d'une troisième fausse couche, et la lente érosion de sa vie de couple, Jaya, une jeune new-yorkaise ne trouve aucun secours auprès de sa mère distante et froide. Perdue, désorientée, malheureuse, elle décide alors de partir, seule, en Inde, le pays natif de sa mère, souhaitant trouver des réponses aux nombreuses questions qu'elle se pose sur l'attitude indifférente de sa mère et rêvant par la même occasion d'un nouvel élan dans sa vie.
« Ici, on croit que quand la lune cache le soleil, les ténèbres peuvent se répandre dans notre monde… Mais ce n'est pas toujours au soleil de nous éclairer. Dans l'obscurité, nous devons chercher les étoiles, car leur éclat a un pouvoir spécial. »
C'est ainsi que la jeune femme découvre la maison familiale et rencontre Ravi, le fidèle serviteur d'Amisha, sa grand-mère décédée bien avant sa naissance.
La beauté de ce roman est dans ses personnages attachants et touchants. Ravi est un intouchable. Il va l'éclairer sur son histoire familiale et sur le destin d'Amisha qu'il a soutenu tout au long de sa vie, avec reconnaissance et dévotion. Bienveillant et lucide, il a un discours rempli de sagesse et d'une douce moquerie, mais sans jamais être moralisateur.
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Le scénario oscille entre deux époques qui s'entrecroisent et se font écho, celle d'Amisha une dizaine d'années avant l'indépendance de l'Inde, et celle de sa petite-fille aujourd'hui.
« Dans ma tête, l'histoire d'Amisha et la mienne se mêlent. Tous ces choix qu'elle n'a pas pu faire, toute la liberté dont j'ai disposé… Tous les chagrins qui l'ont secouée, tous ceux que j'ai fait mine d'ignorer… La femme admirable qu'elle était, celle que je ne suis pas… »
L'écriture est agréable et fluide.
Difficile de ne pas être emporté par le récit de Ravi qui dresse un beau portrait d'Amisha. Cette jeune femme fascinante s'est battue pour vivre ses rêves sans trahir ses convictions, ses origines et sa famille. Ses espoirs, sa soif de liberté, son désir de s'exprimer ouvertement, elle les a transformés en histoires.
« L'écriture n'était peut-être pas un mal à dompter, mais un don, à chérir et à protéger. Ses histoires étaient son seul passeport vers des endroits qu'elle n'avait jamais visités. Sans elles, elle serait toujours piégée ici, dans son village. »
« Il était une fois un oiseau qui voulait voler tout seul, loin des autres… »
Je ne souhaite pas en dire davantage, et je vous encourage à ne pas aller lire le résumé de l'histoire qui divulgue à mon avis l'essentiel de l'intrigue.
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Mais, malheureusement, même sans lire la quatrième de couverture, l'intrigue est, à mon sens, trop prévisible et le lecteur comprend très vite comment l'histoire va se terminer. Malgré le manque de rebondissements et de crédibilité à certains moments, je ne me suis ennuyée à aucun moment et la fin du récit de Ravi est douloureusement belle.
Mon intérêt s'est porté sur la culture et les coutumes indiennes. L'auteure décrit la campagne, les paysages, les odeurs, la cuisine, la vie des indiens, leurs fêtes.
La femme figure au premier plan. L'auteur livre là une belle réflexion sur le statut des femmes indiennes et dénonce leur condition de vie, leur infériorité sociale, l'atteinte à leur liberté individuelle, les violences faites à leur encontre, le poids des traditions patriarcales soutenues par une religion injuste et asservissante, les fortes inégalités de genre dans l'accès à l'éducation, la pratique de la dot et le mariage forcé des jeunes filles à peine pubère.
« Et si les traditions n'étaient que des excuses pour ne pas changer les choses ? »
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Pour conclure, «
La passeuse d'histoires » est un voyage littéraire dépaysant mais sans surprise.
Mêlant romance et secrets, ce récit donne vie à de beaux personnages féminins, à l'image de cette grand-mère atypique qui, bien que soumise à l'autorité familiale, m'a touchée par sa volonté de lutter contre les préjugés.
Ainsi,
Sejal Badani envoie un message fort, dénonçant la place des femmes dans la société indienne et appelant à une société plus égalitaire, respectueuse et tolérante.
Cette lecture n'a pas été un coup de coeur pour moi, mais je vous engage à aller lire les chroniques de Ladybirdy et Yvan_T que je remercie pour leurs superbes critiques qui m'ont incitée à lire ce roman.