Délos, sur la carte marine de la mer Egée est peu de chose, 3,5 km² de superficie et, en 2021, on lui concède une vingtaine d'habitants dont la mission est de garder cette île rocheuse inscrite au patrimoine mondial.
Mais à son apogée, certains pensent, après moult recherches archéologiques et philologiques, qu'au second siècle de notre ère, elle aurait abrité pas moins de 20 000 habitants !
Pourquoi parler ainsi de Délos à propos du livre de
Bertrand Badié ? Parce que Délos a été le sanctuaire sacré d'Apollon fils de Zeus et de Léto qui échoua sur Astéria, un rocher que personne ne distinguait vraiment de la surface des flots, jusqu'au jour où Astéria fut éclairée et devenue VISIBLE (DELOS) selon la promesse faite par Leto audit rocher.
J'adore la poésie des mythes ! Dès lors, Délos que tout le monde pouvait distinguer désormais au sein des Cyclades, est devenu l'un des sanctuaires les plus importants de la Grèce antique. Et cet îlot minuscule, géographiquement rien, occupe une place considérable dans l'histoire de l'Occident après avoir occupé une place extraordinaire dans l'histoire de la Grèce en général et d'Athènes en particulier.
On se rapproche du livre de
B. Badié. En effet, l'auteur a entrepris de nous enseigner l'évolution séculaire de l'hégémonie. Or celle-ci trouve sa naissance dans la ligue de Délos, c'est-à-dire, dans cette alliance entre les cités grecques qui voit le jour, à Délos, au Vème avant JC, en - 477 plus exactement, afin de se prémunir contre les Perses.
Thucydide donne en quelque sorte la définition de l'hégémonie, point de départ de la démonstration de
B. Badié : l'hégémonie, consiste à conférer à un hégémon, de façon volontaire, une domination sur tous les membres de la ligue, aux fins de protection. C'est ainsi que la plupart des cités grecques ont confié à Athènes la responsabilité de leur destinée et, par là-même, la domination sur celle-ci.
Et
Thucydide de faire la démonstration qu'Athènes en a profité plus que de raison, et que, au fond, ce qui semblait une abdication volontaire, n'a pas manqué de provoquer des regrets et autre ressentiment ; du reste, Sparte n'a jamais fait partie de la ligue. En d'autres termes, l'hégémonie qui apparaît comme une soumission volontaire au plus fort, a connu, dès l'origine, une certaine contestation. Cette contestation,
Bertrand Badié démontre avec brio, qu'elle a toujours affecté les visées hégémoniques des empires et des Etats.
L'auteur, à travers le prisme de la contestation permanente de l'hégémonie, nous gratifie d'un véritable cours sur l'histoire des relations internationales jusqu'à la mondialisation actuelle, et démontre, par la même occasion, que l'hégémonie n'a jamais pu trouver son accomplissement dans l'histoire moderne. Parler, par conséquent, d'hégémonie lors des épisodes de domination qu'a connus L'Histoire, n'est-ce pas se référer à un mythe ?
En effet, toutes les dominations d'une puissance sur d'autres peuples se sont accompagnées d'une contestation. C'est d'ailleurs, la contestation du Saint-empire romain germanique qui a été à l'origine du système westphalien (Traité de Westphalie du 24 octobre 1648) lequel marque la naissance en Europe, d'Etats souverains, territorialement distincts les uns des autres et établissant entre eux des rapports égalitaires. Ce qui, malgré les tentatives d'affirmation de puissance ou de prééminence (exemple la politique de Louis XIV), n'a plus rien à voir avec une volonté de remettre son destin volontairement entre les mains d'un hégémon.
L'analyse permet, ainsi, de décortiquer les tentatives plus ou moins importantes d'hégémonie telles que l'empire napoléonien ou l'empire britannique. Ce dernier a semblé exercer une hégémonie à caractère libéral et commercial, mais a dû faire face au processus de décolonisation ; et l'hégémon de tenter le maintien de son influence à travers le Commonwealth.
Au sortir
de la guerre, en 1945, on a pu croire à une hégémonie sans partage des USA. Mais du : sans partage, on est passé à une hégémonie partagée avec l'URSS, où chacun exerçait sa puissance dans son aire d'influence ; il y avait deux camps et deux hégémonies. L'Europe occidentale se mettait, alors, volontairement sous la protection de l'hégémon américain.
Mais l'histoire ne s'arrête pas là, la décolonisation entraîne une transformation des rapports entre les anciennes puissances et les pays "neufs" aux contours, souvent artificiels et aux revendications à une certaine autonomie par rapport au modèle proposé par les "grands et les "petits" hégémons ; de là, l'émergence des pays du Sud, souvent non-alignés et qui ne veulent plus être enfermés dans des modèles de développement économiques, culturels, etc., que leur imposerait un Occident qui maintient ses visées universalistes avec son modèle de gouvernance, la démocratie, et de développement, l'économie de marché.
Avec l'effondrement du bloc soviétique, l'avènement de la mondialisation, le développement formidable de la technologie de la communication, l'hégémonie se morcelle, l'hégémon américain n'en profite pas véritablement en raison, notamment, de ces guerres perdues et des contestations de l'intérieur dont il est parfois l'objet.
On pourrait croire, du reste, que l'hégémonie se privatise avec l'arrivée des grandes entreprises transnationales qui imposent leur puissance technologique non seulement aux peuples, mais aussi aux Etats. Dans le même temps, on assiste à un retrait de l'hégémon américain, à un repli isolationniste au cours de la période "trumpiste", qu'accompagne le développement du multilatéralisme rendant incertain toute visée hégémonique.
Ce retour vers un souverainisme contestant la mondialisation s'observe un peu partout.
Une contestation qui s'enrichit de toute sorte de protestations sur le climat, la protection de l'environnement, etc. Cette contestation, pour localisée qu'elle soit, a la particularité de s'inviter sur la scène internationale, ce qui lui donne une audience inédite et oblige les Etats à réagir dans un jeu de relations internationales qui ne les autorise pas à faire n'importe quoi.
Retour sur soi, avènement d'une période post-hégémonique dans laquelle, il semble, d'après l'auteur, que les anciennes puissances raisonnent encore selon les modèles où le système westphalien prédominait, alors que la Chine, dont la puissance ne cesse de croître, s'inscrit dans une perspective non hégémonique mais de coopération, d'influence et de "rayonnement" ayant pour objectif une affirmation de puissance qui se pose là.
Brillant, à tous points de vue, car l'auteur éclaire d'un jour nouveau les relations internationales.
Pat