Dans "
Les Corps Conjugaux", la plume de Sophie de Baere, poétique, tantôt sensible tantôt acérée, m'a captée dès les premières lignes. On entre d'emblée dans l'histoire d'Alice (Alizia), une fillette issue d'une famille d'émigrés napolitains investie avec narcissisme par sa mère possessive et aigrie depuis l'abandon du domicile familial par son époux qui la laisse alors seule pour gérer les trois enfants dont un porteur d'un handicap mental.
Malgré quelques personnages trop manichéens à mon goût, les ambivalences et imperfections de la plupart des protagonistes sont analysées avec finesse, ancrées dans une exploration psychologique et sociologique profonde. le roman offre ainsi une réflexion poignante sur des thèmes universels tels que l'identité, les tabous sociétaux, les secrets de famille, la transmission, la culpabilité, la honte, le libre arbitre, le sacrifice, le deuil, le désir sexuel, le désir d'enfant et… l'amour sous toutes ses formes (conjugal, charnel, fraternel, maternel,…).
Même si je n'ai pas nécessairement adhéré au choix effectué par Alice, j'en ai compris les raisons et j'ai trouvé intéressant qu'elle soit capable (mue par des raisons dramatiques, ça biaise évidemment les choses) de rompre le cycle de l'égoïsme, de la malveillance et de la possessivité maternelles qu'elle avait vécues elle-même pour offrir à sa propre fille le bonheur qu'elle espère pour elle. Une belle manière de l'auteure de montrer qu'il est possible déconstruire un héritage familial. Ceci dit, ça n'a pas nécessairement marché et elle reproduit, en revanche, ce que son propre père a fait...dommage de sous-estimer les conséquences chez un enfant du traumatisme de l'abandon, mais je ne veux pas spoiler.
En dépit de ses qualités indéniables, ce livre n'est pas exempt de défauts dont quelques grosses ficelles peu probables mais surtout, j'ai été déconcertée par le virage abrupt pris par le récit vers une tragédie sombre et dérangeante. Cette rupture inattendue m'a laissé un sentiment de confusion, comme si l'histoire s'était soudainement échappée de son essence initiale ou en tout cas de celle que j'avais imaginée. Je me suis presque sentie flouée, trompée sur la marchandise mais il faut dire que j'ai abordé le livre sans aucun a priori et sans même avoir lu la quatrième de couverture.
En fin de compte, mon avis sur ce roman est teinté d'ambivalence. Si certains aspects m'ont déçue et mise mal à l'aise, je reste néanmoins curieuse de découvrir les autres romans de Sophie de Baere dont le talent d'écrivaine et la capacité à questionner notre part d'humanité et à explorer les recoins les plus sombres de l'âme humaine sont prometteurs.