La trouée bleue

Au fil de ses visites, un fils s'adresse à son père aphasique, «être dépourvu de parole», hospitalisé, en fin de vie. Construit au fil de notations sans ponctuation, plus ou moins courtes, successives et séparées, le livre de Marie-Hélène Bahain reste miraculeusement fluide. Écrites à la deuxième personne, ces notations du fils face à son père sont rigoureusement ramassées. Très fin, très délicat, ce récit (un roman, vraiment ?) réveille les souvenirs, tient le compte rigoureux de cent observations. Nous ignorons si tu nous attends» dit le fils. le père, lui, ne s'exprime que par le jeu de ses mains ou le mouvement de ses épaules, celui encore, à peine perceptible, de sa tête, regard courant parfois en tous sens. «Chaque moment ici me rapproche de toi» / «et m'éloigne des autres» explique le fils à son père tandis que ses proches le blâment de ses visites répétées : qu'y cherche-t-il ? «Veux-tu qu'un moribond te nourrisse ?» «Tu ne vis pas tu survis en perfusion de ton père.»
Ce ne sont pas des comptes que le fils vient régler auprès de son père mourant, c'est la libération d'une relation chargée, passionnelle, et, dans cette relation, toute sa vie s'engage jusqu'au geste final que le fils accordera à son père : "tout débrancher puis juste le temps pour moi de sortir de passer le sas de sécurité ne rien oublier".