Citations sur La Concession française (8)
La Concession agissait comme une cuve de teinture, elle baignait tous les arrivants dans les couleurs de ses propres légendes. Cette cité, en suspend dans les airs, sans racine, sans passé ( et aussi probablement sans avenir), transformait tous ceux qui y trempaient, quand bien même ils n'étaient que des visiteurs de passage, et les rendaient pareils à elle. Sans passé, sans avenir, seulement pourvus de leurs légendes.
Les ravissements du corps et de l’âme ne sont pas choses faciles à conquérir. Elle le réalisait de plus en plus, le bonheur, en fait, c’était cette disposition du cœur.
Quelqu’un l’avait relevé et posé sur une chaise comme on sort une photo du bain de révélateur, comme on la suspend à un câble électrique. Le monde retrouve ses lignes droites, se remet d’aplomb après un changement d’angle à quatre-vingt-dix degrés quand on la met à sécher. Sa vision s’éclaircissait peu à peu, quelqu’un le regardait en souriant, non pas l’inspecteur chinois qui était là auparavant, avant qu’on lui mette la tête dans le seau,
On pouvait s’attacher si vite à un lieu ? C’est vrai qu’en comparaison, tomber amoureux d’une personne, comme c’était arrivé à Brennan, cela pouvait arriver si vite…
Ce qui irritait le plus les Français, c’était que la plupart de ces bâtards étaient des Chinois. Selon ses théories à lui, le service politique ne devait pas se cantonner dans les hautes sphères, mais travailler en osmose avec la population locale, seule façon de préserver au mieux les intérêts de la France dans les colonies.
Elle le réalisait de plus en plus, le bonheur, en fait, c’était cette disposition du cœur.
Tu peux changer de nom, te laisser pousser la barbe, mais tu ne peux pas changer de doigts. Ils ont une méthode, qui consiste à enduire les doigts d’encre noire et à les appliquer sur du papier blanc, les empreintes sont ensuite conservées, fichées dans des archives. Ainsi de ta vie entière tu n’auras plus aucun moyen de les semer, où que tu ailles la police pourra te dégoter. On ne va pas se couper les doigts, non, alors l’acide c’est un bon truc, ça ne fait pas mal, même en s’en mettant pendant des semaines.
Dans les Concessions, les Chinois huppés ne lisaient que les journaux étrangers, ils payaient leur abonnement au mois, les domestiques allaient les chercher le matin dans la boîte aux lettres à la porte de derrière, avant de les leur porter dans le salon. Si ces gens-là venaient encore le trouver, il leur expliquerait, dès lors que la presse étrangère s’emparait d’une nouvelle, c’était comme un écrou desserré dans les vannes du bureau de la censure, le lendemain elle paraissait dans tous les journaux chinois. Voilà qui dépasserait leurs espérances, pas vrai ?