Citations sur Le perce-oreille du Luxembourg (10)
Cette conversation ne dépasse pas les niaiseries qu'on échange quand on a vidé trop de chopines. Je dirai pour celle-ci et, une fois pour toutes celles qui suivront: que les mots ne sont rien, que le sens caché à l'intérieur est tout, que l'on peut se braver, lutter, ou même s'empoisonner, en ayant l'air de débiter des bêtises.
J'ai besoin que les choses soient totales, qu'elles durent, qu'elles soient avec plénitude, certitude, ce qu'elles sont. Si j'aimais, je voudrais aimer pleinement. Aimer avec mes doigts, avec mes yeux, avec ma bouche, avec mon âme, avec tout ce que renferment mon esprit et mon corps. Toujours, jamais : voilà des mots que je comprends! Ce qui passe, ce qui ne dure pas, ce qui est incertain ce qui arrivera peut-être, ce qui arrivera plus tard
La nuit était noire, plus noire que la veille et, dans ce noir, sous mes pieds, de la boue. Je pataugeais là-dedans, comme dans mes mensonges tantôt. Mes idées pataugeaient aussi. Quand le tramway arriva, elles montèrent avec moi.
Ah ! Jeanne ! Ecrire sur toi, je n'écrirais que du bonheur et mes cahiers n'y suffiraient pas. Un jour, je préparai une lettre? Nous avions passé la soirée ensemble, seul à seul comme on dit. J'écrivis ces mots comme on les prononce. Eh non ! sur le papier ils vivaient. L'un de ces "seul" représentait Jeanne, l'autre c'était moi, seule et seul : un féminin blotti près d'un masculin, quelle communion ! Et puis, il me fallut choisir. Ecrire "seule à seul" ou "seul à seule" ? Il y avait une nuance. Quelle joie de comparer. Comme les idées allaient loin ! Seul à seule, seule à seul, pendant ces jours, je humai ce bonheur.
M. le curé semblait un bien brave homme : un bon petit ventre, un bon petit sourire, des cheveux bouclés du même argent que ses beaux candélabres, l'air si vrai comme curé, qu'on aurait dit un curé de théâtre.
Alors écrire, soit. Mais pour qui ? Pas pour mes amis. Je n’en ai plus, je n’en veux plus. Pour mes parents ? Je suis bourré de secrets que je confierais à n’importe qui, sauf précisément à mes parents. Pour les médecins ? Hum ! A force d’en voir ces Messieurs savent une fois pour toutes ce qu’est la vérité : qu’elle est un bras, une glande, un ulcère et pour le reste une bulle en l’air vers laquelle chacun souffle une autre bulle. Ecrire pour eux ! je deviendrais un cas.
Alors si tout simplement j’écrivais pour n’importe qui ? Ou pour moi. Comme en promenade quand on a perdu sa canne, revenir en arrière, fouiller les buissons et, de niaiseries en niaiseries, refaire ses pas, chercher.
En ses premières pages, le narrateur a placé son malheureux destin sous le signe de la niaiserie.
Le travail de la pensée est sournois. On imagine des faits. On se les raconte, un peu de vrai, beaucoup de faux. Un beau jour, je me trouvai devant une histoire où tout fut vrai.
Parce que je ne le verrais plus, j'aurais voulu le voir tous les jours. "Son meilleur ami." Moi-même, je ne me doutais pas que je l'aimais tant. Il m'avait fallu le perdre.
Que ne pense-t-on pas ? Pense-t-on encore ? En bien non ! Ces baisers sur la bouche, cette singulière attitude, ces balbutiements, cette fatigue tout à coup, ce corps tantôt si doux, maintenant trop chaud, je ne sais si les anges se détournèrent : j'éclatai de rire. Ce n'était pas du tout l'extase.