A notre âge, tu sais, un rien peut nous faire changer de trajectoire. C'est maintenant qu'on choisit notre cap, le cap qui déterminera à quel point on deviendra qui l'on souhaite être, ou qui les autres souhaitent que nous soyons.
N'est-ce pas le propre de la communication que de manipuler les mots afin d'avoir l'effet de son choix sur l'interlocuteur ? Quelle est la frontière entre arrondir les angles et mentir ?
Cette fois-ci, je cours à toutes jambes.
Je fuis cette nuit, cet homme, le schéma qu'il propose.
A l'heure du déjeuner, je retrouve le groupe de stagiaires en bas de l'immeuble. C'est devenu une habitude tacite. Malgré la hiérarchie censée être effacée, aucun manager ne se mélange à nous. J'ai déjà vécu ça dans mes stages précédents : il se crée automatiquement un noyau de jeunes exploités. En général, on peut vite former une bande sympa, mais les raisons qui nous poussent à traîner ensemble le sont moins.
Aussitôt sortie des locaux de Pyxis, je prends le métro. Station Buzenval. Au bout de quelques mètres le long du trottoir, une voix m'interpelle :
— Hey ! Mademoiselle ! Vous êtes charmante ! Belle comme tout !
Il n'y a rien que je déteste plus que les hommes qui accostent dans la rue. Leurs compliments sonnent comme des insultes. Quand on est une femme, on dirait que le simple fait d'aller d'un point A à un point B nous met dans une zone de non-droit.
— Surtout réponds pas, salope !
Ces mots brûlent. La rue est le lieu où l'on peut être agressée verbalement pour ne pas avoir répondu à des avances. Paris ou Rennes, pour le coup, c'est exactement la même scène, à une différence près : je me rappelle que, lorsque j'étais accompagnée par Quentin, personne n'osait m'aborder. Je regarde droit devant moi et accélère le pas jusqu'à l'adresse indiquée.
En fait le rapport manager-managé, c’est un mariage forcé. On doit passer au minimum huit heures par jour avec quelqu’un qui nous choisi mais que lequel on n’a pas son mot à dire.
Parfois, les sujets que les gens taisent sont bien plus significatifs que ceux qu'ils abordent.
Je me suis plu ici. J'ai aimé voir des personnes différentes, des marginaux. Les artistes et les passionnés, je les admire, mais en devenir un, ce serait complètement autre chose. Un choix de vie absolu, sans retour en arrière.
Je comprends que l'on puisse vouloir prendre le meilleur des gens dans une entreprise, mais, dans ce cas, qu'on annonce la couleur. Pourquoi mentir, manipuler, exclure toute prise en compte de l'humain ?
Est-ce que le management, justement, ce n'est pas la question des ajustements permanents à faire entre les êtres humains ?