Chacun fit ce qu'il put. Pour moi, la voie était, semble-t-il, toute tracée : puisque j'avais voulu devenir écrivain avant les événements eux-mêmes, il suffisait de passer à l'acte. Mais, bien sûr, ce ne fut pas aussi simple, et la voie toute tracée fut en fait bien sinueuse, avec des dérapages qui étaient sans doute les conséquences de Mai. Le "jeune homme" continuait sa route, mais elle n'était plus lisse, elle s'énervait beaucoup. Par chance, malgré pas mal de débordements, je ne perdis jamais le goût du travail et cette part qu'étudiant ou militant j'avais voulu réserver me revenait tout entière, mais il fallut du temps, toute une succession de paliers d'expériences, pour parvenir à la détacher de ce qu'elle pouvait encore avoir de mythique. Je pense qu'il ne me fallut pas moins de dix années pour convertir la masse d'affects et de désirs de ma volonté en un travail dénué de nostalgie. Si mon fantasme (au sens où Roland Barthes en parle dans ses derniers cours, où il distingue le fantasme d'un Poème et celui d'un Roman) était bien toujours celui d'un Poème, il me fallut, après avoir détaché le wagon de l'action militante, détacher celui des poèmes proprement dits. (page 53)
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