Dans son
Histoire de France,
Jacques Bainville raconte la longue et laborieuse naissance de la France, depuis la Gaule gallo-romaine jusqu'aux années 1920, et qu'il définit en ces termes : « Ainsi, l'histoire de la France, c'est celle de l'élaboration et de la conservation de notre pays à travers des accidents, des difficultés, des orages, venus de l'intérieur comme de l'extérieur, qui ont failli vingt fois renverser la maison et après lesquels il a fallu la reconstruire. La France est une oeuvre de l'intelligence et de la volonté. »
La France, depuis le baptême de Clovis (496 ou 498) jusqu'au Traité de Versailles (1919), a ainsi dû composer avec les ennemis tant intérieurs qu'extérieurs ; objet de toutes les convoitises et de toutes les divisions comme autant d'obstacles à la construction de son unité.
Bainville, qui se focalise donc sur ce qu'on appelle la grande Histoire, ne nie pas les crimes de l'Histoire, sans pour autant les grossir de manière anachronique. Par exemple, évoquant l'indéniable massacre de la Saint-Barthélemy, il tempère son retentissement à l'époque – car les massacres étaient courants pendant les guerres de Religion et tant du côté protestant que catholique : « Il faut reconnaître que l'horreur de la Saint-Barthélemy, répandue et répercutée par l'histoire, n'a été que modérément ressentie par les contemporains. » On l'aura compris, Bainville n'est pas là pour insulter l'
Histoire de France – suivant la mode de la cancel culture ! – mais tâcher de la comprendre au-delà des ressentis ultérieurs.
Bainville offre donc ici une magistrale analyse de la lente construction d'une Nation dont les remous intérieurs – révoltes, révolutions – et extérieurs – guerres en dehors et à l'intérieur de notre territoire – ont accouché de la France.
Et s'il est un royaliste affirmé, Bainville n'en étudie pas moins méticuleusement notre histoire nationale. Et, à l'époque où certains politiciens tentent de salir notre passé, en exaltant par ailleurs certaines figures abjectes comme Marat, il est bon de lire ceci : « Marat, “fanatique désintéressé”, a été l'homme le plus influent de la Révolution, celui qui l'a menée du dehors avec le plus de suite parce qu'il avait l'instinct démagogique, c'est-à-dire le don de deviner les passions populaires et le talent d'exprimer les haines et les soupçons de la foule de la façon même dont elle les sentait. » Cette phrase colle parfaitement à certains dictateurs du XXe siècle…
Si l'on peut discuter certains points, comme le fait que l'auteur ne décèle que deux événements intérieurs sous le règne de Louis XIV – la condamnation de
Nicolas Fouquet et la révocation de l'Édit de Nantes, omettant la retentissante affaire des poisons qui fit vaciller le trône au point que le roi voulut la plonger dans un « éternel oubli » en ordonnant la destruction des pièces du dossier –, cette
Histoire de France reste magistrale et ne se contente pas d'évoquer les têtes d'affiche, en réhabilitant à l'occasion certaines figures méprisées comme
Louis XVIII, qui reçut un pays occupé et exsangue après la chute de
Napoléon Ier.
À la fin, on peut lire une phrase qui résonne particulièrement, pour nous autres lecteurs du XXIe siècle : « Nous touchons ici au point où doit se terminer cette histoire. A mesure qu'on se rapproche du temps même où nous vivons, les grandes lignes se dérobent. Elles ne se dégageront qu'avec la suite, qui nous manque encore. » La suite – que ne connut pas l'auteur, décédé en 1936 –, ce furent la Seconde Guerre mondiale, l'Occupation, la décolonisation, etc.
Mais il est une autre phrase qui colle, selon moi, exactement à la situation présente de la France et au-delà de l'Europe, en ce début du XXIe siècle : « le vieux monde est dans un état qui ressemble beaucoup au chaos. »