Le premier livre d'un jeune écrivain américain, composé de treize nouvelles. Des nouvelles dont on pourrait dire qu'elles flirtent avec l'anticipation. Dans un monde qui est très proche du nôtre, qui est le nôtre, on réalise que ce n'est plus tout à fait le monde que nous connaissons. Par exemple, dans la première nouvelle, Mots de combat, nous découvrons progressivement que les gens sont incités à se suicider lorsqu'ils atteignent 70 ans. Ce fonctionnement est présenté comme un progrès, avec un discours rationnel et logique, et ceux qui refusent de s'y soumettre, sont culpabilisés, ostracisés, mis à l'écart de la communauté.
Ce premier récit illustre très bien l'approche de l'auteur. Il met sur la table un certain nombre de sujets, qui sont en débat actuellement, comme dans cette nouvelle, le débat autour de l'euthanasie, d'une fin de vie digne, d'un acharnement à maintenir en vie des personnes très dégradées physiquement et mentalement. Et du coût financier pour la collectivité pour maintenir en vie des personnes qui ne sont plus « utiles » à la société.
Matthew Baker pose une « solution » extrême, mais pas invraisemblable, et ce faisant, démonte les rouages d'un mécanisme social, qui pousse les individus à se plier aux normes du groupe. Des normes qui semblent logiques, cohérentes, bénéfiques. Mais qui peuvent s'avérer inhumaines, cruelles.
L'auteur montre très bien comme un discours, préformaté, repris à l'identique, est intériorisé par les individus, qui ont la sensation d'une certaine manière de détenir la vérité, la seule possible, et qui rejettent voire persécutent ceux qui refusent de se soumettre, qui veulent choisir leur propre voie. Et les normes de presque toutes ces nouvelles portent sur des modes de vie, des comportements, des choix, qui sont de l'ordre de l'intime, de ce qui en principe devrait être le plus personnel, le plus caractéristique d'une personne. Dans le monde décrit dans le livre, très proche du notre, il n'y pas de liberté réelle de choix, le « bon choix » étant fortement fléché, et ceux qui refusent de s'y soumettre et de faire comme si c'était le leur, le font à leurs risques et périls. Il n'y a pas de débat possible, pas de pluralité de modes de vie, d'opinions. Parce que d'une certaine manière, ce serait remettre en cause les choix du groupe. Qui relèvent d'une sorte de morale qui ne dit pas son nom, d'un politiquement correct, qu'il devient impossible de transgresser, qui peut aboutir à instaurer une sorte d'intégrisme. Qui passe beaucoup par un discours, par une manière d'utiliser le langage, qui façonne, qui formate, qui interdit un véritable dialogue et réflexion. Les fameux éléments de langage tellement utilisés actuellement.
C'est vraiment excellent, très fort, et questionne intelligemment les orientations prises par nos société. Tout en dessinant quelques portraits tout en finesse, sans oublier un humour subtile présent du bout en bout.
Une belle découverte.