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Critique de Antyryia



Et si Obélix n'était pas tombé dans la potion magique quand il était petit ?
Et si Meursault avait éprouvé de la tristesse lors de l'enterrement de sa mère ?
Et si Mary Crane n'avait pas fait halte au motel de Norman Bates ce soir-là ?
Et si Hercule Poirot avait voyagé jusqu'à Istanbul plutôt que de prendre l'Orient-express pour rentrer à Londres ?
Ces versions alternatives d'Asterix, des romans d'Albert Camus, de Robert Bloch ou d'Agatha Cristie n'existent bien sûr pas. Les exemples pourraient être multipliés à l'infini : Quand un auteur propose une histoire, elle est figée et il faut accepter que les évènements se déroulent d'un bout à l'autre comme ils nous sont racontés. Vous n'aurez pas d'autre début, pas d'autre fin. Il n'y a pas de marche arrière possible.
Un peu comme dans la vraie vie.

Et si Patricia avait pris la peine de renouer le lacet de sa fille Jessica le soir du 14 juillet 2004 pendant le feu d'artifice du Quesnoy ?
C'est là que réside une grande partie de l'originalité des romans d'Amélie Antoine et de Solène Bakowski. Si leurs deux histoires commencent à l'identique, c'est ce petit détail qui va tout changer.
"Difficile de croire que le destin ne tient qu'à un lacet défait."
Jessica, six ans, disparaîtra ce soir-là dans la version Sans elle de la Lilloise. le drame plongera sa famille dans la douleur, la suspicion, le chaos. C'est le point de rupture après lequel plus rien ne sera pareil. La soeur jumelle, Coline, devra apprendre à grandir sans son double, accablée d'une infinie solitude tandis que ses parents, après avoir fait front commun, se déchirent.
Dans Avec elle, le lacet entraînera la chute de Jessica et l'empêchera de s'éloigner de sa mère.
Au lieu d'avoir une version tragique, nous voilà donc promis à une issue obligatoirement heureuse puisque le cauchemar familial sera cette fois épargné à la famille Simoëns.
Sauf que penser que Solène Bakowski va opter pour une version optimiste serait mal la connaître.
A croire que cette famille est maudite, quelles que soient les circonstances.
Parce que ce soir-là, les jumelles ont pour la première fois une raison d'être fâchées : Jessica n'a pas assumé sa part de responsabilités et seule sa soeur a été punie pour une bêtise commise à deux.
Parce que ce soir-là, la maman Patricia va faire une rencontre avec un homme qui va l'attirer irrémédiablement et ce sera le premier pas vers la défragmentation de la famille.
Et parce que quelques semaines plus tard, les jumelles iront comme prévu chez leurs grands-parents paternels en Normandie, et que Coline y sera responsable d'un tragique et malencontreux accident. Et si Jessica promets de garder le secret sur ce crime, la relation entre les deux jumelles deviendra irrémédiablement différente. Coline va basculer sous la coupe d'une soeur qui n'aura de cesse de la manipuler. D'autant plus que Jessica est convaincue que leur mère s'apprête à abandonner l'une d'entre elles, ce qui provoque chez elle le besoin de briller et de devenir indispensable.
Et peu importe le sort de Coline.
"S'il n'en restait qu'une, leur maman serait plus disponible, plus heureuse aussi, et ils s'énerveraient moins."

Ainsi, les similitudes des deux romans ne s'arrêtent pas seulement aux personnages, dont le cercle commun permet de donner une cohérence supplémentaire aux deux histoires tout en impliquant parfois les protagonistes de façon très différente.
Pour des raisons sensiblement différentes, comme pour illustrer la notion de destin, les trames d'Amélie Antoine et de Solène Bakowski vont se rejoindre à plus d'un titre.
Les parents amoureux vont pourtant voir dans les deux cas leur couple se dissoudre peu à peu, pour des raisons totalement différentes.
Et au lieu d'être dans l'ombre de sa soeur disparue, Coline sera cette fois effacée par une Jessica plus belle, plus assurée, et toujours au centre des attentions.
"Dans l'ombre. Dans l'ombre. Toujours et à jamais."
Tandis qu'elle sera condamnée à la solitude, invisible et honteuse.
"Comment être seule quand on n'a jamais appris ? Sans sa jumelle, elle n'est rien. Sans les autres, décidément, elle n'est qu'une coquille vide."
Et c'est cette relation ambiguë qui va cette fois servir de fil conducteur au roman, cette alternance d'amour, de haine ou d'indifférence qui va tour à tour unir ou séparer deux jumelles si peu ressemblantes.
Et le plus souvent, un subtil mélange de ces sentiments contradictoires.
"Quand sa soeur n'est pas là, le manque est faramineux. Quand elle est là à ses côtés, elle la hait autant qu'elle l'aime. Et elle se déteste. Alors comment vivre quand on est écartelé ?"
C'est d'ailleurs étonnant que la gémellité soit ici abordée sous l'angle de la différence plutôt que sous celui des similitudes. Malgré le partage des chromosomes, la personnalité et le physique de Jessica écrasent totalement ceux de Coline.
Qui malgré quelques velléités de rébellion se rappellera toujours que sa soeur a protégé son secret et espérera en vain que leur relation retrouvera sa complicité d'antan.
Mais que Jessica disparaisse âgée de six ans ou grandisse avec sa soeur, Coline ne parviendra jamais à s'imposer et arrivera toujours en seconde position.

Solène Bakowki n'a pas hérité du sujet le plus facile. Là où le point de rupture était net dans le roman d'Amélie Antoine, Sans elle, permettant au roman de prendre en partie une trajectoire policière, Avec elle évolue plus subtilement, plus sournoisement encore.
Le malaise grandit au fur et à mesure, mais il est moins convaincant, les réactions des protagonistes paraissent parfois moins logiques ou en tout cas sujettes à interprétation là où Amélie Antoine déroulait son implacable schéma.
Ici, on ressent davantage quelques longueurs, l'histoire ayant une tendance à se répéter au fur et à mesure que s'écoulent les années, illustrant le même propos de différentes façons.
J'ai surtout ressenti un problème de construction durant ma lecture. Très vite, on comprend que Coline est coupable d'un crime alors qu'âgée de six ans, elle passait ses vacances chez ses grands-parents. Les références à ce meurtre reviennent sans cesse, véritable leitmotiv dont il est question encore et encore dans un grand nombre de chapitres. Mais de quel acte impardonnable parle-t-on réellement ? On n'en sait rien pendant trop longtemps, au point d'être convaincu d'avoir raté un passage. Mais non, les évènements restent volontairement flous jusqu'à nous être révélés à mi-livre, peut-être pour ménager un certain suspense. Je n'ai pas compris ce choix de l'auteure, qui perturbe la lecture dans la mesure où la confrontation des jumelles est profondément liée à ce drame dont nous ne prendrons connaissance que tardivement, restant dans un flou artistique assez dérangeant dans l'intervalle, ignorant des enjeux.
Pour ces raisons, même si les deux romans sont indissociables et que le schéma d'ensemble ne se dégage qu'à la seconde lecture, j'ai quand même eu une préférence pour celui d'Amélie Antoine qui a réussi à m'emporter d'un bout à l'autre.

Pour autant, j'ai apprécié ma lecture.
Retrouver les mêmes personnages dans chacun des livres, qu'ils soient principaux ou secondaires, est à chaque fois comme un clin d'oeil.
Parfois leur rôle est similaire, parfois ils évoluent différemment ou interviennent là où on ne les attendait pas.
L'impact de Jessica, absente ou présente, a des répercussions insoupçonnées dont on s'amuse parfois et qui plus souvent nous serrent le coeur. C'est une réelle expérience que cette double lecture, qui permet de ne pas avoir à dire au-revoir immédiatement aux personnages que l'on a appréciés, qui nous font découvrir d'autres facettes de leurs personnalités. On s'interroge sur ceux dont le destin sera quoiqu'il arrive immuable tandis qu'un grain de sable pourra au contraire totalement modifier le futur d'autres protagonistes.
Et ils ne nous laissent que rarement indifférents, parce qu'ils nous ressemblent. Même Jessica, qui incarne la petite peste hautaine par excellence, trouve parfois grâce à nos yeux lors de ses quelques actions qui n'ont rien d'intéressé. Quant à Coline, de par son mal-être et sa souffrance, souvent victime d'injustices, toujours bienveillante et prête à pardonner, elle suscite énormément d'empathie.
"Elle était l'éternelle seconde, le brouillon, la ratée, quand Jessica était l'intouchable icône."
Et c'est pareil pour chacun des personnages, qu'on accompagne en approuvant ou non leurs attitudes et qui ont tous leur rôle à jouer, qu'il s'agisse du grand-père atteint d'Alzheimer, des cousins, de l'instituteur de CM2 et de bien d'autres encore.
L'écriture de Solène Bakowski est en outre vraiment belle, et confirme le talent littéraire que j'avais découvert dans Un sac. Parfois, ses phrases
frôlent la poésie, et magnifient encore un texte déjà particulièrement bien écrit.
"La haine et l'incommensurable amour comme deux rives opposées du fleuve de son ambivalence."
"Que la lumière ait aussi sa part d'ombre, après tout, lui semble un juste retour des choses."

Si j'ai donc préféré le roman d'Amélie Antoine, pour son côté thriller davantage prononcé, pour son déroulé plus implacable ou simplement parce qu'il s'agissait du premier et a permis d'éviter toute impression de redondance, les deux demeurent intrinsèquement liés et proposent une expérience littéraire inédite à côté de laquelle il serait dommage de passer.
Quel que soit celui par lequel vous choisissez de commencer, même si votre lecture sera indépendante, il serait dommage de ne pas laisser de chance au second, à ses similitudes comme à ses différences. Peut-être toutefois en laissant passer quelques semaines entre les deux.

En tout cas, sincèrement, bravo mesdames pour l'initiative et l'originalité de ce projet très abouti.
De la première à la dernière ligne.
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