La vie passe vite, c'est fou, on est fort et puis, la seconde suivante, on est vieux et fragile.
Tout le monde la regarde. Comme toujours. Les bonnes femmes, c'est de la jalousie. Les hommes, c'est du désir. Ce n'est pas qu'elle soit très jolie, c'est qu'elle s'assume; Et ça, ça les rend dingues.
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Le lendemain, dès l’aube, elle surfe. Le reste de la journée, elle ramasse des coquillages. Le surlendemain, elle accueille ses nouveaux stagiaires pour la semaine, leur montre les rudiments, et continue à ramasser ses coquillages. Idem le jour suivant, surf, élèves, cours, flots, vagues, embruns, vent dans ses cheveux, la sidération comme un couvercle sur ce décor. Et des coquillages. Beaucoup de coquillages.
Quand le nombre de sept-cent-trente est atteint, elle les verse dans un grand bocal transparent. Les trois-cent-soixante-cinq suivants, elle les peint en rouge. C’est du rab, pense-t-elle en les transvasant dans le bocal. La troisième année.
Elle en retire ensuite trois, trois petites coquilles qui tiennent dans sa paume, et elle les met dans un autre bocal, vide celui-là. Ding. Ding. Ding. Trois jours ont passé depuis l’annonce.
Le bocal des terminés. Le bocal des à venir.
Septe-cent-trente jours, et trois-cent-soixante-cinq supplémentaires. Pour la troisième année dont, peut-être, l’existence lui fera l’aumône.
Ding. Ding. Ding.
Il y a eu des hypothèses, des suppositions, des fantasmes : l’imagination avait effectué le travail que la réalité n’avait pu prendre en charge.
lle va mourir. Et, au seuil de la mort, sa solitude lui explose à la figure. Personne ne la prendra par la main pour lui montrer le chemin, il est des routes qui s’arpentent en solitaire, on est toujours seul quand on meurt.
– …Soit je vous laisse leur expliquer, avec vos propres mots…
Elle va mourir, et pourtant quand elle regarde son gros orteil prit dans la lanière de ses claquettes, le bracelet aux couleurs fanées sur son poignet, les pointes fourchues de ses cheveux sur ses épaules, son décolleté lâche sur ses seins menus, la boucle de sa ceinture fine, le trou effrangé dans son vieux jeans, elle ne voit aucun indice de la tumeur qui est en train de lui grignoter le cerveau. A part ces fichues migraines qui cognent les parois de son crâne, sa vision qui se brouille de temps en temps, ces nausées qui l’assaillent et l’équilibre qu’elle perd parfois, rien n’indique qu’elle n’a plus beaucoup de temps à vivre.
Elle gratte machinalement l’arrière de sa nuque, là où piquent les cheveux qui commencent à repousser après la tonte partielle de la biopsie. Son palais est plus sec que la mer Morte.
– …Prenez votre temps, Laure, rien ne presse, ce bureau est à vous aussi longtemps que vous en éprouverez le besoin.
Elle a vraiment soif cette plante.
Il y a souvent plus de choses naufragées au fond d'une âme qu'au fond de la mer
Effacer pour récupérer. Se résigner pour recoller. Rêver moins pour protéger plus.
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