Aiguillages

L'air vif rafraîchissait son esprit.
Chaque fois que quelque circonstance le ramenait au milieu du monde, il en revenait mécontent, blessé, avec l'impression que tout ce qui faisait à ses yeux le prix de la vie, les choses nobles, élevées, dignes de respect et d'admiration, personne ne voulait plus les compter pour rien.
- Où allons-nous ? disait-il souvent à sa femme.
Ou encore :
- Ma pauvre amie, nous ne sommes plus de ce temps.
Ainsi discutait-il avec lui-même, s'arrêtant sans voir, prenant à témoin les feuillages paisibles qui l'entouraient, ce qui faisait dire aux paysans que Monsieur le Maire questionnait les arbres.

Au milieu des figures échauffées par la royale succession des vins, le vieux gentilhomme, sobre et desséché, représentait les idées d'autrefois, la résistance sur des positions cernées de tous côtés par les mœurs nouvelles.
Il portait un camée en épingle de cravate et une jaquette de coupe ancienne.
A une époque où le moindre boutiquier a une auto neuve, il proclamait que c'est une marque de distinction d'aller à pied.
S'il ne disait pas, comme un misanthrope de ses amis, que " le commerce est un vol ", du moins suspectait-il ceux qui réussissent, se méfiant d'instinct des changements, des montées rapides, de tout ce qu'entoure une rumeur d'envie et de vanité.