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Critique de AMR_La_Pirate


C'est grâce aux 68 premières Fois que je découvre ce premier roman de Catherine Baldisseri…, une histoire sud-américaine dans l'Uruguay des années 1970, un portrait de femme sur fond de nature hostile et de guérilla lors de la révolte des Tupamaros et du mouvement de libération nationale qui a marqué le pays.

Cabo, c'est d'abord un lieu, Cabo Polonio, un tout petit village côtier, perdu au milieu des dunes… Aujourd'hui, c'est un endroit touristique, une station balnéaire au milieu d'un parc naturel. À l'époque où se situe le roman, il y a surtout un phare, un gardien de phare, sa jeune épouse et leur petit garçon. C'est un peu « le bout du monde », tant c'est isolé, loin de toute civilisation, à quelques trois cents kilomètres de la capitale.
Teresa est issue d'une famille d'immigrés italiens qui s'est enrichie sur trois générations en exploitant des brasseries à la mode à Montevideo ; jeune fille insatisfaite et éprise d'aventure, elle a coupé court à un avenir tout tracé dans les affaires familiales et suivi l'homme mystérieux dont elle est tombée amoureuse jusque dans ce hameau isolé où on pratique la chasse intensive aux loups de mers.
À Cabo Polonio, entre un mari peu présent, totalement investi de père en fils dans la mission d'éviter les naufrages, et l'isolement, Teresa trouve une occupation et donne un sens à sa vie en prenant en charge l'instruction des enfants et leur fait la classe dans la cuisine du phare ; elle devient ainsi une passeuse de savoir. Quand Machado, un étrange adolescent analphabète, chasseur de loups, avide d'apprendre entre deux saisons de chasse (du printemps à l'automne), arrive dans sa classe, elle s'intéresse particulièrement à lui et l'encourage doublement à progresser. Malgré les grands bouleversements de la vie, une promesse va lier Teresa à Machado aux delà des épreuves et des séparations.
La question du lieu reste centrale dans le roman, même quand le récit intercale les chapitres entre Montevideo où revient Teresa et Cabo Polonio où reste d'abord Machado : le jeune homme n'oublie pas celle qui lui a ouvert les possibles de l'instruction et Teresa espère que Machado fera ce qu'elle lui a demandé lors de leurs adieux.Le contraste entre les mondanités de la capitale et le village perdu donne force à l'intrigue ; les tribulations des Tupamaros que Machado a rejoints accentuent les différences entre les villes et les zones rurales du pays. Par son engagement, la jeune femme avait su donner vie au phare ; devenue pour toujours la voix de Cabo, elle se fait allégorie de la culture, de la conscience populaire de ce lieu reculé alors qu'à Montevideo, elle dirige une brasserie ou afflue une clientèle raffinée et cosmopolite.
Les personnages sont travaillés, mais forcément stylisés, vu la brièveté du roman : ils dégagent donc une vision d'excès, révèlent des tempéraments entiers, sans concession, sans atténuations, sans nuances. Leurs comportements, leurs réactions et leurs attitudes vont de pair avec la violence et la dureté des éléments naturels : l'océan et ses tempêtes, le vent mordant, les nappes de brouillard… Au fur et à mesure que l'on avance dans le roman, c'est la violence de la répression policière qui prend le relais de la nature hostile. La cour assidue de Stephen auprès de Teresa paraît bien frivole et toute en représentation face à ces dures réalités. Les oppositions sont tranchées ; les deux mondes sont aux antipodes l'un de l'autre, seulement réunis par les évènements historiques.

La Voix de Cabo est ma cinquième lecture pour les 68 premières Fois et je croyais bien tenir là mon premier coup de coeur… Je suis un peu déçue cependant, je reste sur ma faim…
Ce n'est pas la première fois que je m'étonne, voire déplore le format court des romans de cette rentrée littéraire. Ici, la trame esquissée supporterait bien des développements : l'histoire de Dario et Chela, les parents de Teresa ou encore l'inconscience de son frère Domingo, amateur de luxe et de vie facile, auraient gagné à être plus détaillées ; de même la lignée des gardiens du phare aurait mérité une plus longue évocation… Naturellement, Machado, surnommé « le colosse de Cabo », personnage brossé à trop grands traits, nécessitait selon moi plus de profondeur entre son passé misérable, sa grande intelligence, sa prise de conscience politique et son indéfectible lien avec Teresa. Prise dans ma lecture, j'avais besoin d'en savoir plus aussi sur les hommes qui l'ont suivi « dans sa marche sur les pas d'Artigas », le leader révolutionnaire ou encore sur ceux qui l'ont aidé… Que dire enfin de la révolte des Tupamaros, trop rapidement traitée ?
À côté de ce manque, je salue les descriptions des scènes de chasse aux loups de mers, très réalistes dans leur crudité et leur violence, dont la signification profonde peut prendre sens si on les compare aux scènes de tortures et de massacres des révoltés politiques. Bien sûr, j'ai aussi apprécié la symbolique du phare qui porte le flambeau de la connaissance, de la lutte pour la survie, du lieu de ralliement, de la solidarité, d'une forme de rayonnement…
Sensible à l'intertextualité, j'ai retrouvé avec bonheur le rôle joué par Jonathan Livingston le goéland de Richard Bach dans l'apprentissage de Machado : la lecture laborieuse de ce livre culte illustre à merveille une quête d'absolu, une recherche de soi-même à travers une transgression sans que l'auteur aie besoin de beaucoup la détailler, le goéland portant en lui tout un univers métaphorique et allégorique déjà connu de la plupart des lecteurs (enfin, je l'espère car ils passeront alors à côté de passages significatifs, ce livre n'étant pas explicitement cité).

Je me suis sentie tout de suite embarquée par ce livre, par une écriture qui me rappelle l'univers des romans d'Isabel Allende ou de Luis Sepúlveda ou encore l'influence de Gabriel García Márquez (les amours de Teresa avec le beau télégraphiste me font penser à celles des parents de l'auteur colombien). La Voix de Cabo dépayse, fait voyager, met en lumière un pan d'histoire peu connu des lecteurs français, mais mon horizon d'attente s'est heurté à un format trop court, à une trame narrative pas assez développée... Dommage !
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