J'ai découvert
James Baldwin grâce à
I am not your negro, synthèse brillante de sa pensée.
Ce livre, resté longtemps inédit en français, s'articule autour d'une analyse critique de la représentation des Noirs dans le cinéma américain. le sujet est passionnnant mais, en tant que lecteur, je me heurte à un écueil "culturel". Baldwin y parle de films qui ont été formateurs pour lui, en tant qu'individu. Les films abordés sont donc majoritairement très anciens et si les acteurs et réalisateurs qu'il cite me sont évidemment familiers, je n'ai pas vu la grande majorité des films en question. Au mieux les ai-je vu il y a plus de 20 ans et n'en garde qu'un souvenir lointain.
J'ai gardé un souvenir assez clair de Furie de
Fritz Lang.
J'ai vu les films de Sidney Poitier (La Chaîne, Devine qui vient diner et Dans la chaleur de la nuit) dans les années 80 ou 90 au mieux.
Je n'ai pas vu "Lady sings de blues", le biopic consacré à
Billie Holiday avec Diana Ross.
Je ne connais le sulfureux "Birth of a nation" qu'à travers des articles et reportages analysant le cas particulier de ce film à la fois vénéré comme la première grande fresque cinématographique américaine, irréprochable d'un point de vue technique, et détesté à cause de son contenu ouvertement raciste.
Autant dire que les longs passages dans lesquels
James Baldwin décrit des scènes de films que je ne connais pas avant de mettre en évidence la manière au mieux maladroite, au pire malhonnête, de représenter la réalité des Noirs m'a souvent paru abstraite.
Dans ce livre, à moins d'être un cinéphile absolu, les meilleurs passages sont ceux consacrés aux anecdotes de la vie de Baldwin comme sa relation avec son institutrice "Bill" Miller, son expérience de scénariste à Hollywood pour un biopic avorté de
Malcolm X, son expérience avec le FBI...
Son analyse assez poussée des différences entre l'autobiographie de
Billie Holiday et comment elle fut malmenée pour en faire un film "acceptable est également édifiante. le problème principal n'est pas tant les libertés prises avec les faits que la manière dont ces libertés narratives occultent la réalité sociale et raciale qui a influencé sa vie. Il procède le la même manière avec "La chaîne", dans lequel Sidney Poitier et
Tony Curtis sont 2 détenus en fuite, enchaînés l'un à l'autre. Ce film, considéré comme progressiste par le public blanc, est perçu de manière radicalement différente par Baldwin, qui se fait porte-parole de la communauté noire.
En fait, l'argument principal de Baldwin est que le Noir hollywoodien est une représentation idéalisée mais complètement absurde. Ses réactions en deviennent absurdes et incompatibles avec la réalité rencontrée par les Noirs au quotidien. Les films qui tentent de représenter cette réalité sociale passent complètement à côté de la plaque, refusant de voir la réalité en face. Même dans un film considéré comme progressiste ("devine qui vient diner"),
James Baldwin relève le personnage de la bonne de Spencer Tracy et Katherine Hepburn: une ressucée d'Hattie McDaniel, la rassurante Mammy dans "Autant en emporte le vent". Même s'il s'agit d'un ressort comique, cela reste symptômatique d'une certaine vision.
Mais ce qui frappe le plus dans ce livre, c'est à quel point ce qu'il dénonce reste d'actualité. A la sortie de Green Book, une polémique très violente est née, relayée entre autres par Spike Lee. Les reproches se cristallisaient autour du fait que ce film, qui retrace le voyage d'un pianiste virtuose noir et de son chauffeur blanc au coeur des USA ségrégationnsite, adopte, sous des airs progressistes, une vision biaisée et exclusivement blanche. En fait, ce film serait basé exclusivement sur les souvenirs de Tony Lip, le chauffeur, négligeant la version Donald Shirley, le pianiste. le résultat serait une version terriblement édulcorée et hollywoodienne de la réalité. La communauté noire y a vu une nouvelle forme de confiscation de leur histoire.
Il y a une autre anecdote amusante mais terriblement d'actualité à propos d'Ava Gardner qui avait demandé à
James Baldwin s'il pensait qu'elle pourrait incarner
Billie Holiday au cinéma. Il était pourtant de notoriété publique que
Billie Holiday était plutôt noire et que la couleur de sa peau a grandement influencé sa vie. Actuellement, les réseaux sociaux s'agitent du fait que l'actrice retenue pour incarner la petite sirène, Halle Bailey, est noire et pas blanche et rousse comme dans le dessin animé. J'ai beau retourner la question dans tous les sens dans ma tête, la couleur de peau de la petite sirène n'a jamais eu une importance particulière, contrairement au cas de
Billie Holiday. Cela revient à la question de la preprésentation par défaut que nous nous faisons d'un personnage de fiction. Nous en faisons inconsciemment des blancs sans même nous demander si c'est indiqué. Il me semble que lorsqu'une actrice noire a été choisie pour incarner Hermione Granger dans la pièce Harry Potter, JK Rowlings a insisté sur le fait qu'aucune mention n'a jamais été faite de la couleur de sa peau dans le roman.
Le diable trouve encore à faire...