La tristesse des femmes en mousseline

Il n'y a qu'un art, il n'est ni d'homme ni de femme. Toutes ces distinctions, toutes ces mascarades d'idées imbéciles reviennent époque après époque comme une houle abrutissante. Le mâle dessin et la féminine couleur, cette soi-disant féminité de la manière impressionniste, les adorables délices et les délicates sensations sont à mourrir d'abattement.

De toute façon, monsieur Degas, je suis une femme. La peinture des femmes, pour vous les messieurs de la peinture, tous autant que vous êtes, vous n'y croyez pas une seconde. Nous les femmes, nous sommes faites pour être portraiturées , nues ou vêtues, ou pour le mariage, ce qui est la même chose. Mais l'art, ah l'Art ! Ce n'est pas pour nous.

Le souci du beau, elle l'avait déjà en ce temps-là. Le vrai beau, pas celui qui veut être joli et plaisant. Celui qui fait peur aux gens sages. Et ça n'a pas changé. C'est de l'aujourd'hui comme d'hier. Mais en ce temps-là, elle n'était pas encore la Morisot des beautés d'aujourd'hui. Il lui fallait subir, supporter le poids du beau qui vous écrase en un rien de temps comme une coquille d'oeuf. Mais la force du beau, elle l'avait. C'était du chevillé profond. Pour ceux qui savaient voir, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Manet l'a vu. Fantin l'a vu. Puvis de Chavannes l'a vu. Je l'ai vu. Mais celui qui s'est mieux servi de ce qu'il voyait dans Melle Berthe , c'est lui, cest Manet. Sauf qu'il avait peur, Manet. La folie de Melle Berthe se voyait trop. Ça lui donnait la frousse.

Manet avait grande réputation avec les femmes. Sa peinture foutait en rage les messieurs, mais elle attirait les dames. Il soignait ça avec sa barbe blonde et ses jaquettes à carreaux. Fallait voir. Moi, j'étais tout dans l'inverse. J'ai pas varié . Zoé me va très bien. Qu'est-ce que j'aurais fait d'une femme qui vienne me donner son opinion dès que sa langue lui démange ? C'est déjà bien assez des visiteuses toujours prêtes à secouer la poussière de mon atelier.

Je n'ai jamais trouvé bon que la vie des mère fut transparente aux yeux des filles. Chacune de nous travaille bien assez durement à faire son nid sans avoir à hériter des jugements dignes déjà de la tombe.

Les mots, vous me l'avez bien appris, n'est-ce pas, ne sont vrais que lorsqu'ils disent la vie qui devrait être et ne se bornent pas au ressassement de nos petitesses

Il faut faire comme les mouches, Monsieur Valery,. Faut suivre les lignes. Les mouches ça sait regarder et pas que le brumeux

Chez lui la moindre ligne ou couleur était illusion de simplicité et mouvement du vivant. Ses sujets ne devaient rien à l'ancien et au sentimental. Au contraire, leurs brutalités agressaient la tradition jusqu'à faire hurler de dégout.

Des œuvres de Degas, Valery en avait vu que bien peu, mais assez pour se convaincre qu'il s'agissait d'un art supérieur et d'un homme de pure radicalité.

Cette transparence, ce flottement des matières en leurs limites me semble plutôt se faire l'écho, peut être bien terrible, d'un espoir de dissolution, et en tout cas certainement d'une réalité.