Le divan de Staline

[…] Le camarade Staline est insomniaque. Il ne se couche jamais avant les petites heures de la nuit. Tant qu’il est debout, personne n’a le droit d’éteindre ses lampes ni de se coucher. C’est la règle, au Kremlin comme partout où il va. “Tant qu’il y aura de la lumière dans sa chambre, tout le monde reste debout”.

Je vous l'ai dit : l'Etat soviétique tout entier est Staline. L'Etat soviétique comment une erreur, c'est Staline qui commet une erreur. Et Staline ne s'en cache pas. Staline aime la vérité et rien que la vérité, même si c'est celle de sa faute.

- Tout le monde à peur de Staline.
- C'est vrai. Même moi, de temps en temps, il m'arrive d'avoir peur de Staline.

Descartes était l'homme de son temps archaïque, camarade Danilov, tandis que l'artiste soviétique, lui, est capable de trouver la puissance de cette transcendance dans la conscience nouvelle de la souplesse du monde, de son élasticité. L'infranchissable d'hier est le franchissable d'aujourd'hui. La tristesse d'hier est la joie d'aujourd'hui. Voilà la réussite de la Révolution bolchevique : notre monde nouveau est meilleur et plus gai. Voilà le fait, camarade Danilov. Et la gaîté soviétique est sincère et pure. Elle ne doit rien aux critères décadents de l'Ouest.(...) "Au bolchevik rien d'impossible", dit la chanson. Elle dit vrai. Notre Monde Nouveau est devenu celui dont nous rêvions. Voilà ce que doit être un monument d'éternité quand on est un véritable artiste bolchevique, camarade Danilov : le monument de notre rêve accompli. Le propre de l'art soviétique étant de dire et montrer la vérité.

"On se plaint que Staline est cruel, mais Staline n'est et n'a jamais été que l'enfant de choeur d'Ilitch, s'énerve Iossif Vissarionovitch.Un coeur de pierre autant qu'un cerveau de pierre, voilà Lénine." La vérité, dit-il, c'est que Vladimir Ilitch Lénine, de toute sa sainte vie de salopard, n'a aimé qu'une et unique chose : le Dieu Pouvoir. La vie ascétique, les costumes et les cravates froissés, la petite bedaine remplie de macaronis au beurre et de bonnes paroles pour le pauvre peuple : du théâtre. De la comédie. Une seule passion et une seule tâche, pour Ilitch : le Pouvoir.

Lidia Semionova - va savoir, peut-être bien retient-elle le désir d'une caresse sur le poignet du camarade Staline, sur son front ou ses tempes grêlées, fatiguées, grisées et comme poussiéreuses, ainsi que durent l'être celles de tous ces rois, tsars et empereurs, tyrans bénis et abhorés qu'un jour on mua en pierre votive pour rappeler à tout un chacun que, de leur vivant déjà, l'humanité ordinaire les avait quittés - (...)

Voilà ce qui s'est passé à Koureïka. Le travail m'a sauvé. Ils ont envoyé Staline dans l'Arctique pour qu'il crève et Staline en est revenu plus fort. A l'entrée des camps de zek j'ai fait écrire : "En URSS, le travail est la joie et la gloire de l'homme." Ou : "Travaille, ta liberté est entre tes mains." Les bons éléments, même les pas trop mauvais, comprennent. Ils s'adaptent, survivent dix, quinze ans. Une vie. Ca finit quand même par en faire des citoyens. Les chochottes crèvent. Qu'est-ce qu'on y peut ? Comme disent les Toungouses : des hommes, on peut toujours en faire d'autres. On forge l'acier en le chauffant jusqu'à l'incandescence puis en le plongeant dans l'eau glacée. Moi aussi j'ai des devises simples.