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Critique de SZRAMOWO


Le peintre Valery Yakovlevitch Danilov a fait preuve de la plus grande naïveté. Lui, l'enfant adoptif de maman Vera Moukhina, «cette femme aux yeux clairs et sévères de Lettone bolchevique» qui professe «Il n'y a d'autres grandeur en peinture, en art quel qu'il soit, que d'atteindre l'humilité de celui qui sait être le miroir exaltant de la vérité du peuple.», est convaincu d'avoir une idée de génie pour rendre gloire au petit père des peuples, le Grand Staline.
Voilà. le problème c'est qu'il ne peut y avoir d'autres génies que le Grand Staline.
En réalité, Danilov a «...des visions de peinture. Toiles immenses, monochromes, vibrantes de simples mouvements de ton. Souffles de brosses pareils à des traces de temps. Danse de matière, tantôt opaque comme une glaise, tantôt fluide. Buée de transparence, jouissance ténue comme une levée de femme en amour. Insondable mesure de l'univers.»
Des pensées refoulées qui pourraient le faire passer pour un de ces «...fainéants de l‘abstraction à la manière du traitre Kandinsky et des juifs américains...», peintres de «la défécation avariée, trompeuse et démoniaque d'âmes asservies par le néant.»
Jean-Daniel Baltassat est un esthète de l'écriture et à la manière d'un esthète, il nous fait pénétrer dans l'univers paranoïaque de Iossif Vissarionovitch Staline avec son environnement humain et matériel défaillant.
Les voitures : « L'arrière de la Moskvitch ne manque pas d'angles et autres cochonneries- pointes, arêtes tirettes, ourlets du cuir éraillé de la banquette, poignées de cendrier - aptes à vous détruire un nylon quand on vous y secoue comme du bétail.», la plomberie : «...aboiements des tuyauteries secouées, frappées, torturées, une gueulante qui pourrait faire craindre le pire si on ne se souvenait que la dernière fois déjà ça braillait pareillement et sans risque...», les cigarettes âpres et rapeuses : «tant pis pour le goût délicat des anglaises.»
Tout dans les décors et les «choses» de ces années 1950 fonctionnent à l'image du pays sorti du cerveau schizophrène de Iossif Vissarionovitch. La hantise du révisionnisme, la peur de succomber aux sirènes rétrogrades des bourgeoisies décadentes.
Lui se sent très vaguement concerné par tout cela. Sa maîtresse Lidia Vodieva Semionova, ressemble à un mannequin parisien «...les pans de son manteau dégageant la bonne coupe de hanche de sa jupe ...copie moscovite d'un patron Chanel», il possède «une coupe de pipes Dunhill, toutes semblables (...) une blague à tabac - cadeau de Churchill
Mais il porte en lui une blessure. La phrase que Lénine aurait prononcée sur son lit de mort : «Staline est trop grossier, et ce défaut, tout à fait tolérable dans notre milieu et les contacts entre nous autres communistes, devient intolérable dans la fonction de secrétaire général.»
Il abhorre Freud, le Charlatan Viennois : «A l'Ouest, il va les véroler jusqu'à l'os avec ces cochonneries de bordel.», mais ne peut s'empêcher d'éprouver sa technique d'interprétation des rêves.
Le roman, même s'il est pure fiction, décrit à la perfection le fonctionnement de la Cour Stalinienne. Les sentiments qui agitent Staline et ceux qui agitent son entourage. Les fidèles sincères et les fidèles qui jouent à être sincère et dont il sait qu'ils mentent. Et ceux comme Danilov qui ignorent comment jouer la sincérité et la fidélité.
Dans cette lutte d'influence, Danilov ne sera qu'un jouet avec lequel le nouveau tsar va s'amuser aux dépens de l'intéressé lui-même, mais aussi aux dépens de ceux qui le lui ont offert.
Une lecture qui donne le vertige, mais dont on ne se lasse pas. Des phrases inoubliables.
«Alors on lève les yeux vers le ciel de diamant où la nuée des jours passés s'est enfuie devant le grand Staline.
Alors rigolade et soulagement.»
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