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2,83

sur 98 notes
Il est des titres qui nous font imaginer à l'avance ce que sera le livre. Et un peu comme pour le risque du bébé rêvé auquel ne correspondra jamais l'enfant réel, le risque que nous soyons déçus par le livre que nous proposera l'auteur est grand. Pourtant malgré cette évidence, il nous arrive souvent de reprocher à l'auteur cet écart entre notre rêve et sa réalité.

Accoler le meuble symbole de la psychanalyse à une figure historique du communisme soviétique ne peut être anodin. On se plaît immédiatement à envisager les incompatibilités, à espérer une meilleure compréhension de l'homme et de cette période historique charnière, éclairés tout deux par les lumières freudiennes. On lit un quart du livre et on ne rencontre qu'un clin d'oeil appuyé par l'intermédiaire d'un livre de Freud et un divan qui sert plus de couche que d'accouchement. On arrive à la moitié et on commence à craindre que le titre soit un tantinet racoleur et ne comprenne que des allusions indirectes. La seconde partie ne nous rassure que partiellement puisqu'on y assiste en effet à deux séances "d'analyse" qui permettent surtout de mesurer tout l'intérêt contrarié que Staline devait avoir pour cette nouvelle science bourgeoise fondée par celui qu'il prend plaisir à surnommer le "charlatan viennois".

Pris dans cette recherche du livre qui ne naîtra pas, on en oublie d'apprécier un livre qui nous narre plutôt agréablement la vieillesse d'un dictateur, la cour craintive et pas avare de compliments au Grand Homme. On a du mal à s'intéresser comme on le devrait aux personnages de fiction apportés par l'auteur, Vodieva la maîtresse au dévouement prudent et Danilov le peintre orphelin de parents opposants politiques. Il y a pourtant une belle confrontation à distance entre cet homme de pouvoir sur le déclin et ce jeune artiste chargé de chanter sa gloire pour la postérité.

On est peut-être pas aidé par certains choix stylistiques un peu plombants. Autant je peux comprendre le jeu autour des différents noms (Staline, Iossif Vissarionovitch....) et le choix du pronom de majesté "nous" rabaissé le plus souvent en "on" pour insister sur les différentes incarnations du personnage... autant j'ai été régulièrement gêné par les phrases à rallonge... de plus coupées à des endroits déstabilisant par des incises dont on aurait pu se passer. le procédé se répète tellement qu'il s'agit soit d'un tic stylistique, soit d'un choix de construction avec un but précis... que je n'ai pas pu comprendre.

On finit le livre assez déçu pour nous, pour lui, pour l'auteur, que cette rencontre n'ait pu être qu'imparfaite, à cause de nos attentes partiellement rassasiées. Moi qui me refuse à lire résumés et quatrièmes de couverture pour ne pas gâcher ma découverte, vais-je devoir ignorer les titres pour tromper mes propres exigences ? Il me restera heureusement les recommandations des Babeliotes et la main innocente du hasard... ou alors à accepter de me laisser emporter par les choix d'un auteur sans se construire son propre roman, bref à laisser un peu de côté mon ego, mon ça et mon surmoi pour apprécier sans tout analyser.
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« le divan de Staline » de Jean-Daniel Balthassat. Voilà un livre de la rentrée qui avait fait son entrée dans ma liste de lectures probables, ou pour le moins, dans celle des lectures envisageables…

Coïncidence : on me le propose en masse critique, et c'est avec enthousiasme que je postule pour le recevoir. Las ! Je n'imaginais pas à l'époque la difficulté et le courage qu'il me faudrait pour atteindre le mot « Fin »…

Et pourtant : Staline, Freud, Lénine, le Palais Likani… autant de noms évocateurs… Mais une intrigue confuse (et creuse, un paradoxe…) et une forme alternant phrases courtes et longues digressions – parfois non dénuées de style, néanmoins – dont l'abus m'ont fait perdre pied à de nombreuses reprises et conduit si souvent à une lecture « automatique » dont on ne retient quasiment rien. Dommage…

Une lecture laborieuse que seul mon engagement auprès de Babélio m'a permis de terminer… laborieusement… Babélio que je remercie, malgré tout, ainsi que l'éditeur SEUIL : toutes les expériences sont bonnes à entreprendre en matière de littérature, surtout avec un titre aussi aguicheur que celui-ci ; mais je crois que Jean-Daniel Balthassat ne m'y reprendra pas…
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Staline à la fin de sa vie, Lidia sa fidèle maitresse et Danilov, un artiste talentueux chargé d'ériger un monument à la gloire du petit père des Peuples, un trio dont les échanges constituent la trame de ce roman construit selon les règles du théâtre classique : unité d'action, de lieu et de temps.

La ténuité du propos contraste avec la richesse de la narration : sur à peine 300 pages, sont conviés maints personnages et pas des moindres, Lénine, Trotsky, Freud le Charlatan viennois (dixit), Chou en lai et Mao..., jaugés à l'aune d'un Staline arrivé à l'heure des bilans.

Ce huis clos installé dans le palais de l'un des descendants de Nicolas 1er restitue l'ambiance de suspicion et de crainte qui a marqué la période funeste des purges entre 1936 et 1950 (20 millions de morts...). Les interrogatoires de la garde rapprochée de Staline, en sont une illustration à peine caricaturale. Chaque mot, chaque construction de phrase sont de potentiels pièges qui enferment la proie désignée dans un piège infernal.

Et ce divan? le même que celui qu'utilisait Freud à Londres pour «allonger ses pigeons». Habile stratagème pour un doublé : fustiger le Viennois, tout en testant la méthode : souvenirs et cauchemars sont ainsi livrés en pâture au lecteur, lourds de révaltions sur l'histoire et sur le personnage

L'écriture contribue à la magie qui se dégage de l'oeuvre : riche et élégante, mais sans emphase, elle confère une couleur chaude à ce récit : bel emballage pour un cadeau délicat

Avertissement : il vaut mieux s'informer sur le décryptage des noms, patronymes et surnoms russes pour éviter de se noyer dans le défilé des personnages. Cela dit, on n'est pas dans Guerre et Paix...

Merci à Babelio et aux éditions Seuil pour ce partenariat

Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Le chat qui joue avec la souris... Ce portrait d'un Staline vieilli ( non pas en fût comme un bon vin, mais plutôt comme un vinaigre, qui vous donnerait des maux d'estomac...) se jouant de son entourage et de sa maîtresse au fil de ses souvenirs avec l'oeil aiguisé de ceux qui exercent le pouvoir est fulgurant de vérité. On y voit un homme qui sait que pour exercer sa domination sur les autres il faut se taire et ne rien montrer de ce que l'on pense, qui manie le chaud et et le froid avec une rare habileté, qui se sert des mots pour déguiser sa pensée, comme le disait si bien Talleyrand, et distiller la terreur minute après minute, tant et si bien que l'interlocuteur ne sait jamais à quoi va le mener ce qui lui est dit (goulag or not goulag, that is the question). Bref Baltassat démontre avec brio en peu de pages les rouages du pouvoir en général et de la dictature en particulier, à travers la vie d'un homme qui s'efforce de distinguer la vérité des mensonges qui lui sont servis par ceux qui ont peur de lui comme par ceux qui le flattent. Devenu mi-mégalo mi-parano à force d'exercer ce pouvoir Staline n'en reste pas moins un homme que tourmente le passé, au fil de cauchemars récurrents qu'il raconte à sa maîtresse sur un divan devenu le lit de sa vieillesse et de son impuissance. Là où les mots avaient pour Freud un pouvoir libérateur, ils enferment ici le dictateur et sa maîtresse dans une relation morbide où l'amour devient la proie du mensonge et de la manipulation réciproques. J'ai beaucoup aimé la belle écriture percutante de Baltassat, acérée, sans concession, qui nous montre la vérité d'un homme qui n'en avait aucune.
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Je suis dans le plus grand des embarras…Pour rendre compte d'une lecture offerte par les éditions du Seuil et de Masse critique… il s'agit du dernier roman de Jean-Daniel Baltassat, dont j'ignorais tout. Je débute par ce texte… original par son sujet, original par sa thématique… Mais la magie n'a pas opéré… et si je n'avais pas été prise par mes engagements pour Masse critique, j'aurai abandonné…
Cela ne m'empêche pas de remercier abondamment les éditions du seuil et Masse critique… car ce roman est d'une grande qualité, mais je n'étais pas la bonne lectrice à ce moment-là….

La qualité du texte, du style ne sont pas en cause… mais trop de choses ont freiné ma lecture : des phrases interminables , regorgeant de détails, de qualificatifs…Ceci peut captiver et éblouir certains lecteurs et c'est heureux. Pour ma part, je suis plutôt dans le goût de l'épure et de la sobriété.. .
Cette surabondance m'a freinée, fait trépigner… car l'essentiel du sujet tardait à poindre…à chaque fois.

Un autre manque à mon humble avis pour apprécier cette lecture, sans aller faire des recherches à droite , à gauche : un glossaire, à la fois pour les noms des personnages, leurs fonctions, mais aussi pour du vocabulaire simple, des abréviations nombreuses… que l'auteur maitrise son sujet , aie fait moult recherches…nous n'en doutons pas un seul instant, mais pour le lecteur néophyte que je suis, quelques explications des termes les plus employés…pour aborder la découverte de ce roman m'aurait fait aborder ce texte de façon moins austère.

Le sujet est très intéressant : les dernières années du règne du Petit Père des Peuples, Staline, où ce dernier se retire dans le palais décadent de feu le grand duc Mikhaïlovitch avec sa maîtresse , pour recevoir un jeune peintre, Danilov, réalisateur d'un monument colossal en son honneur.

Nous voyons évoluer Staline, personnage vieillissant, mais toujours aussi imbu de son pouvoir, entouré d'une domesticité et collaborateurs, en adoration et soumission absolues…devant lui.

Une ironie et drôlerie certaines fusent à travers ce roman comme dans cet extrait: "L'heure est maintenant aux effusions de basse-cour, baisers de main, émotions impossibles à contenir, si bien que l'une des cuisinières éreintées par tous les signes de la pâmoison, s'agrippant au poignet de la Rumichvili, ploie ses lourdes jambes, réclame un baiser de son grand homme, réclame la vie, le souffle de la vie que Toi seul, ô camarade Staline, mon aimé de rêve et de vérité, Toi seul, pardonne-moi mon indécence, mais il n'est pas un jour de ma vie où j'ouvre les yeux sans le penser, Toi seul peux me donner !...(p.80)

Un huis clos avec une multitude de personnes, mais en réalité 3 personnages prennent le devant de la scène : Staline, sa maîtresse de longue date, Lidia Vodieva, et le personnage le plus attachant, égaré dans cet univers clos et oppressant, uniquement géré dans l'ultime culte de la personnalité de Staline, Danilov, jeune artiste chargé de célébrer la gloire de Staline, par la réalisation d'une oeuvre célébrant sa grandeur ... .

Huis clos déroutant, dérangeant, glauque, oppressant... Comme l'entretien de contrôle de l'artiste, Danilov,par un proche collaborateur de Staline se faisant questionner de la manière la plus indélicate qui soit ,pour vérifier sa "bio", les surveillances, suspicions multiples... tout est excellemment rendu des abus d'un pouvoir, du culte de la personnalité par les communistes...

Je choisirai un passage lié au travail artistique que doit concevoir Danilov... pour montrer la qualité du style; du choix des mots .. ce livre est étonnant; déroutant... mais je reste mitigée et perplexe... cette découverte me fait m'interroger sur le contenu et les ambiances des autres fictions de cet écrivain que je ne connaissais pas, sur lequel je vais m'informer plus attentivement, après cette première découverte, où je suis restée sur un sentiment ambivalent

Le passage qui suit est très intéressant , car il parle du choix du matériau le plus approprié pour l'oeuvre que Danilov doit réaliser en l'honneur de Staline.

" La première question à résoudre sera celle du matériau. Non seulement parce que le matériau décidera de l'apparence des images elles-mêmes mais aussi parce qu'il générera la force symbolique du monument. de même que le granit était incontournable pour symboliser la résistance indestructible de Lénine aux forces contraires à la Révolution, la colonne vertébrale de Staline imposant au monde l'ordre nouveau de l'Union soviétique ne peut être, selon moi, que d'acier. L'acier même du camarade Staline, si j'ose dire. Un alliage hors du commun et unique: le sommet su savoir sidérurgique soviétique. (...) en outre, et c'est peut-être le plus important, cet acier est un miroir. Il demeure intact au gré des tempêtes et des beaux jours, tout comme le généralissime Staline, mais aussi les couleurs du monde, des choses et du ciel s'y reflètent dans leurs infinies variations "(p.113)

Je n'ai pas commenté l'idée très drôle de Staline, voulant et faisant reconstituer le divan du Docteur Freud, le grand Charlatan viennois...pour se faire "psychanalyser" par sa maîtresse, car de nombreuses critiques l'ont déjà fait, avec beaucoup d'à-propos...

Je le répète... ce roman est d'une grande qualité, mais je n'étais pas la bonne lectrice à ce moment-là….je le lirai et l'appréhenderai peut-être autrement ultérieurement... en tous cas, je salue l'originalité du sujet et de son approche...
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Un grand merci aux Editions Seuil et à Babelio pour cette édition spéciale de l'opération Masse critique, qui m'a permis de découvrir ce roman de la rentrée littéraire 2013.

C'est une véritable ambiance en huis-clos qui est développée par Jean-Daniel Baltassat dans le divan de Staline. Car, malgré le foisonnement de militaires, de gardes et de domestiques autour de Staline, le récit ne se concentre véritablement que sur trois personnages, dont nous partageons les réflexions les plus intimes, les doutes et les souvenirs.

Staline lui-même, tout d'abord. Iossif Vissarionovitch a près de 70 ans lorsque débute le récit et il semble affaibli par les années. Les difficultés de sa vie passée (exil, suicide de son épouse...) encombrent sa mémoire et il tente apparemment d'ordonner ses pensées en se prêtant à l'analyse de ses rêves. Avec sa maîtresse de longue date, Lidia Semionova Vodieva, Staline décide d'appliquer la méthode d'analyse des rêves mise au point par Sigmund Freud (que Staline surnomme le Charlatan viennois) à certains épisodes dérangeants apperçus en rêve et qui lui ont laissé de mauvais souvenirs au réveil. Les séances d'analyse en question ne sont pas nombreuses (une seule avec la Vodieva, peut-être deux que Staline accomplit seul) mais elles permettent d'en apprendre plus sur la manière de penser de cet homme que tout le monde craint.

La Vodieva est le second personnage d'importance rencontré dans le roman. Encore belle et très bien faite malgré qu'elle ait passé la quarantaine, Lidia craint Staline mais est restée proche de lui. Leur relation a plus de vingt ans lorsque nous rencontrons cette femme dure et froide. Et, petit à petit, on se rend compte que, si Lidia est restée fidèle à Staline durant tout ce temps, c'est sans doute justement parce qu'elle le craint. Elle connaît l'homme (sans doute mieux que personne) et sait qu'il serait dangereux de s'aliéner son affection, même si Staline est aujourd'hui un vieillard affaibli. La Vodieva nous offre autant de souvenirs et de réflexion que le Petit Père des Peuples et, grâce à Iossif Vissarionovitch et à sa maîtresse, c'est l'histoire de la Russie, de Lénine et de Staline qui se dessine peu à peu sous nos yeux. Histoire morcelée, certes, mais assez détaillée malgré tout : complots, rumeurs, bras de fer politiques, exils...

Le troisième personnage principal de ce roman est Valery Yakovlevitch Danilov, un jeune artiste chargé de célébrer la gloire de Staline grâce à une oeuvre monumentale. Ce jeune homme m'a donné l'impression d'être un équilibriste : son destin semble précaire et sa relation avec Staline ne semble pas idéale pour la carrière d'un artiste surdoué. Cette oeuvre qu'il doit réaliser va-t-elle mettre la vie de Danilov en danger ? Les vautours chargés de la sécurité de Staline tournoient autour de Danilov en cercles de plus en plus étroits, enquêtent en détail sur les moindres faits et gestes du jeune homme, sur ses relations, sur ce que son ex-petite amie pensait de Staline. Ils posent des questions indiscrètes. le moindre aspect de la vie de Danilov semble devenir suspect.

Je retiendrai surtout de ce Divan de Staline une certaine ambiance. Oppressante et chargée de souvenirs. L'auteur maîtrise parfaitement bien son sujet et on ne peut qu'imaginer les nombreuses heures de recherches accomplies par Baltassat pour écrire ce roman, véritable condensé de l'histoire russe. Un bel exercice pour un beau roman.

Pour les curieux, n'hésitez pas à visiter le site internet des Editions Seuil ainsi que la page consacrée à ce roman.
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Une fois n'est pas coutume. Ce titre "le divan de Staline" semblait une occasion trop belle pour ne pas se laisser tenter par cette rentrée littéraire 2013.
Jean Daniel Baltassat nous propose, en cette année 1950, de lui emboîter le pas à travers l'U.R.S.S. pour être présenté à un personnage qui n'est pas vraiment ce qu'il semble : un modeste, paisible et vieux jardinier.
Iossif Vissarionovitch Staline est le maître de la Russie soviétique pour trois ans encore. Il est un personnage, difficile à manier, trop épais pour s'en laisser conter même dans une oeuvre de fiction.
La sonnerie du téléphone a surpris le jeune peintre Danilov dans son atelier de Moscou. Lidia Semionova Vodiev, favorite du maître annonce qu'il veut voir le jeune artiste.
C'est un honneur, une grande nouvelle, le point de départ d'un huis clos, déroutant, étouffant et parfois angoissant...
Jean Daniel Baltassat signe un bon livre.
Son style, parfois déconcertant, en fait une oeuvre très personnelle. Dans des chapitres courts, il fait alterner des énumérations, des ellipses sans verbes, des descriptions concises dans leur forme mais pourtant évocatrices avec des phrases longues, puissamment construites qui semblent comme des forteresses entrelacées de mots.
Le récit, s'il n'est pas passionnant, est tout de même prenant. On y voit évoqués les ombres de Freud, de Lénine, du mensonge et surtout du poids de la vérité que devra affronter, en fin de compte, le jeune peintre Danilov.

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Le peintre Valery Yakovlevitch Danilov a fait preuve de la plus grande naïveté. Lui, l'enfant adoptif de maman Vera Moukhina, «cette femme aux yeux clairs et sévères de Lettone bolchevique» qui professe «Il n'y a d'autres grandeur en peinture, en art quel qu'il soit, que d'atteindre l'humilité de celui qui sait être le miroir exaltant de la vérité du peuple.», est convaincu d'avoir une idée de génie pour rendre gloire au petit père des peuples, le Grand Staline.
Voilà. le problème c'est qu'il ne peut y avoir d'autres génies que le Grand Staline.
En réalité, Danilov a «...des visions de peinture. Toiles immenses, monochromes, vibrantes de simples mouvements de ton. Souffles de brosses pareils à des traces de temps. Danse de matière, tantôt opaque comme une glaise, tantôt fluide. Buée de transparence, jouissance ténue comme une levée de femme en amour. Insondable mesure de l'univers.»
Des pensées refoulées qui pourraient le faire passer pour un de ces «...fainéants de l‘abstraction à la manière du traitre Kandinsky et des juifs américains...», peintres de «la défécation avariée, trompeuse et démoniaque d'âmes asservies par le néant.»
Jean-Daniel Baltassat est un esthète de l'écriture et à la manière d'un esthète, il nous fait pénétrer dans l'univers paranoïaque de Iossif Vissarionovitch Staline avec son environnement humain et matériel défaillant.
Les voitures : « L'arrière de la Moskvitch ne manque pas d'angles et autres cochonneries- pointes, arêtes tirettes, ourlets du cuir éraillé de la banquette, poignées de cendrier - aptes à vous détruire un nylon quand on vous y secoue comme du bétail.», la plomberie : «...aboiements des tuyauteries secouées, frappées, torturées, une gueulante qui pourrait faire craindre le pire si on ne se souvenait que la dernière fois déjà ça braillait pareillement et sans risque...», les cigarettes âpres et rapeuses : «tant pis pour le goût délicat des anglaises.»
Tout dans les décors et les «choses» de ces années 1950 fonctionnent à l'image du pays sorti du cerveau schizophrène de Iossif Vissarionovitch. La hantise du révisionnisme, la peur de succomber aux sirènes rétrogrades des bourgeoisies décadentes.
Lui se sent très vaguement concerné par tout cela. Sa maîtresse Lidia Vodieva Semionova, ressemble à un mannequin parisien «...les pans de son manteau dégageant la bonne coupe de hanche de sa jupe ...copie moscovite d'un patron Chanel», il possède «une coupe de pipes Dunhill, toutes semblables (...) une blague à tabac - cadeau de Churchill
Mais il porte en lui une blessure. La phrase que Lénine aurait prononcée sur son lit de mort : «Staline est trop grossier, et ce défaut, tout à fait tolérable dans notre milieu et les contacts entre nous autres communistes, devient intolérable dans la fonction de secrétaire général.»
Il abhorre Freud, le Charlatan Viennois : «A l'Ouest, il va les véroler jusqu'à l'os avec ces cochonneries de bordel.», mais ne peut s'empêcher d'éprouver sa technique d'interprétation des rêves.
Le roman, même s'il est pure fiction, décrit à la perfection le fonctionnement de la Cour Stalinienne. Les sentiments qui agitent Staline et ceux qui agitent son entourage. Les fidèles sincères et les fidèles qui jouent à être sincère et dont il sait qu'ils mentent. Et ceux comme Danilov qui ignorent comment jouer la sincérité et la fidélité.
Dans cette lutte d'influence, Danilov ne sera qu'un jouet avec lequel le nouveau tsar va s'amuser aux dépens de l'intéressé lui-même, mais aussi aux dépens de ceux qui le lui ont offert.
Une lecture qui donne le vertige, mais dont on ne se lasse pas. Des phrases inoubliables.
«Alors on lève les yeux vers le ciel de diamant où la nuée des jours passés s'est enfuie devant le grand Staline.
Alors rigolade et soulagement.»
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Palais de Likami en Géorgie automne 1950, Danilov jeune artiste moscovite de 27ans est « invité »par Staline, a présenter un projet de peinture à la gloire du petit père des peuples .Sa mère adoptive Véra Moukhina,l'artiste officielle du Parti l'a rassuré "IL est exactement comme on le dit :l'homme le plus courtois et le plus merveilleux qu'il puisse se concevoir».Unité de temps, unité de lieu,dans l'immense demeure de la station thermale de Borjomi ,un théâtre d'ombre va se jouer . Guidé par Lidia Semionova la vieille maitresse du tyran, Danilov va s'approcher très près, trop près du pouvoir.

Véritable ballet paranoïaque et délétère, nous assistons à la vie quotidienne et intime du dictateur vieillissant : Staline caresse le masque mortuaire de Lénine, Staline s'endort en écoutant sa maitresse lire à haute voix des poèmes de Pouchkine, Staline s'allonge sur le divan avec en fond sonore l'Othello de Verdi, Staline flirtant ainsi avec l'impossible bourgeoisie. Tel un choeur antique malfaisant, Vlassik, Poskrebychev et Tchoubinsky, garde rapprochée du petit père des peuples, guettent et nous ramènent chaque fois à la terrible réalité : le crépuscule du tyran sera comme toute sa vie, rouge sang.

C'est en découvrant, au cours d'une visite touristique, une copie du divan de Freud dans le palais de Likami, que Jean-Daniel Baltassat a eut l'idée de ce bon roman historique, son écriture très visuelle, opère de lents travelling cinématographiques :l'arrivée de Staline au palais ,une scène de nuit où, tandis qu' IL regarde des films américains dans le grand salon, sa maitresse prend un bain dans la piscine d'eau soufrée sous les yeux du jeune l'artiste, sont des pages saisissantes.

Baltassat utilise les travaux de l'historien Nicolas Werth sur le goulag de l'ile Nazino pour convoquer l'histoire avec un grand H et nous livrer un final terrifiant et là nous ne sommes plus du tout chez Tchekhov mais chez Stephen King .
Et ce roman, lu grace à Babelio et son opération masse critique, et également présent sur la première liste des 15 "goncourables" est assurément un des bons romans de la rentrée!!
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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1950, trois avant sa mort, celui qu'on surnomme le Petit Père des Peuples est surtout le petit bureaucrate qui a réussi à s'imposer à la tête du pouvoir soviétique comme un dictateur tyrannique et impitoyable. Sans opposants ni contradicteurs, c'est l'occasion pour Jean-Daniel Baltassat d'imaginer Staline l'inflexible tenté de se livrer à un exercice d'introspection, une sorte de confrontation avec soi-même le jour où un jeune peintre prometteur se propose d'édifier un monument à la gloire du chef, lui offrant ainsi un visage pour l'éternité. Lénine a bien un mausolée.

L'art peut-il réellement rendre l'oeuvre égale au modèle ? Peut-il restituer la grandeur de Iossif Vissarionovitch en se bornant à représenter ses traits et son apparence sous la forme d'une grande fresque murale en acier ?
Ce sont des questions qui ont pu s'inviter à l'esprit de Staline dans ce roman qui n'offre pas de vision tranchée ou de trame narrative évidente mais plutôt quelque chose de lent et d'impalpable, s'étirant progressivement dans le ténébreux et le macabre.
Car ce Staline vieillissant qui se veut flamboyant, majestueux, entouré d'un bal de courtisans digne de Louis XIV, maîtrise l'art du faux-semblant, du mensonge et du rebondissement. L'auteur déploie un personnage desséché par la mégalomanie qui s'épanouit dans la théâtralité et la volupté, au point d'attiser des séductions mensongères de la part de son entourage. Elles pourraient apparaître absurdes si elles n'étaient pas inspirées par la peur d'un homme qui a envoyé des millions d'individus mourir au fin fond de la Sibérie.

Dés lors, « dresser l'exaltant miroir de la vérité du peuple » peut apparaître illusoire pour ce jeune peintre quand on sait que cette entreprise exige une relation particulière entre l'artiste et le modèle, une relation que Staline manipulateur n'a pas forcément envie de favoriser…


En cultivant le goût de Staline pour la mise en scène et le marivaudage, Jean-Daniel Baltassat propose un texte surprenant. Voire perturbant. Cette pseudo séance de vérité ou d'interprétation de rêves dans laquelle les intentions et divagations se mêlent sous le poids des nuits sans sommeil est difficile à interpréter. Occupant peu de pages dans le récit, elle ne pourrait être qu'anecdotique si elle ne mettait pas en lumière toute la perversité du dictateur. Comme si, en définitive, tout ceci n'avait été qu'un jeu …

En refermant le livre, j'ai tout de même eu l'impression d'avoir lu un roman à l'image de son personnage, impénétrable et sournois, ne permettant pas au lecteur d'interpréter avec certitude les discours comme les silences.
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