Le 6 décembre 1939, toute la famille Balthazar s'embarque dans le train à destination de Bruxelles pour rendre visite à Saint Nicolas. Après la rencontre, le père invite sa femme et ses cinq enfants à manger une gaufre dans un établissement. Marcelle a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre et n'arrive pas à terminer la sienne. Un peu plus tard, elle y repensera avec nostalgie. La guerre envahit la Belgique, son père est mobilisé. Les habitants résistent comme ils le peuvent.
Flore Balthazar consacre cet album à la vie de sa famille pendant la seconde guerre mondiale. Elle raconte l'histoire à travers les souvenirs de sa grand-tante Marcelle, dite « Tantelle ». le récit s'étale sur dix ans. Il commence le 6 décembre 1939, au moment où la guerre s'annonce et où les Balthazar vivent leurs derniers moments de joie. Il se termine le 26 juin 1949 : les femmes de la famille vont aller voter pour la première fois.
Marcelle est une adolescente de quinze ans au moment de la déclaration de guerre. Elle tient son journal dans lequel elle raconte les grands événements qu'elle vit : l'arrivée des soldats français qui s'installent chez eux, la capitulation de
Léopold III, l'exode, l'occupation, la libération, ainsi que la vie de sa famille : la mobilisation de son père, emprisonné ensuite en Allemagne, ses études à l'école normale de Nivelles, les efforts de leur mère pour leur préparer quelques friandises comme les « couques de Suisse ».
En parallèle, on suit Marguerite Clauwaerts, la jeune institutrice très impliquée dans la lutte clandestine.
Flore Balthazar a habilement mêlé la grande histoire à la petite. Elle est demeurée proche de la réalité tout en laissant courir son imagination. Si elle a, par exemple, présenté les membres de sa famille sous leurs véritables noms, elle a transformé certains acteurs du drame qui ont cependant réellement existé. Ainsi, sous les traits de Marguerite Clauwaerts se cache la résistante Marguerite Bervoets. Je suppose qu'elle est restée fidèle aux événements vécus par cette personnalité historique, mais en la transformant en héroïne de fiction, elle pouvait lui donner une vie privée qu'elle était libre d'inventer. le décor de son histoire est la ville de la Louvière et, comme les personnages les plus importants du récit sont féminins, elle l'a intitulé «
Les Louves ».
Certains moments m'ont beaucoup frappée, car ils m'ont rappelé des souvenirs. Non pas les miens, bien évidemment, puisque, heureusement, je n'ai pas vécu à cette époque, mais ceux de mes parents. Ainsi, ma mère nous a raconté plusieurs fois le moment horrible où, à la Libération, les habitants de sa rue sont allés débusquer un collaborateur et l'ont lapidé. Elle frémissait en se rappelant comment on le lançait en l'air pour le laisser retomber sur les rails du tram, jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un pantin sanglant et disloqué. Papa nous avait aussi relaté comment des femmes, accusées de « collaboration horizontale » avaient été tondues. On trouve des épisodes semblables dans le récit de
Flore Balthazar.
Pour symboliser les troupes en présence, elle parle, non de soldats, mais de loups. Les ennemis ont des yeux rouges et ceux des alliés sont jaunes.
La plupart du temps, nous restons dans l'intimité de la famille Balthazar, mais, à certains moments, la grande histoire s'invite dans leur quotidien, dans des tons gris ou verdâtres : c'est l'avancée des troupes ennemies, les interventions à la radio d'hommes politiques, comme le roi
Léopold III ou le ministre Pierlot, les bombardements des endroits stratégiques, le travail forcé des prisonniers dans les usines d'armement allemandes, les interrogatoires de la Gestapo. Et, tout au long du volume, retentit le bruit strident des alertes aériennes. Pour donner l'impression que nous lisons le journal de Marcelle, son récit est présenté dans une typographie qui rappelle une écriture cursive.
Quelques moments de bonheur, telles des vacances à la campagne, tranchent sur la tristesse générale, traduite en tons ternes, par des couleurs vives et gaies : du jaune, du vert.
Enfin, l'album se termine par un petit dossier qui expose cette époque de façon historique et didactique, illustrée par des photos en noir et blanc de la famille Balthazar ou de Marguerite Bervoets.
J'ai beaucoup aimé cette émouvante évocation qui permet de découvrir la guerre par le petit bout de la lorgnette et dans nos régions.