Citations sur Adieu (30)
C’était comme un lieu funeste abandonné par les hommes. Le lierre avait étendu partout ses nerfs tortueux et ses riches manteaux. Des mousses brunes, verdâtres, jaunes ou rouges répandaient leurs teintes romantiques sur les arbres, sur les bancs, sur les toits, sur les pierres. Les fenêtres vermoulues étaient usées par la pluie, creusées par le temps ; les balcons étaient brisés, les terrasses démolies. Quelques persiennes ne tenaient plus que par un de leurs gonds. Les portes disjointes paraissaient ne pas devoir résister à un assaillant. Chargées des touffes luisantes du gui, les branches des arbres fruitiers négligés s’étendaient au loin sans donner de récolte. De hautes herbes croissaient dans les allées.
En ce moment, quelques rayons de soleil se firent jour à travers les crevasses des nuages, illuminèrent par des jets de mille couleurs cette scène à demi sauvage. Les tuiles brunes resplendirent, les mousses brillèrent, des ombres fantastiques s’agitèrent sur les prés, sous les arbres ; des couleurs mortes se réveillèrent, des oppositions piquantes se combattirent, les feuillages se découpèrent dans la clarté. Tout à coup, la lumière disparut. Ce paysage qui semblait avoir parlé, se tut, et redevint sombre, ou plutôt doux comme la plus douce teinte d’un crépuscule d’automne.
"Cet ouragan de faces humaines, ce flux et reflux de corps animés par un même mouvement eut pour résultat de laisser pendant quelques moments la rive de la Bérésina déserte. La multitude s'était rejetée dans la plaine. Si quelques hommes se lancèrent à la rivière du haut de la berge, ce fut moins dans l'espoir d'atteindre l'autre rive qui, pour eux, était la France, que pour éviter les déserts de la Sibérie."
Il pressa la folle sur son sein, et dit en continuant : — Il t’aurait tuée, l’égoïste ! il veut te donner la mort, parce qu’il souffre. Il ne sait pas t’aimer pour toi, mon enfant ! Nous lui pardonnons, n’est-ce pas ? il est insensé, et toi ? tu n’es que folle. Va ! Dieu seul doit te rappeler prés de lui. Nous te croyons malheureuse, parce que tu ne participes plus à nos misères, sots que nous sommes ! Mais, dit-il en l’asseyant sur ses genoux, tu es heureuse, rien ne te gêne ; tu vis comme l’oiseau, comme le daim...
Aucun rayon d’intelligence n'animait sa figure plate. Ses yeux bleuâtres étaient sans chaleur et ternes. Quelques poils blancs clairsemés lui tenaient lieu de sourcils. Enfin, sa bouche était contournée de manière à laisser passer des dents mal rangées, mais aussi blanches que celles d'un chien.
Chacun des individus réunis par le hasard autour de ce feu gardait un silence qui avait quelque chose d’horrible, et ne faisait que ce qu’il jugeait nécessaire à son bien-être. Cette misère était grotesque. Les figures, décomposées par le froid, étaient enduites d’une couche de boue sur laquelle les larmes traçaient, à partir des yeux jusqu’au bas des joues, un sillon qui attestait l’épaisseur de ce masque. La malpropreté de leurs longues barbes rendait ces soldats encore plus hideux. Les uns étaient enveloppés dans des châles de femme ; les autres portaient des chabraques de cheval, des couvertures crottées, des haillons empreints de givre qui fondait ; quelques-uns avaient un pied dans une botte et l’autre dans un soulier ; enfin il n’y avait personne dont le costume n’offrît une singularité risible. En présence de choses si plaisantes, ces hommes restaient graves et sombres.
Pauvre petite ! s'écria le médecin, heureux du succès qu'avait eu sa supercherie. Il pressa la folle sur son sein et dit en continuant : — Il t'aurait tuée, l'égoïste ! Il veut te donner la mort, parce qu'il souffre. Il ne sait pas t'aimer pour toi, mon enfant ! Nous lui pardonnons, n'est-ce pas ? Il est insensé, et toi, tu n'es que folle. Va ! Dieu seul doit te rappeler près de lui. Nous te croyons malheureuse, parce que tu ne participes plus à nos misères, sots que nous sommes ! Mais, dit-il en l'asseyant sur ses genoux, tu es heureuse, rien ne te gêne ; tu vis comme l'oiseau, comme le daim.
Il vient de se lever là, devant moi, dit-il à voix basse, une femme étrange ; elle m'a semblé plutôt appartenir à la nature des ombres qu'au monde des vivants. Elle est si svelte, si légère, si vaporeuse, qu'elle doit être diaphane. Sa figure est aussi blanche que du lait. Ses vêtements, ses yeux, ses cheveux sont noirs. Elle m'a regardé en passant, et quoique je ne sois point peureux, son regard immobile et froid m'a figé le sang dans les veines.
Les passions humaines semblaient devoir mourir au pied de ces grands arbres qui défendaient l'approche de cet asile aux bruits du monde, comme ils y tempéraient les feux du soleil.
L’apathie de ces pauvres soldats ne peut être comprise que par ceux qui se souviennent d’avoir traversé ces vastes déserts de neige, sans autre boisson que la neige, sans autre lit que la neige, sans autre perspective qu’un horizon de neige, sans autre aliment que la neige ou quelques betteraves gelées, quelques poignées de farine ou de la chair de cheval