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La comédie humaine (La Pléiade) tome 8 sur 12

Pierre-Georges Castex (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070108664
1872 pages
Gallimard (21/03/1978)
4.07/5   42 notes
Résumé :
Études de mœurs, scènes de la vie parisienne (fin) : Les Petits Bourgeois - Madame de La Chanterie - L'Initié. Études de mœurs, scènes de la vie politique : Un Épisode sous la Terreur - Une Ténébreuse affaire - Le Député d'Arcis - Z. Marcas. Études de mœurs, scènes de la vie militaire : Les Chouans - Une Passion dans le désert.
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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Quelle drôle d'idée les bourgeois ont-ils eue d'introduire, après la Révolution, pour se démarquer des moeurs d'une noblesse bien mieux avisée, l'idée que l'amour puisse être le fondement d'un mariage? Un bon contrat, une union d'intérêts bien compris, voilà la recette d'un mariage réussi dans laquelle les hommes pouvaient pour servir leurs carrières s'appuyer sur des épouses qui en retour obtiennent d'eux le train de vie qui leur sied, sans compter que les patrimoines familiaux sont alors bien préservés.

Malgré les mises en garde de son ami de Marsay et les conseils avisés d'un notaire qui en a vu d'autres, le débonnaire comte de Manerville ne prendra hélas pas à son compte cette règle de bonne hygiène sociale en tombant en pâmoison devant la belle Nathalie qui, cornaquée par sa redoutable mère, aura vite vu en lui le pigeon à plumer et le ficellera bien vite dans un mariage contractualisé à son seul avantage.

Un Balzac grinçant à souhait sur les moeurs d'une vieille noblesse bordelaise qui sous des dehors altiers et brillants n'a que le calcul de ses intérêts en tête.
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Le Contrat de mariage d'Honoré de Balzac est une réflexion sur le mariage et ses conséquences, mais du point de vue masculin et surtout administratif cette fois.
Le comte Paul de Manerville, après une carrière de diplomate en Europe, retourne dans sa région natale, à Bordeaux, avec l'intention de se marier et de mener une vie de gentilhomme, ce que lui déconseille vivement son ami, le Marquis Henri de Marsay, persuadé que la vie de garçon n'a que des avantages.
Paul est un beau parti, une sorte de dandy, et quand il tombe amoureux de Nathalie Évangelista, la mère de cette dernière, qui a déjà dépensé l'héritage de sa fille, va tout tenter pour mettre la main sur la fortune du comte, surnommé Fleur de Pois, à cause de ses manières très parisiennes. C'est sans compter sur le dévouement du vieux notaire de la famille Manerville qui fera tout pour protéger les intérêts de Paul…

Le début du texte est, pour l'essentiel, constitué de conversations entre Paul de Manerville et Henri de Marsay sur la nécessité ou non de se marier. Les points de vue masculins en disent long sur la place de la femme dans la société du XIXème siècle. Balzac lui-même présente ces passages comme " une introduction à l'oeuvre, uniquement destinée à retracer la grande comédie qui précède toute vie conjugale […], scène […] négligée par les auteurs dramatiques, quoiqu'elle offre des ressources neuves à leur verve ". En effet, le sujet de ce roman est bien " la discussion à laquelle donnent lieu les contrats de mariage dans toutes les familles, nobles ou bourgeoises : car les passions humaines sont aussi vigoureusement agitées par de petits que par de grands intérêts ". L'auteur s'adresse à des lecteurs familiers de telles démarches qui, contrairement à nous aujourd'hui, ne seront pas dépaysés : " ces comédies jouées par-devant notaire ressemblent toutes plus ou moins à celle-ci, dont l'intérêt sera donc moins dans les pages de ce livre que dans le souvenir des gens mariés ".
À partir de là, les deux notaires sont mis en avant car " ces condottieri matrimoniaux qui s'allaient battre pour leurs clients, et dont les forces personnelles devenaient si décisives en cette solennelle rencontre, les deux notaires représentaient les anciennes et les nouvelles moeurs, l'ancien et le nouveau notariat ". Certains passages deviennent alors très techniques et un peu ennuyeux ; il y est question de rentes, de placements, de majorats, de tutelles, de valeurs, de donations, de constitutions de dots…
Mais Balzac ne laisse pas le lecteur s'ennuyer : cinq ans passent et la " conclusion " de cette scène de la vie privée nous est offerte. le mariage est resté sans enfant, la jeune épouse a ruiné son mari… L'auteur oppose les mariages d'amour où la femme reste un " instrument de plaisir " aux mariages de raison où, faisant et élevant des enfants, elle devient " l'honneur et la vertu de la maison ". Dans cette société où le paraître régente tout, les commentaires vont bon train et la réputation du comte de Manerville se retrouve bien vite malmenée : " - Oui, ma chère, celui qui a épousé mademoiselle Evangélista. le voici ruiné, sans sou ni maille, allant aux Indes pour y chercher la pie au nid. - Mais comment s'est-il ruiné ? Il était si riche ! - Paris, les femmes, la Bourse, le jeu, le luxe... ".
Fort de ses opinions royalistes et de sa foi en la famille, Balzac qualifie cette histoire d'" immense désastre " tel celui qui frappa Napoléon à Waterloo.

Même si je dois reconnaître que ma lecture de ce Contrat de mariage a été un peu laborieuse, j'ai pris plaisir à y retrouver des personnages déjà rencontrés dans La Comédie humaine, notamment Henri de Marsay et ses fines analyses, une discrète allusion à l'usurier Gobseck
Balzac démonte avec virtuosité l'échafaudage notarial ingénieusement construit pour éviter la ruine de son protégé, Madame Évangélista se révélant redoutable dans ses manoeuvres, et j'avoue que je ne m'attendais pas à cette fin-là. Les personnages sont laissés en suspens, les choses peuvent encore changer, d'autres manigances étant à l'oeuvre.
Encore un Balzac à exhumer, à redécouvrir !
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Vous dites : histoire d'un jeune homme aristocrate riche, rendu aveugle par ses sentiments, qui se fait plumer par sa belle-mère (aristocrate aussi, tout de même) ?
Lisez jusqu'au bout du bout ! Une autre issue se dessine...

Tout n'est qu'une question de génération et d'expérience.
Après les conseils de la mère à la fille, bonne élève, ceux du bon ami plein de sagesse au jeune mari abusé.
"Le grand secret de l'alchimie sociale, mon cher, est de tirer tout le parti possible de chacun des âges par lesquels nous passons, d'avoir toutes ses feuilles au printemps, toutes ses fleurs en été, tous les fruits en automne."
Je n'en dis pas plus.

La guerre des sexes, donc, oui ; mais... dans une société patriarcale, tout de même ; où les femmes n'ont guère le choix des armes...

Placer sa fille ! Lui obtenir, et l'argent, et... le bonheur. Pour l'argent, il faut passer devant toutes les autres mères (et là, notre "héroïne" s'est bien jouée de ses rivales qui, jusqu'au bout n'auront pas dit leur dernier mot), sous les yeux de toute la société.
Pour le bonheur, il faut pouvoir choisir son amant, tout en restant mariée, donc en gardant l'argent, mais sans perdre son honneur devant le monde...

Balzac, est-ce que tu as vu cela ailleurs qu'en esprit ?

Attention, rester aristocratique ! Impossible d'accéder au bonheur si on prend les manières bourgeoises.
C'est aussi bien vrai pour les hommes, que pour les femmes !

"Ah ! cette vie aristocratique me semble vraiment française, la seule grande, la seule qui nous obtienne le respect, l'amitié d'une femme, la seule qui nous distingue de la masse actuelle, enfin la seule pour laquelle un jeune homme puisse quitter la vie de garçon."

"comme si la femme d'un grand d'Espagne, comme si toi et moi nous avions quelque chose de commun avec une femme du peuple ? Et, depuis, les femmes comme il faut ont nourri leurs enfants, ont élevé leurs filles et sont restées à la maison. Ainsi la vie s'est compliquée de telle sorte que le bonheur est devenu presque impossible"

Quant au "contrat de mariage", l'épreuve est décisive. L'occasion ici de nous montrer en quoi des notaires aussi peuvent avoir du génie. Intelligence, stratégie, sang froid. Aucun ennui, bien que Balzac ne nous épargne pas le côté technique de l'affaire.
Bel hommage.
Qui va gagner ? Celui de l'"ancien temps" ou celui du nouveau ?

Ah Balzac n'est pas du côté des femmes (ni de l'avenir bourgeois). le lecteur est forcément plus sensible à leur côté antipathique, rusé, menteur, qu'à leur intelligence et leur habileté.

Mais il nous en fait voir des choses et de leurs ressorts ! Les intérêts et les passions derrière les mots et les actions. Sans oublier la société
dans laquelle tout cela baigne. Quelle observation, quelle finesse, quelle profondeur ! On pourrait tout citer.

Je rêve si j'ai cru voir derrière toutes les stratégies de ces êtres sans scrupule, la recherche de l'amour et du bonheur ?
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Etude de moeurs d'une certaine partie de la bourgeoisie bordelaise dans les années 1832.
Le comte de Manerville, riche héritier, apprécié de son entourage pour son affabilité, sa belle allure surnommé "Fleur des pois", décide après avoir mené une plaisante vie de garçon de se ranger et d'épouser une jeune fille correspondant à sa condition sociale.
Nathalie Evangelista, fille d'un riche commerçant, issue de branche aristocratique espagnole-créole par sa mère héritera de la grande fortune de son père décédé.
Le comte de Manerville tombera éperdument amoureux de la plus belle jeune fille de la contrée.
La mère de la jeune fille qui a dilapidé une partie de la fortune compte sur ce mariage pour renflouer ses finances, son ambition politique et garder son rang.
Un contrat de mariage devra protéger les "parties contractantes".
Voici le noeud du roman.
On y rencontrera la cupidité, l'hypocrisie, la haine mais aussi l'hônneté, l'amour, l'amitié, la fidèlité.
Pas toujours facile à lire, dès que l'on aborde le langage notarial de l'époque.
J'avoue que je me suis accrochée, mais c'est BALZAC, la Comèdie Humaine... que dire de plus ?
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Paul de Manerville rentre dans son bordelais natal afin de se caser après quelques années d'heureux célibat à Paris, et ce malgré les préventions de son ami de Marsay. Et là, il tombe amoureux d'une héritière d'un riche marchand, Nathalie Evangelisata. Las, la jeune fille et sa mère ont dilapidé la fortune acquise par l'homme d'affaires et n'ont rien à apporter pour assurer l'avenir du couple. Des dépenses qui sortent de l'ordinaire et une dot quasi inexistante. Si Paul est aveuglé par la beauté de la jeune fille, son notaire, le vieux Mathias qui a su préserver la fortune de la famille Manerville durant la révolution, fait quant à lui preuve de bon sens et entame une négociation serrée avec le notaire de la veuve Evangelista, un jeune homme ambitieux. le mariage est sauvé de justesse, mais on comprend vite que les clauses du contrat seront vite détournées par les désirs de la jeune femme et les faiblesses de Paul. On apprendra que 5 ans plus tard, le couple est ruiné. Balzac dans ce roman montre que si l'homme parfois peut aussi subir les désagréments des négociations financières qui entourent l'institution du mariage, c'est surtout l'aspect marchand du mariage qui est ici critiqué. Si les aspects juridiques développés durant la transaction sont souvent incompréhensibles, l'auteur confronte deux visions pourtant contradictoires : le cynisme parisien d'Henri de Marsay et le bon sens tout provincial du notaire Mathias. Et finalement, seul l'homme amoureux se retrouve le bec dans l'eau. La sombre vision d'une vénérable institution et un roman caustique à souhait.
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Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Garçon, tu peux te dire : - " Je n'aurai que telle somme de ridicule, le public ne pensera de moi que ce que je lui permettrai de penser. " Marié, tu tombes dans l'infini du ridicule ! Garçon, tu te fais ton bonheur, tu en prends aujourd'hui, tu t'en passes demain ; marié, tu le prends comme il est, et, le jour où tu en veux, tu t'en passes. Marié, tu deviens ganache, tu calcules des dots, tu parles de morale publique et religieuse, tu trouves les jeunes gens immoraux, dangereux ; enfin tu deviendras un académicien social. Tu me fais pitié. Le vieux garçon dont l'héritage est attendu, qui se défend à son dernier soupir contre une vieille garde à laquelle il demande vainement à boire, est un béat en comparaison de l'homme marié. Je ne te parle pas de tout ce qui peut advenir de tracassant, d'ennuyant, d'impatientant, de tyrannisant, de contrariant, de gênant, d'idiotisant, de narcotique et de paralytique dans le combat de deux êtres toujours en présence, liés à jamais, et qui se sont attrapés tous deux en croyant se convenir ; non, ce serait recommencer la satire de Boileau, nous la savons par coeur. Je te pardonnerais ta pensée ridicule, si tu me promettais de te marier en grand seigneur, d'instituer un majorat avec ta fortune, de profiter de la lune de miel pour avoir deux enfants légitimes, de donner à ta femme une maison complète distincte de la tienne, de ne vous rencontrer que dans le monde, et de ne jamais revenir de voyage sans te faire annoncer par un courrier. Deux cent mille livres de rente suffisent à cette existence, et tes antécédents te permettent de la créer au moyen d'une riche Anglaise affamée d'un titre. Ah ! Cette vie aristocratique me semble vraiment française, la seule grande, la seule qui nous obtienne le respect, l'amitié d'une femme, la seule qui nous distingue de la masse actuelle, enfin la seule pour laquelle un jeune homme puisse quitter la vie de garçon. Ainsi posé, le comte de Manerville conseille son époque, se met au-dessus de tout et ne peut plus être que ministre ou ambassadeur. Le ridicule ne l'atteindra jamais, il a conquis les avantages sociaux du mariage et garde les privilèges du garçon.

[…]

Le garçon libre et sans soins, toujours agresseur, n'a rien à craindre d'un insuccès. En état de mariage, un échec est irréparable. S'il est possible à un amant de faire revenir une femme d'un arrêt défavorable, ce retour, mon cher, est le Waterloo des maris. Comme Napoléon, le mari est condamné à des victoires qui, malgré leur nombre, n'empêchent pas la première défaite de le renverser. La femme, si flattée de la persévérance, si heureuse de la colère d'un amant, les nomme brutalité chez un mari.

[…]

Puis, la lutte est inverse. Une femme est disposée à refuser ce qu'elle doit ; tandis que, maîtresse, elle accorde ce qu'elle ne doit point.
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Tu n'as pas d'enfant, mon cher. Ce mot n'explique-t-il pas bien des choses à un observateur ? Amoureux, tu ne pouvais guère t'apercevoir de la froideur naturelle à une jeune femme que tu as formée à point pour Félix de Vandenesse. Eusses-tu trouvé ta femme froide, la stupide jurisprudence des gens mariés te poussait à faire honneur de sa réserve à son innocence. Comme tous les maris, tu croyais pouvoir la maintenir vertueuse dans un monde où les femmes s'expliquent d'oreille à oreille ce que les hommes n'osent dire, où tout ce qu'un mari n'apprend pas à sa femme est spécifié, commenté sous l'éventail en riant, en badinant, à propos d'un procès ou d'une aventure. Si ta femme aimait les bénéfices sociaux du mariage, elle en trouvait les charges un peu lourdes. La charge, l'impôt, c'était toi ! Ne voyant rien de ces choses, tu allais creusant des abîmes et les couvrant de fleurs, suivant l'éternelle phrase de la rhétorique : tu obéissais tout doucement à la loi qui régit le commun des hommes, et de laquelle j'avais voulu te garantir. Cher enfant, il ne te manquait plus, pour être aussi bête que le bourgeois trompé par son épouse et qui s'en étonne, ou s'en épouvante, ou s'en fâche, que de me parler de tes sacrifices, de ton amour pour Natalie, de venir me chanter : - Elle serait bien ingrate si elle me trahissait, j'ai fait cela, j'ai fait ceci, je ferai mieux, j'irai pour elle aux Indes, je, etc. Mon cher Paul, as-tu donc vécu dans Paris, as-tu donc l'honneur d'appartenir par les liens de l'amitié à Henri de Marsay, pour ignorer les choses les plus vulgaires, les premiers principes qui meuvent le mécanisme féminin, l'alphabet de leur coeur ?

[…]

Nos femmes légitimes nous doivent des enfants et de la vertu, mais elles ne nous doivent pas l'amour. L'amour, Paul ! Est la conscience du plaisir donné et reçu, la certitude de le donner et de le recevoir ; l'amour est un désir incessamment mouvant, incessamment satisfait et insatiable. Le jour où Vandenesse a remué dans le coeur de ta femme la corde du désir que tu y laissais vierge, tes fanfaronnades amoureuses, tes torrents de cervelle et d'argent n'ont pas même été des souvenirs. Tes nuits conjugales semées de roses, fumée ! Ton dévouement, un remords à offrir ! Ta personne, une victime à égorger sur l'autel ! Ta vie antérieure, ténèbres ! Une émotion d'amour effarait tes trésors de passion qui n'étaient plus que de la vieille ferraille. Il a eu, lui Félix, toutes les beautés, tous les dévouements, gratis peut-être, mais en amour la croyance équivaut à la réalité. Ta belle-mère a donc été naturellement du parti de l'amant contre le mari ; secrètement ou patiemment, elle a fermé les yeux, ou elle les a ouverts, je ne sais ce qu'elle a fait, mais elle a été pour sa fille, contre toi. Depuis quinze ans que j'observe la société, je ne connais pas une mère qui, dans cette circonstance, ait abandonné sa fille. Cette indulgence est un héritage transmis de femme en femme.
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Le sujet de cette étude n'est pas dans la transition du garçon à l'état d'homme marié, peinture qui, largement composée, ne manquerait point de l'attrait que prête l'orage intérieur de nos sentiments aux choses les plus vulgaires de la vie. Les événements et les idées qui amenèrent le mariage de Paul avec mademoiselle Evangélista sont une introduction à l'oeuvre, uniquement destinée à retracer la grande comédie qui précède toute vie conjugale. Jusqu'ici cette scène a été négligée par les auteurs dramatiques, quoiqu'elle offre des ressources neuves à leur verve. Cette scène, qui domina l'avenir de Paul, et que madame Evangélista voyait venir avec terreur, est la discussion à laquelle donnent lieu les contrats de mariage dans toutes les familles, nobles ou bourgeoises : car les passions humaines sont aussi vigoureusement agitées par de petits que par de grands intérêts. Ces comédies jouées par-devant notaire ressemblent toutes plus ou moins à celle-ci, dont l'intérêt sera donc moins dans les pages de ce livre que dans le souvenir des gens mariés.

[…]

Madame Evangélista ne donnait rien de son chef à sa fille. Mademoiselle Natalie se marie avec ses droits.

[…]

Dans la plupart des familles, la constitution des dots et les donations à faire au contrat de mariage engendrent ainsi des hostilités primitives, soulevées par l'amour-propre, par la lésion de quelques sentiments, par le regret des sacrifices et par l'envie de les diminuer. Ne faut-il pas un vainqueur et un vaincu, lorsqu'il s'élève une difficulté ? Les parents des futurs essaient de conclure avantageusement cette affaire à leurs yeux purement commerciale, et qui comporte les ruses, les profits, les déceptions du négoce.

[…]

Ainsi madame Evangélista, Paul, Natalie et les deux notaires étaient tous enchantés de cette première rencontre. Le Te Deum se chantait dans les deux camps, situation dangereuse ! Il vient un moment où cesse l'erreur du vaincu. Pour la veuve, son gendre était le vaincu.

[…]

Les naturalistes nous ont dépeint les mœurs de beaucoup d'animaux féroces ; mais ils ont oublié la mère et la fille en quête d'un mari.
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- Pourquoi, ma mère, me disiez-vous alors que je dois lui obéir ? - Chère fillette, pour qu'une femme commande, elle doit avoir l'air de toujours faire ce que veut son mari. Si tu ne le savais pas, tu pourrais par une révolte intempestive gâter ton avenir. Paul est un jeune homme faible, il pourrait se laisser dominer par un ami, peut-être même pourrait-il tomber sous l'empire d'une femme, qui te feraient subir leurs influences. Préviens ces chagrins en te rendant maîtresse de lui. Ne vaut-il pas mieux qu'il soit gouverné par toi que de l'être par un autre ?

[…]

- Je comprends autrement le mariage, répondit naïvement le vieux notaire. Une femme doit, selon moi, partager le sort bon ou mauvais de son mari. J'ai entendu dire que les jeunes mariés qui s'aimaient comme des amants n'avaient pas d'enfants. Le plaisir est-il donc le seul but du mariage ? N'est-ce pas plutôt le bonheur et la famille ? Mais vous aviez à peine vingt-huit ans, et madame la comtesse en avait vingt ; vous étiez excusable de ne songer qu'à l'amour. Cependant, la nature de votre contrat et votre nom, vous allez me trouver bien notaire ? Tout vous obligeait à commencer par faire un bon gros garçon. Oui, monsieur le comte, et si vous aviez eu des filles, il n'aurait pas fallu s'arrêter que vous n'ayez eu l'enfant mâle qui consolidait le majorat. Mademoiselle Evangélista n'était-elle pas forte, avait-elle à craindre quelque chose de la maternité ? Vous me direz que ceci est une vieille méthode de nos ancêtres ; mais, dans les familles nobles, monsieur le comte, une femme légitime doit faire les enfants et les bien élever : comme le disait la duchesse de Sully, la femme du grand Sully, une femme n'est pas un instrument de plaisir, mais l'honneur et la vertu de la maison.

[..]

Le vieillard avait accompagné Paul sur le port, et ses souffrances durent être vives en entendant quelques-uns de ces propos. - Qui reconnaîtrait dans cet homme que vous voyez là, près du vieux Mathias, ce dandy que l'on avait nommé la Fleur des pois, et qui faisait, il y a cinq ans à Bordeaux, la pluie et le beau temps ? - Quoi ! Ce gros petit homme en redingote d'alpaga, qui a l'air d'un cocher, serait le comte Paul de Manerville ? - Oui, ma chère, celui qui a épousé mademoiselle Evangélista. Le voici ruiné, sans sou ni maille, allant aux Indes pour y chercher la pie au nid. - Mais comment s'est-il ruiné ? Il était si riche ! - Paris, les femmes, la Bourse, le jeu, le luxe... - Puis, dit un autre, Manerville est un pauvre sire, sans esprit, mou comme du papier mâché, se laissant manger la laine sur le dos, incapable de quoi que ce soit. Il était né ruiné. Paul serra la main du vieillard et se réfugia sur le navire. Mathias resta sur le quai, regardant son ancien client qui s'appuya sur le bastingage en défiant la foule par un coup d'œil plein de mépris.
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Je suis ton ami, mon gros Paul, tu le sais, dit de Marsay (...), eh ! bien, sois bon père et bon époux, tu deviendras ridicule pour le reste de tes jours. Si tu pouvais être heureux et ridicule, la chose devrait être prise en considération : mais tu ne seras pas heureux. Tu n'as pas le poignet assez fort pour gouverner un ménage. (...) Je te vois d'ici, mené grand train par madame la comtesse de Manerville, allant contre ton gré plus souvent au galop qu'au trot, et bientôt désarçonné !... oh ! mais désarçonné de manière à demeurer dans le fossé, les jambes cassées. (...) Qui se marie aujourd'hui ? des commerçant dans l'intérêt de leur capital ou pour être deux à tirer la charrue, des paysans qui veulent, en produisant beaucoup d'enfants se faire des ouvriers, des agents de change ou de notaires obligés de payer leurs charges, de malheureux rois qui continuent de malheureuses dynasties.
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Vidéo de Honoré de Balzac
Deuxième épisode de notre podcast avec Sylvain Tesson.
L'écrivain-voyageur, de passage à la librairie pour nous présenter son récit, Avec les fées, nous parle, au fil d'un entretien, des joies de l'écriture et des peines de la vie, mais aussi l'inverse, et de la façon dont elles se nourrissent l'une l'autre. Une conversation émaillée de conseils de lecture, de passages lus à haute voix et d'extraits de la rencontre qui a eu lieu à la librairie.
Voici les livres évoqués dans ce second épisode :
Avec les fées, de Sylvain Tesson (éd. des Équateurs) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/23127390-avec-les-fees-sylvain-tesson-equateurs ;
Blanc, de Sylvain Tesson (éd. Gallimard) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/21310016-blanc-une-traversee-des-alpes-a-ski-sylvain-tesson-gallimard ;
Une vie à coucher dehors, de Sylvain Tesson (éd. Folio) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/14774064-une-vie-a-coucher-dehors-sylvain-tesson-folio ;
Sur les chemins noirs, de Sylvain Tesson (éd. Folio) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/14774075-sur-les-chemins-noirs-sylvain-tesson-folio ;
Le Lys dans la vallée, d'Honoré de Balzac (éd. le Livre de poche) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/769377-le-lys-dans-la-vallee-honore-de-balzac-le-livre-de-poche.
Invité : Sylvain Tesson
Conseil de lecture de : Pauline le Meur, libraire à la librairie Dialogues, à Brest
Enregistrement, interview et montage : Laurence Bellon
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Les Éclaireurs de Dialogues, c'est le podcast de la librairie Dialogues, à Brest. Chaque mois, nous vous proposons deux nouveaux épisodes : une plongée dans le parcours d'un auteur ou d'une autrice au fil d'un entretien, de lectures et de plusieurs conseils de livres, et la présentation des derniers coups de coeur de nos libraires, dans tous les rayons : romans, polar, science-fiction, fantasy, BD, livres pour enfants et adolescents, essais de sciences humaines, récits de voyage…
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