Honoré de Balzac est surtout connu pour ses romans. Or, un examen rapide de sa production nous apprend que sur les à peu près 90 titres de la Comédie Humaine, une bonne cinquantaine sont des nouvelles. La nouvelle chez Balzac, ce serait tout un programme !…
Eh oui, car il y a manière et manière d'écrire des nouvelles. de nos jours, c'est peut-être davantage la nouvelle centrée sur une situation qui récolte la palme. On ne s'y appesantit guère sur les personnages mais la pirouette finale est souvent astucieuse. Cependant, il existe des tas d'autres angles d'attaque pour rédiger une nouvelle, notamment celui du portrait.
La nouvelle portrait, plus très en vogue à l'heure actuelle, est pourtant celle qui m'intéresse particulièrement, car elle a en commun avec le roman de se focaliser sur des personnages bien plus que sur des péripéties dont j'aurai tout oublié dans quelques jours. Qu'est-ce qui fait que j'aime des pièces de théâtre comme Cyrano ou Montserrat ? Là encore, le fait qu'elles nous dépeignent des personnages inoubliables.
Tout le monde ou presque connaît Cyrano, pourtant, qui se souvient précisément de la situation et des événements de la pièce ? Non, on ne retient que Cyrano. Et donc, j'affirme qu'il existe un espace vraiment digne d'intérêt pour ce registre dans l'exercice de la nouvelle.
Iouri Kazakov est un expert dans ce domaine ; Guy de Maupassant ne dédaignait pas, de temps en temps, de s'y adonner tandis que celui qui est considéré comme l'un des grands nouvellistes du XXème siècle, Raymond Carver, ne s'y employait guère.
Personnellement, je suis incapable de vous citer un personnage marquant dans toute l'oeuvre de Carver et c'est ce qui fait que je ne l'aime pas à 100 % alors même que je lui reconnais un incroyable talent dans cet exercice.
Ici, Balzac a su faire très court. En trois coups de pinceaux, il a su faire naître un personnage et a su nous le rendre intéressant. C'est un vieillard, c'est un aveugle, il joue de la clarinette dans les bals populaires et plutôt mal à la vérité. Il vit de ça pourtant. Étrange non ?
Qu'y a-t-il derrière ces yeux voilés ? Quels drames, quelles aventures, quels bonheurs ou quelles déconvenues passés ? Outre le grand talent De Balzac, qui n'est probablement pas ici à son degré extrême, il nous fait toucher du doigt le coeur de sa profession, du moins tel que lui l'entendait. Il nous l'explique très bien au tout début de la nouvelle.
Il nous confie son secret, l'art, la science éthologique de faire comprendre et de transmettre aux autres ce que fut la vie d'untel ou d'untel. C'était ça le talent De Balzac, voir en l'autre un sujet intéressant, enfiler pour un temps son costume et sa façon de penser et nous la restituer par écrit. Balzac, le grand éthologiste du genre humain. Ce n'est pas pour rien que son oeuvre s'appelle La Comédie Humaine.
On interprète souvent de travers ce titre général. Il s'oppose à la Divine Comédie de Dante. Comédie, chez Dante ne veut pas dire comique, elle veut simplement dire qu'elle est narrée en langue vernaculaire, c'est-à-dire proche du peuple, compréhensible par le plus grand nombre.
Et comme Balzac n'a rien à faire du divin et qu'il s'intéresse au peuple, dans son acception la plus large, c'est-à-dire du plus infect vagabond au représentant de la plus haute aristocratie, il y a comédie " humaine ". Oui, c'est cela La Comédie Humaine, c'est juste cela : « Je vais vous parler des gens, de tous types de gens, et dans la langue de tous. Je ferai parler le banquier juif Alsacien avec son accent à couper au couteau, je ferai parler la mégère ou le prince tels qu'ils s'expriment vraiment et non dans le but de faire du beau, littérairement parlant. »
Facino Cane, l'ange vénitien déchu a donc tout à fait sa place dans la galerie de portraits du gigantesque musée de l'homme qu'est la Comédie Humaine. Ni plus ni moins que Rastignac, le jeune homme de province aux dents longues, ni plus ni moins que Pierrette, la jeune fille exploitée par ses cousins, ni plus ni moins que le père Grandet, le vieil avare pathologique, ni plus ni moins qu'Esther, la sublime courtisane au coeur trop tendre, etc., etc.
Voici donc du bon Balzac, peut-être pas le top niveau d'après moi, mais déjà très sympathique à lire. En outre, de tout ceci comme du reste, gardez à l'esprit que ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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