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Critique de AMR_La_Pirate


Dans cette nouvelle, Balzac nous brosse le portrait d'un usurier hors du commun d'origine hollandaise, Jean-Esther van Gobseck, dont l'histoire nous est racontée, dans l'intimité d'une fin de soirée mondaine, par un narrateur intra-diégétique, l'avoué Derville ; ce dernier a pris la parole pour donner à la jeune fille de la maison un avis circonstancié sur un jeune dandy ruiné dont elle s'est éprise, au grand dam de sa mère.

Dans la littérature en général, le personnage qui pratique l'usure est antipathique, malhonnête et sans scrupules et dans l'imaginaire collectif, c'est une figure particulièrement sombre alliée à la misère et à toutes les formes de pauvreté ; il apporte ruine et désespoir dans les familles qui ont recours à ses prêts à taux illicites et toujours exorbitants. de même l'avarice, l'attachement excessif aux biens matériels est un défaut, une véritable perversion souvent mise en scène en littérature. Balzac a dépeint plusieurs portraits d'usuriers ou d'avares dans sa Comédie Humaine : outre Gobseck, Nuncingen, Hochon ou le Père Grandet en milieu urbain, il a aussi créé Rigou en secteur rural dans Les Paysans, et sans doute d'autres qui ne me viennent pas à l'esprit où dont je n'ai pas encore découvert les portraits.
Personnellement, je trouve le personnage de Gobseck particulièrement fouillé et intéressant. C'est un personnage très ambivalent, qui concentre vices et qualités dans sa personnalité complexe. Malgré ses richesses, il vit frugalement et dans la plus grande discrétion. Son nom sonne comme un ultimatum, une sentence ou un couperet de guillotine ; mais son surnom de papa Gobseck, au contraire, l'adoucit et l'auréole d'un paternalisme rassurant. Ainsi, il a su se montrer bienveillant et amical pour son jeune voisin, Derville, qui a pu acheter sa charge grâce au prêt qu'il lui a consenti ; devenu pour le jeune homme un véritable mentor, il le guide et le conseille dans les dédales des transactions financières et juridiques et dans sa carrière d'avoué.
Gobseck semble avoir derrière lui une vie aventureuse de corsaire qui a connu Victor Hughes, mais toujours dominée par l'argent et les richesses ; il se dit capable de se battre à l'épée ou au pistolet. Il pratique le capitalisme et l'usure avec une certaine philosophie, voire une sorte de morale qui lui est propre ; chez lui, l'usure devient non seulement une forme de pouvoir, mais aussi un art véritable dans une profonde connaissance des mécanismes financiers et de la psychologie humaine, comme s'il avait un don de double-vue un peu surnaturel…
Je vois un parallèle possible avec le personnage de l'étrange antiquaire de la Peau de Chagrin ; l'engrenage de l'usure donne à Gobseck un pouvoir semblable à celui du rétrécissement inexorable de la peau magique. Il est même perçu comme un ogre de conte de fées par une de ses victimes.
L'intrigue d'usure en elle-même, telle que racontée par l'avoué Derville, paraît secondaire et reste une simple illustration du portrait principal ; à noter cependant la description du milieu et des moeurs des dandys ainsi que l'analyse des scènes de la vie conjugale dans ses excès, ses entorses et ses dérives et les inévitables conséquences pécuniaires et successorales qu'elles entrainent.

J'ai repris avec bonheur ma lecture in extenso de la Comédie Humaine et, encore une fois, voilà une nouvelle dont je n'avais jamais entendu parler qui fait figure de pépite dans ce parcours.
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