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Critique de AMR_La_Pirate


J'ai vraiment pris un grand plaisir à relire Eugénie Grandet d'Honoré de Balzac… Ce fut une relecture au long cours, à raison de quelques pages quasi quotidiennes pour profiter de ce style balzacien que j'apprécie tant…

Félix Grandet campe le type même de l'avare ; cet ancien tonnelier, devenu extrêmement riche à la Révolution, vit à Saumur, où il est devenu une personnalité en vue. On spécule sur sa richesse et deux familles, les Cruchot et les Des Grassins, verraient d'un bon oeil une alliance avec lui en mariant l'un des leurs avec sa fille unique, Eugénie.
L'héroïne éponyme de ce roman vit petitement sous l'autorité de son père qui impose un train de vie particulièrement frugal à toute la maisonnée, réduite à son épouse, particulièrement effacée, et à Nanon, une servante dévouée corps et âme à la famille Grandet.
L'arrivée à Saumur de Charles Grandet, un jeune et beau cousin de Paris, ruiné, va bouleverser l'organisation de la maison Grandet. En quinze jours seulement, Eugénie en tombera éperdument amoureuse… Elle ira même jusqu'à lui offrir son « trésor », c'est-à-dire l'ensemble des pièces d'or que son père lui a offert pour ses anniversaires. Charles s'embarque pour les Indes, promettant d'y faire fortune et de revenir pour épouser Eugénie.
Tous les 1ers janviers, le père Grandet, ayant pour habitude de contempler le trésor de sa fille avant de le compléter, entre dans une terrible colère en apprenant qu'elle ne l'a plus en sa possession ; Eugénie se retrouve consignée dans sa chambre au pain et à l'eau, pour punition de son attitude et de sa prodigalité envers son cousin. Sa mère en mourra de chagrin.
Cinq années passent ; le père Grandet meurt à son tour en laissant une belle fortune à sa fille… Eugénie attend toujours le retour de Charles. Mais, ce dernier, revenu au bout de sept ans, préfère épouser un meilleur parti, pour se faire un nom à Paris. Eugénie finira par se marier avec l'un de ses premiers prétendants, bref mariage platonique, qui la laissera veuve et immensément riche.

Une intrigue plutôt simple dont l'intérêt, selon moi, réside surtout dans la minutieuse description de la façon de vivre des Grandet : habitudes, repas, habillement, manière de se chauffer, de s'éclairer… L'immense talent De Balzac rend vivante et d'une rare précision cette vie quotidienne où tout est mesuré et calculé depuis les morceaux de sucre jusqu'aux bout de chandelles.
La vie de province devient un théâtre dont Saumur est le décor. Les manoeuvres des Cruchot et des Des Grassins pour obtenir la main d'Eugénie sont à la fois cocasses, cousues de fil blancs et surtout très populaires dans les diverses sociétés de la ville.
Ce roman illustre de manière originale un des thèmes chers à Balzac, la famille, même si l'intimité des Grandet nous apparaît sinistre et froide. Balzac en parle comme d'une « terrible action, une tragédie bourgeoise sans poison, ni poignard, ni sang répandu […] mais, relativement aux acteurs, plus cruelle que tous les drames accomplis dans l'illustre famille des Atrides ».
La religion, autre valeur de l'auteur, y apparaît plus comme un ensemble de sophismes qui aident Eugénie et sa mère à affronter le quotidien ; leur vie est d'ailleurs souvent qualifiée de « monastique ». Balzac compare Eugénie à la Vierge Marie, en Immaculée Conception quand elle tombe amoureuse de Charles puis l'attend, puis en Mater Dolorosa quand il revient et en épouse une autre.
Certains passages sont drôles et même ironiques. Je pense à des réflexions qui échappent à Mme Grandet ou à la servante, au bégaiement et à la surdité feints par Grandet en certaines occasions, à la course des rumeurs dans Saumur ou encore à de fines analyses du narrateur omniscient…

L'étude des personnages est savoureuse.
Eugénie Grandet est l'un des plus célèbres personnages féminins éponymes de la Comédie Humaine, bien qu'elle n'y réapparaisse dans aucun autre livre. L'histoire de sa vie pourrait tenir en quelques lignes car sa passion pour son cousin est le seul fait marquant de son existence. Finalement, elle deviendra, par hérédité ou mimétisme, un pendant, certes plus humain, de son père. En effet, elle sera à l'écoute des pauvres et ouvrira davantage son salon… Balzac insuffle à la description de ses émois amoureux une aura de fatalisme qui annonce le fiasco, même si Charles est tout aussi sincère qu'Eugénie au début, du moins pendant les quinze jours que le jeune homme passe chez les Grandet. L'évolution de son personnage est très intéressante car elle va finir par tenir tête à son père, porter un jugement sur ses actes et apprendre à dissimuler ses sentiments. Cependant, sa vie est si vide qu'elle a tout le temps de se complaire dans l'attente, puis le regret et le chagrin, sans échappatoire.
Félix Grandet devient le type même de l'avare de province. Ses faits et gestes font l'objet d'une étude minutieuse. Ses pensées et réflexions en disent long sur ses manigances et sa connaissance du genre humain. Son avarice est telle que les cadeaux en pièces d'or faits à sa fille sont considérés comme des placements dont elle ne peut disposer à son gré, même quand elle atteint sa majorité. Son amour pour sa fille est très égoïste ; tout ce qu'il fait est motivé par l'intérêt et l'amour-propre. D'une manière générale, il est incapable de la moindre compassion et toutes ses actions sont minutieusement calculées et préparées. Dans son système de valeurs, la faillite est le pire déshonneur qui puisse arriver à un homme. Il exploite littéralement sa servante ; son lien avec Nanon a quelque chose de féodal.
Mme Grandet, quant à elle, n'existe qu'en tant que mère et épouse. Son lien avec sa fille est si profond que Balzac les compare à des soeurs siamoises… Elles passent presque la totalité de leur temps ensemble, se comprennent d'un regard, ont les mêmes intuitions.
Charles Grandet a tout du dandy. Les détails de sa toilette en donne une image particulièrement apprêtée, tout en opposition avec le dénuement et la simplicité de la maison des Grandet de Saumur. Félix Grandet parle de lui en le traitant de « mirliflor ». Même s'il a le mauvais rôle dans l'histoire, on ne peut que reconnaître sa grande sincérité du début quant la candeur d'Eugénie avait su le troubler alors qu'il pleurait la mort de son père. Ensuite, il s'endurcit en faisant des affaires dans les zones intertropicales, dans la traite des esclaves et le commerce des marchandises les plus avantageuses à échanger sur les divers marchés où l'amènent ses intérêts. Contrairement à Eugénie qui a tout son temps pour se morfondre, il n'a pas un seul instant pour repenser à elle. L'atavisme des Grandet va le rendre dur en affaires et peu scrupuleux. Il apprend aussi à connaître toutes sortes de femmes qui lui font oublier l'unique baiser échangé avec Eugénie.
Enfin, Nanon la servante, taillable et corvéable, bonne et intelligente, donne à ce roman une touche de bon sens et de profonde humanité.

Ce roman a été publié en 1833 et participe du jaillissement créateur de l'auteur qui s'affirme comme le maître du roman réaliste, créant des personnages particulièrement typés et puissamment travaillés.
J'ai adoré cette relecture.

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