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Critique de CDemassieux


La Duchesse de Langeais fait partie d'un sous-ensemble de la Comédie humaine : L'Histoire des Treize, les deux autres étant Ferragus et La Fille aux yeux d'or. Qui sont les Treize : une confrérie secrète, et terrible, dont les membres se sont juré une fidélité sans faille.
Débutant par la fin, La Duchesse de Langeais propose une lecture rétrospective.
Tout d'abord méprisante et sûre d'elle, Antoinette de Langeais va s'éprendre follement de l'homme qui la désirait tout d'abord et sans succès : le général Montriveau. A trop jouer avec les sentiments ceux-ci se vengent et jouent avec soi, pourrait être la leçon de cette histoire.
Canevas connu et répété, certes, mais entre les mains De Balzac ça donne un récit où les caractères sont exacerbés – notamment lors d'une scène de séquestration mémorable qui sera un révélateur pour la duchesse, désormais esclave de son amour –, les situations virent progressivement à la tragédie, au sens classique du terme.
Car Antoinette est une figure tragique, donc mythique, de la femme. Elle devient une icône qui glisse de la frivolité des salons parisiens au sacré. Elle est aussi, à mon sens, le caractère féminin le plus accompli De Balzac. Elle est, enfin, une forteresse qui, comme tant d'autres, n'est pas imprenable. A cela près qu'elle se fait son propre assaillant.
A une époque où les relations se nouent en quelques clics, se dispersent et s'oublient aussi vite qu'un mauvais livre, La Duchesse de Langeais rappelle que la séduction peut s'avérer un jeu dangereux, pourvu qu'on s'y risque.
Balzac, définitivement, s'il n'est pas le plus grand écrivain français du XIXe siècle, mérite d'être reconnu comme son romancier majeur.

(Je me permets d'ajouter en dessous une autre critique, sous un angle un peu différent :

L’orgueilleuse Antoinette de Langeais règne sur le faubourg Saint-Germain – quartier de Pairs historiquement aristocrate, si prisé d’une certaine gauche de nous jours ! –, avec une désinvolture que son rang et sa beauté permettent sans doute. Beaucoup plus entier, l’autre protagoniste, le général Montriveau est membre de la société secrète des Treize, ainsi définie dans une préface de Balzac : « Il s’est rencontré, sous l'Empire et dans Paris, treize hommes également frappés du même sentiment, tous doués d’une assez grande énergie pour être fidèles à la même pensée, assez probes entre eux pour ne point se trahir, alors même que leurs intérêts se trouvaient opposés, assez profondément politiques pour dissimuler les liens sacrés qui les unissaient, assez forts pour se mettre au-dessus de toutes les lois, assez hardis pour tout entreprendre, et assez heureux pour avoir presque toujours réussi dans leurs desseins ; ayant couru les plus grands dangers, mais taisant leurs défaites ; inaccessibles à la peur, et n’ayant tremblé ni devant le prince, ni devant le bourreau, ni devant l’innocence ; s’étant acceptés tous, tels qu’ils étaient, sans tenir compte des préjugés sociaux ; criminels sans doute, mais certainement remarquables par quelques-unes des qualités qui font les grands hommes, et ne se recrutant que parmi les hommes d’élite. »
Montriveau sera donc un temps le jouet de la duchesse, mais il n’est pas homme à se laisser humilier sans coup férir. Sauf que le coup, fatal à bien des égards, la duchesse se le portera seule ; comme si le destin souhaitait la punir par là où elle a péché. A la suite d’une scène édifiante où elle se trouve littéralement sous l’emprise de la rage vengeresse de Montriveau, la voilà qui succombe à ce sentiment plein de confusion, dira plus tard un écrivain autrichien.
En effet, chez Balzac, on est rarement heureux avec beaucoup d’enfants, et tout s’achève avec autant de regrets qu’il est possible.
La Duchesse de Langeais, texte le plus fameux du triptyque de L’Histoire des Treize – les deux autres étant Ferragus et La Fille aux yeux d’or – ne saurait effectivement valider les mots d’Aragon : « Heureux celui qui meurt d’aimer. » L’amour, ici, se confronte pêle-mêle au jeu cynique, à la passion dévorante qui nourrit une violence débridée, au malentendu puis à la réclusion et la mort. Pour résumer, l’amour se rend impossible à vivre dans ces pages.
Ici, particulièrement, Balzac ne saurait être enfermé dans le seul réalisme qu’on lui attribue : son histoire transpire le romantisme suffocant – surtout à travers le revirement de la duchesse. Romantisme qui va précipiter Antoinette de Langeais dans les affres de la passion déçue et la cloîtrer jusqu’à la fin, malgré la tentative de Montriveau une fois qu’il la retrouve. Chacun se verra ainsi frustré jusqu’au bout, par des détours romanesques exceptionnels, de l’expression sereine de ses sentiments. Aimer c’est accepter de chuter. Et il est des chutes dont on ne se relève pas.
On aurait cependant tort de voir dans le roman de Balzac juste une affaire de cœurs meurtris. C’est bien plus que cela. On y découvre notamment un état des lieux de son époque, où la déliquescente aristocratie feint d’ignorer que la Révolution et l’Empire ont rebattu les cartes de la France. Désormais, la bourgeoisie a le vent en poupe et tandis que l’aristocratie se berce des illusions de sa grandeur passée, la première construit une nouvelle société, au grand dam de l’auteur, royaliste, qui faisait dire ailleurs à une autre duchesse, avec un certain fatalisme : « Il n’y a plus de noblesse, il n’y a que de l'aristocratie » (Le Cabinet des Antiques).
Mais par-dessus tout, le roman de Balzac raconte ce champ de bataille qu’est la passion. Et sur les champs de bataille il y a toujours des morts.


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