Quel plaisir de reprendre mes lectures de la Comédie Humaine, beaucoup délaissées depuis mars 2017 pour cause de PAL vertigineuse ! Comment ai-je pu me laisser déborder au point d'abandonner cet auteur ?
Dans
La Femme de trente ans, je retrouve d'abord un contexte historique, entre gloire et chute napoléoniennes autour du parcours de Victor d'Aiglemont, colonel sous l'empire, puis pair de France avec le retour des Bourbons… et surtout, encore une fois, je découvre un magnifique portrait de femme et suis subjuguée par le travail
De Balzac sur la psychologie féminine.
Balzac réussit ici à nous conter les déboires conjugaux d'une jeune fille peu avertie des choses de la vie, élevée avec amour par son père sans présence maternelle ou féminine, qui découvre qu'il ne suffit pas d'épouser un homme dont elle est éprise pour connaître le bonheur dans le mariage. Son époux est avant tout un militaire, plutôt rustre et maladroit dans l'intimité et de surcroit pas très intelligent. Que
Balzac décrive admirablement la manière dont l'épouse veille sur la carrière de son mari ne nous étonne nullement, convaincus que nous sommes toutes et tous de son grand talent pour parler des moeurs de la société de son temps… Là où cet écrivain se révèle particulièrement " bluffant ", c'est dans son approche de l'intimité féminine : tout est dit à mots couverts, tout est suggéré tout en finesse… Julie d'Aiglemont n'est pas heureuse : les rapports sexuels lui font mal, elle souffre physiquement et moralement en se soumettant au devoir conjugal. En proie à ce que nous appellerions aujourd'hui une grosse dépression, elle n'arrive pas non plus à développer son instinct maternel ; " ni l'esprit de famille ni l'esprit religieux ne [la] touchent ". Bien souvent, ses réflexions désabusées traduisent un regard incisif sur la condition des femmes ; ainsi, elle qualifie le mariage de " prostitution légale ".
Ce roman, bien qu'intitulé
La Femme de trente ans couvre toute la vie de Julie, depuis l'éveil amoureux, son triste mariage, ses passions coupables et sa mort en proie à l'inquiétude pour sa fille préférée, Moïna ; la boucle est alors bouclée puisque la jeune femme risque fort de se perdre dans les mêmes erreurs que sa mère, en cédant à de coupables passions.
Balzac analyse les différentes nuances de l'amour maternel en se focalisant sur les relations mère-filles.
Encore une fois, je suis tentée de faire une " lecture féministe "
De Balzac… En effet, ce roman porte un titre qui rappelle aussi le lectorat contemporain de cet auteur, en majorité constitué de bourgeoises trentenaires malheureuses en amour ou en ménage, qui retrouvaient une illustration de leurs frustrations par le biais du roman.
Je me plonge avec délice dans les grandes descriptions de défilés militaires ou de paysages, qui même si elles allongent le récit ne l'alourdissent jamais car elles recréent une ambiance, un décor. de plus,
Balzac alterne les passages descriptifs et les péripéties romanesques : à ce propos, la fin de la première partie, digne d'un vaudeville, puis les deux rencontres, le combat naval et les retrouvailles de la cinquième partie relancent avec brio une trame narrative qui s'étirait un peu en longueur.
Un narrateur intra diégétique intervient directement dans le récit de la quatrième partie, intitulée " le Doigt de Dieu " et ce JE intempestif est là pour relater et éclairer d'une lueur moralisatrice un évènement important.
Balzac se veut-il et se fait-il ici juge de la conduite de son héroïne au point qu'il se fasse témoin impuissant de son malheur ?
Enfin, quel plaisir de retrouver des personnages déjà rencontrés depuis le début de ma lecture in extenso de la Comédie humaine, notamment Victor d'Aiglemont, brièvement apparu dans
La Maison du chat qui pelote et le nom de Vandenesse, dont les membres de la famille apparaissent de manière récurrente dans cette immense saga.
Parmi les choses qui m'ont étonnée et un peu gênée figure la différence de traitement entre les " premières fautes " longuement décrites alors que Julie résiste pourtant à sa passion adultère pour Arthur, le jeune lord anglais et la manière dont ensuite plusieurs années passent très vite, à peine marquées par les naissances de trois enfants, fruits de ses amours coupables avec Charles de Vandenesse. En outre, les passages très " romanesques " comme l'enlèvement d'Hélène et les retrouvailles avec son père, puis sa mère sont des épisodes un peu plaqués qui mériteraient un effet de transition par rapport au reste du récit.
Mais ça reste du
Balzac, même si je ne mets pas ce roman dans mes préférés ou mes coups de coeur…