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EAN : 9782869593046
293 pages
Arléa (30/08/1997)
3.58/5   60 notes
Résumé :
Essai écrit de 1830 à 1846.

Les Petites Misères sont une critique féroce des convenances et de l’hypocrisie conjugale. Balzac voulait que sa préface fût illustrée : elle l’est dans cette édition par Cabu.

Source : Arléa

Balzac, presque en vacances, se promène en observateur amusé dans l’intimité des couples : dans cette suite de saynètes sur la vie conjugale, comparables aux caricatures de Daumier, il porte à son apogée ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Quel étrange bouquin ! On sait que Balzac nous a habitués à toucher à tous les genres, mais là, c'est vraiment un registre où l'on ne l'attend pas. Il s'agit d'une sorte de catalogue comique à la façon des livres de Pierre Desproges tels que le Manuel de Savoir-Vivre À L'Usage Des Rustres Et Des Malpolis ou encore du Dictionnaire Superflu À L'Usage de L'Élite Et Des Bien Nantis. Et le plus fort, c'est qu'Honoré de Balzac est très bon aussi dans ce registre et sait nous fait rire.

L'ouvrage est organisé de façon symétrique, deux préfaces de l'auteur, 36 chapitres décrivant des mesquineries diverses : 18 misères pour l'homme, dépeint sous les traits d'un Adolphe quelconque, archétype du gros bourgeois inintéressant et sans finesse de vue, le tout directement mis en parallèle de 18 vexations pour sa femme Caroline, symbolisant la bougresse machiavélique intéressée par tout ce qui brille.

La première partie (concernant l'homme) est à mon avis plus comique, plus caustique que la seconde, plus " analytique ", même si ce terme fait assez scientifique de nos jours, ce qui n'est pas du tout le cas ici. Ainsi donc, par cette pseudo symétrie de construction, Balzac n'en fait pas moins clairement passer son petit message bien misogyne : pour vivre heureux, vivons sans femme.

Néanmoins, on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'il y a une certaine justesse dans les situations décrites et qu'on peut reprocher beaucoup de choses à Balzac, mais certainement pas d'être un médiocre observateur des moeurs de son époque, et même — soyons fou — un véritable éthologiste humain.

Le fardeau de la femme étant, selon lui, plutôt la lourdeur de son mari que d'autres travers moins glorieux pourtant bien réels (les femmes en savent quelque chose !) mais non développés ici. L'auteur se contente, comme le nom du livre l'indique, de mettre l'accent sur la suite de désillusions, sur la successive descente des marches qui conduisent du piédestal au troisième sous-sol dans le ressenti du protagoniste étudié vis-à-vis de son conjoint à mesure que le temps passe dans le couple.

Un livre donc bien plaisant, caustique, léger et drôle, fait de petits chapitres courts, relatant les mille désillusions qui attendent le marié ou la mariée après la signature devant le maire.
En revanche, je suis très, très réservée sur l'intérêt des dessins de Cabu (que j'aime pourtant par ailleurs) car ils sont très datés (façon années 1980) et n'apportent, selon moi, absolument rien, mais ceci n'est qu'une des petites misères de l'avis conjugal, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Mea culpa et honte à moi : j'ai rectifié ma chronique car je me suis souvenue, après coup, que j'avais lu par le passé Balzac avec Eugénie Grandet qui fut ma, cette fois-ci c'est sûr, première découverte de cet auteur, que j'avais beaucoup aimé mais que j'avais complètement occulté de ma mémoire (commencerait-elle à me jouer des tours ou mon cerveau commence-t-il à être encombrer de toutes ces lectures.....)

Je continue donc ma découverte de la plume De Balzac avec une vieille édition Albin Michel trouvée chez Emmaüs au titre prometteur, Petites misères de la vie conjugale, des chroniques drôles, vivantes et finalement toujours actuelles ou encore visibles dans une vie de couple le tout sous l'oeil scrutateur d'un écrivain avide d'évoquer les petits (et parfois grands) désagréments de la vie maritale.

L'auteur prend un couple type : Caroline et Adolphe pour nous raconter surtout les petits désillusions qui surviennent après quelque temps, après que les coeurs se soient embrasés et que le feu s'apaise (si feu il y a car tous les mariages n'étaient pas des mariages d'amour à l'époque). Adolphe puis Caroline, vont donner leurs ressentis sur ce qui se cache derrière le mariage, les petits désagréments, mensonges, arrangements ou interprétations des agissements de la personne qui partage votre vie.

Je ne savais rien de la construction du récit et je me suis lancée dedans en lisant les axiomes avec lesquels le grand Honoré introduit chacun de ses chapitres comme par exemple pour celui sur La logique des femmes

Les êtres sensibles ne sont pas des êtres sensés

Le sentiment n'est pas le raisonnement, la raison n'est pas le plaisir, et le plaisir n'est certes pas une raison (p40)

et ensuite il démontre la justesse de ce qu'il avance comme vérité, mettant en garde, en quelque sorte, les candidat(e)s à l'aventure. Ne sachant pas que Caroline allait dans la deuxième partie prendre la parole et nous faire part de ses constations et pensées, je trouvai qu'Adolphe était bien prétentieux et nous offrait de sa femme une image assez légère et inconséquente, une femme sans cervelle qui ne faisait que se plaindre ou réclamer argent et toilettes. Puis quand Caroline prend la parole, Balzac nous livre une autre version, une autre vision du mariage vue du point de vue féminin avec certains faits ou vérités tus par le mari mais aussi les sentiments de jalousie, d'envie voire de rivalités avec d'autres couples ou femmes.

Bon disons-le clairement Honoré est homme et écrit en tant qu'homme : on sent la misogynie pointée dans le constat qu'il fait d'une union mais aussi des portraits dressés, mais il ne se départit pas d'une critique sur les comportements parfois hasardeux du mari et rend justice à la finesse d'esprit de la femme, jamais dupe des agissements de celui-ci mais qui apparait malgré tout assez frivole et plus préoccupée par sa mise et sa position dans la société que par ses déboires conjugaux. N'oublions pas que nous sommes au milieu du XIXème siècle et que la femme "bourgeoise" ne travaille pas, dépend financièrement presque totalement de son époux (heureusement certaines avaient quelque argent issu de leur dot) et si l'homme est libre d'agit, son épouse doit rendre des comptes.

Je ne m'attendais pas à ce ton là de la part De Balzac que l'on me décrivait souvent comme ennuyeux, descriptif et faisant languir son lecteur et je découvre de l'ironie, de la justesse, des vérités encore actuelles sur le mariage, la vie à deux, les attitudes et pensées de chacun(e). Il joue avec différents styles : épistolaire, pièce de théâtre (vaudeville), on ressent une certaine jouissance à relater les désagréments (principalement) de la vie à deux, les petits compromis ou tolérances dont chacun doit faire preuve. C'est pétillant, drôle, sarcastique et il me faisait un peu penser à Sacha Guitry sous certains aspects (mais c'est plutôt Sacha qui s'est inspiré d'Honoré.....).

L'écriture est remarquable, travaillée pour être la plus efficace possible, avec parfois un parler et des expressions dont on n'a plus l'utilisation, certes, ou le sens, mais sans lourdeur et je dois avouer que j'ai pris plaisir et souri des péripéties du couple en particulier quand Caroline pouvait, enfin, s'exprimer. C'est divertissant, grinçant, cela offre une galerie de portraits mais également de sentiments n'encourageant pas au mariage. Au-delà des émois du début que devient l'amour quand le quotidien et les caractères se révèlent et transforment l'amour en affrontements.

Honoré ne me fait plus peur et comme j'aime de plus en plus me plonger dans les classiques où je trouve de plus en plus sources de plaisir que ce soit dans l'écriture, la construction et les thèmes, je vais m'aventurer sur ses terres avec un roman où je pourrai découvrir sur la longueur son style et sa créativité.

J'ai aimé d'autant plus que je l'ai lu dans une édition ancienne de chez Albin Michel, jaunie, aux pages dentelées et sentant bon le renfermé......
A nous deux Honoré !
J'ai aimé.


Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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Pour cet essai sur le mariage et ses accidents de parcours, petits ou grands, Balzac met en scène un couple marié, Caroline et Adolphe, dont il nous fait suivre toute l'évolution de leur vie maritale depuis les premières découvertes déplaisantes jusqu'à l'acceptation d'une vie partagée à ... 4 !

Légère et très drôle, la première partie accompagne Adolphe dans la découverte de sa femme et de la vie de couple. Avec un humour aussi corrosif que la soude caustique, Balzac dénonce les menus inconvénients du mariage pour un homme : oubliées les joies d'une paresseuse matinée au lit, envolé le bonheur d'être seul maître à bord de son domicile ! Adolphe regretterait presque de ne pas être resté garçon... Pire encore, Adolphe, atterré, découvre que sa Caroline est une écervelée qui ne cesse d'accumuler les gaffes lors des soirées entre amis. Et puis, il faut supporter les petites querelles au sujet de l'éducation du jeune Charles, les envies de villégiature de Caroline qui sont aussi onéreuses que fugaces, les bouderies de Madame quand les robes de ses amies ont été plus admirées que la sienne lors d'un bal...
Balzac file la métaphore jusqu'à l'excès et distille de nombreux aphorismes pas toujours excellents.

Cet essai qui s'inscrit dans Les études analytiques de la Comédie Humaine est inégal à plus d'un titre. Après une première partie très plaisante, la seconde l'est beaucoup moins, évoluant vers plus de gravité avec des petites misères qui le sont de moins en moins, et de sérieux accrocs au contrat de mariage tels que l'adultère. L'attitude d'Adolphe engendre les soupçons de Caroline qui se fait enquêteuse, secondée dans sa tâche par la femme de ménage. L'infidélité, une petite misère ? Sans doute d'un point de vue masculin, et surtout de celui De Balzac qui accumula les liaisons simultanées. Car l'on se doute bien que tout ce qui est présenté dans cette étude a été vécu par l'écrivain, ou, à tout le moins, observé.

Son analyse est aussi clairement inégalitaire dans le traitement appliqué aux deux sexes. Elle dénote une bonne part de misogynie de la part De Balzac qui présente la belle Caroline comme une parfaite idiote tandis qu'Adolphe, pauvre mari, en subit les conséquences. Cela justifierait-il l'adultère ? Balzac semble l'approuver, extrapolant jusqu'à en faire la clé d'un mariage heureux.

Enfin, je regrette que les dessins originaux de Bertall aient été remplacés par quelques uns de Cabu dans mon édition Arléa et limités à la préface : si cela montre bien le caractère quasi-intemporel de cette étude où les couples mariés pourront se retrouver, c'est dommage d'avoir perdu l'esprit et le charme de ceux du 19ème siècle.

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Suite de petites scènes de la vie conjugale, Caroline et Adolphe servant de modèle du jeune couple fraîchement marié de la bourgeoisie d'affaires.
Balzac, sur un ton enjoué avec de nombreuses adresses au lecteur, emploi le mode narratif du conseiller conjugal un brin moralisateur.
Comme dans tout couple – y compris aujourd'hui- les problèmes se centrent sur l'argent : madame souhaite avoir un équipage (belle voiture), changer souvent de garde-robe ; la fidélité et la jalousie : comparaison avec des ménages équivalents, c'est toujours mieux ailleurs ; pourquoi me délaisse-t-il pour ses affaires ou rentre-t-il si tard ? etc.
Le narrateur, petite voix du côté des hommes, pose des « axiomes » sur la femme et en fait la démonstration dans le couple Adolphe-Caroline. Balzac se ferait traiter de « misogyne » de nos jours car il cherche à montrer sous une forme de scholastique bien à lui que les femmes sont diaboliques quand elles cherchent à savoir certaines choses, se lient pour cela à leurs amies, s'en servent contre le « pauvre mari » qui semble faire ce qu'il peut pour contenter son épouse.
Le côté mathématique et scholastique, à la Spinoza, ajoute justement à la drôlerie de la chose car si Spinoza s'en sert pour parler de Dieu, Balzac s'en amuse pour parler du couple. Il en profite aussi pour égratigner les personnages « types » de son époque : la bourgeoise qui tient salon et que tout le monde admire en la détestant, sorte de Madame Verdurin avant l'heure, s'appelle du nom ridicule de Madame de Fischtaminel. Caroline l'admire tout en la jalousant, s'en sert pour parvenir à ses fins, soupçonne son mari d'avoir une liaison avec elle.
L'ensemble se lit très agréablement, on a l'impression que Balzac s'est offert une récréation en traitant un sujet plus léger qu'à l'ordinaire mais il semble aussi un peu un précurseur de la sociologie.
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Balzac observe le mariage d'Adolphe et Caroline, des premiers rapprochements économiques avec la dot et les rentes jusqu'au pacte final de bonne entente en passant par toutes les ruses, les duperies, les jalousies et les fiertés d'Adolphe.

Et Adolphe semble bien pauvre et Caroline fort niaise…

Puis vient une seconde partie, celle qui donne tout le sel et la force à ce livre, celle qui dévoile un Balzac (pas forcément féministe, tant le mouvement n'était alors qu'à ses premiers balbutiements en France) subtil et doué d'une grande sensibilité féminine et qui se plait à décortiquer l'institution du mariage.

Un livre drôlissime, illustration par l'exemple de la physiologie du mariage auquel il fait fréquemment référence, et dans lequel la femme suit son mari là où elle le mène.
Lien : https://www.noid.ch/petites-..
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critiques presse (2)
Telerama
23 novembre 2011
Publiées en 1846, ces études de mœurs sont une méchante illustration de la bourgeoisie française, un constat impitoyable sur le temps qui passe.
Lire la critique sur le site : Telerama
LeFigaro
04 novembre 2011
Ce recueil un peu foutraque se lit avec un vrai plaisir, un peu comme un livre d'aphorismes. On n'est pas obligé de suivre ces conseils à la lettre, assez souvent misogynes, mais on peut apprécier la plume de l'écrivain.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
A la gloire des femmes, elles tiennent encore à leurs maris, quand leurs maris ne tiennent plus à elles, non seulement parce qu'il existe, socialement parlant, plus de liens entre une femme mariée et un homme, qu'entre cet homme et sa femme ; mais encore, parce que la femme a plus de délicatesse et d'honneur que l'homme, la grande question conjugale mise à part, bien entendu.
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[Sur la tristesse des mariages bourgeois de province]
DE MADAME CLAIRE DE LA ROULANDIÈRE, NÉE JUGAULT, À MADAME ADOLPHE DE CHODOREILLE, NÉE HEURTAUT.
« Viviers.
« Tu ne m’as pas encore écrit, ma chère Caroline, et c’est bien mal à toi. N’était-ce pas à la plus heureuse de commencer et de consoler celle qui restait en province !
» Depuis ton départ pour Paris, j’ai donc épousé monsieur de La Roulandière, le président du tribunal. Tu le connais, et tu sais si je puis être satisfaite en ayant le cœur saturé de nos idées. Je n’ignorais pas mon sort : je vis entre l’ancien président, l’oncle de mon mari, et ma belle-mère, qui de l’ancienne société parlementaire d’Aix n’a gardé que la morgue, la sévérité de mœurs. Je suis rarement seule, je ne sors qu’accompagnée de ma belle-mère ou de mon mari. Nous recevons tous les gens graves de la ville le soir. Ces messieurs font un whist à deux sous la fiche, et j’entends des conversations dans ce genre-ci : — Monsieur Vitremont est mort, il laisse deux cent quatre-vingt mille francs de fortune... dit le substitut, un jeune homme de quarante-sept ans, amusant comme le mistral. — Êtes-vous bien certain de cela ?...
» — Cela, c’est les deux cent quatre-vingt mille francs. Un petit juge pérore, il raconte les placements, on discute les valeurs, et il est acquis à la discussion que, s’il n’y a pas deux cent quatre-vingt mille francs, on en sera bien près...
» Là-dessus concert général d’éloges donnés à ce mort, pour avoir tenu le pain sous clef, pour avoir plaçoté ses économies, mis sou sur sou, afin probablement que toute la ville et tous les gens qui ont des successions à espérer battissent ainsi des mains en s’écriant avec admiration : — Il laisse deux cent quatre-vingt mille francs !... Et chacun a des parents malades de qui l’on dit : — Laissera-t-il quelque chose d’approchant ? et l’on discute le vif comme on a discuté le mort.
» On ne s’occupe que des probabilités de fortune, ou des probabilités de vacance dans les places, et des probabilités de récolte.
» Quand, dans notre enfance, nous regardions ces jolies petites souris blanches à la fenêtre du savetier de la rue Saint-Maclou, faisant tourner la cage ronde où elles étaient enfermées, pouvais-je savoir que ce serait une fidèle image de mon avenir ?...
» Être ainsi, moi qui de nous deux agitais le plus mes ailes, dont l’imagination était la plus vagabonde ! j’ai péché plus que toi, je suis la plus punie. J’ai dit adieu à mes rêves : je suis madame la présidente gros comme le bras, et je me résigne à donner le bras à ce grand diable de monsieur de La Roulandière pendant quarante ans, à vivre menu de toute manière et à voir deux gros sourcils sur deux yeux vairons dans une figure jaune, laquelle ne saura jamais ce qu’est un sourire.
» Mais toi, ma chère Caroline, toi qui, soit dit entre nous, étais dans les grandes quand je frétillais dans les petites, toi qui ne péchais que par orgueil, à vingt-sept ans, avec deux cent mille francs de fortune, tu captures et tu captives un grand homme, un des hommes les plus spirituels de Paris, un des deux hommes à talent que notre ville ait produite !... quelle chance !
» Maintenant tu te trouves dans le milieu le plus brillant de Paris. Tu peux, grâce aux sublimes priviléges du génie, aller dans tous les salons du faubourg Saint-Germain, y être bien accueillie. Tu jouis des jouissances exquises de la société des deux ou trois femmes célèbres de notre temps, où il se fait tant d’esprit, dit-on, où se disent ces mots qui nous arrivent ici comme des fusées à la Congrève. Tu vas chez le baron Schinner, de qui nous parlait tant Adolphe, où vont tous les grands artistes, tous les illustres étrangers. Enfin, dans quelque temps tu seras une des reines de Paris, si tu le veux. Tu peux aussi recevoir, tu verras chez toi les lionnes, les lions de la littérature, du grand monde et de la finance, car Adolphe nous parlait de ses amitiés illustres et de ses liaisons avec les favoris de la mode en de tels termes, que je te vois fêtée et fêtant.
» Avec tes dix mille francs de rente et la succession de ta tante Carabès, avec les vingt mille francs que gagne ton mari, vous devez avoir équipage ; et, comme tu vas à tous les théâtres sans payer, comme les journalistes sont les héros de toutes les inaugurations ruineuses pour qui veut suivre le mouvement parisien, qu’on les invite tous les jours à dîner, tu vis comme si tu avais soixante mille francs de rente !... Ah ! tu es heureuse, toi ! aussi m’oublies-tu !
» Eh bien, je comprends que tu n’as pas un instant à toi. Ton bonheur est la cause de ton silence, je te pardonne. Allons, un jour, si, fatiguée de tant de plaisirs, du haut de ta grandeur, tu penses encore à ta pauvre Claire, écris-moi, raconte-moi ce qu’est un mariage avec un grand homme... peins-moi ces grandes dames de Paris, surtout celles qui écrivent... oh ! je voudrais bien savoir en quoi elles sont faites ; enfin n’oublie rien, si tu n’oublies pas que tu es aimée quand même par ta pauvre
» CLAIRE JUGAULT. »
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[sur les génies de sous-préfecture montés à Paris]
Un jeune homme a quitté sa ville natale au fond de quelque département marqué par monsieur Charles Dupin en couleur plus ou moins foncée. Il avait pour vocation la gloire, n’importe laquelle : supposez un peintre, un romancier, un journaliste, un poète, un grand homme d’État.
Pour être parfaitement compris, le jeune Adolphe de Chodoreille voulait faire parler de lui, devenir célèbre, être quelque chose. Ceci donc s’adresse à la masse des ambitieux amenés à Paris par tous les véhicules possibles, soit moraux, soit physiques, et qui s’y élancent un beau matin avec l’intention hydrophobique de renverser toutes les renommées, de se bâtir un piédestal avec des ruines à faire, jusqu’à ce que désillusion s’ensuive.
Comme il s’agit de formuler ce fait normal qui caractérise notre époque, prenons de tous ces personnages celui que l’auteur a nommé ailleurs UN GRAND HOMME DE PROVINCE.
[…]
Le jeune homme, objet de cette exportation, semble toujours à toute sa ville avoir autant d’imagination que les plus fameux auteurs. Il a toujours fait d’excellentes études, il écrit d’assez jolie vers, il passe pour un garçon d’esprit ; enfin il est souvent coupable d’une charmante nouvelle insérée dans le journal de l’endroit, laquelle a soulevé l’admiration du département. Comme ces pauvres parents ignoreront éternellement ce que leur fils vient apprendre à grand’peine à Paris, à savoir :
Qu’il est difficile d’être un écrivain et de connaître la langue française avant une douzaine d’années de travaux herculéens ;
Qu’il faut avoir fouillé toute la vie sociale pour être un vrai romancier, vu que le roman est l’histoire privée des nations ;
Que les grands conteurs (Ésope, Lucien, Boccace, Rabelais, Cervantes, Swift, La Fontaine, Lesage, Sterne, Voltaire, Walter Scott, les Arabes inconnus des Mille et Une Nuits) sont tous des hommes de génie autant que des colosses d’érudition.
Leur Adolphe fait son apprentissage en littérature dans plusieurs cafés, devient membre de la société des Gens de lettres, attaque à tort et à travers des hommes à talent qui ne lisent pas ses articles, revient à des sentiments plus doux en voyant l’insuccès de sa critique, apporte des nouvelles aux journaux qui se les renvoient comme sur des raquettes ; et, après cinq à six années d’exercices plus ou moins fatigants, d’horribles privations très-coûteuses à ses parents, il arrive à une certaine position.
Voici quelle est cette position.
Grâce à une sorte d’assurance mutuelle des faibles entre eux, et qu’un écrivain assez ingénieux a nommée la camaraderie, Adolphe voit son nom souvent cité parmi les noms célèbres, soit dans les prospectus de la librairie, soit dans les annonces des journaux qui promettent de paraître.
Les libraires impriment le titre d’un de ses ouvrages à cette menteuse rubrique : SOUS PRESSE, qu’on pourrait appeler la ménagerie typographique des ours . On comprend quelquefois Chodoreille parmi les hommes d’espérance de la jeune littérature.
Adolphe de Chodoreille reste onze ans dans les rangs de la jeune littérature : il devient chauve en gardant sa distance dans la jeune littérature ; mais il finit par obtenir ses entrées aux théâtres, grâce à d’obscurs travaux, à des critiques dramatiques ; il essaye de se faire prendre pour un bon enfant ; et à mesure qu’il perd des illusions sur la gloire, sur le monde de Paris, il gagne des dettes et des années.
Un journal aux abois lui demande un de ses ours corrigé par des amis, léché, pourléché de lustre en lustre, et qui sent la pommade de chaque genre à la mode et oublié. Ce livre devient pour Adolphe ce qu’est pour le caporal Trim, ce fameux bonnet qu’il met toujours en jeu, car pendant cinq ans Tout pour une Femme (titre définitif) sera l’un des plus charmants ouvrages de notre époque.
En onze ans, Chodoreille passe pour avoir publié des travaux estimables, cinq à six nouvelles dans des revues nécropoliques, dans des journaux de femmes, dans des ouvrages destinés à la plus tendre enfance.
Enfin, comme il est garçon, qu’il possède un habit, un pantalon de casimir noir, qu’il peut se déguiser quand il le veut en diplomate élégant, qu’il ne manque pas d’un certain air intelligent, il est admis dans quelques salons plus ou moins littéraires, il salue les cinq ou six académiciens qui ont du génie, de l’influence ou du talent, il peut aller chez deux ou trois de nos grands poètes, il se permet dans les cafés d’appeler par leur petit nom les deux ou trois femmes célèbres à juste titre de notre époque ; il est d’ailleurs au mieux avec les bas-bleus du second ordre, qui devraient être appelées des chaussettes, et il en est aux poignées de main et aux petits verres d’absinthe avec les astres des petits journaux.
Ceci est l’histoire des médiocrités en tout genre, auxquelles il a manqué ce que les titulaires appellent le bonheur.
Ce bonheur, c’est la volonté, le travail continu, le mépris de la renommée obtenue facilement, une immense instruction, et la patience qui, selon Buffon, serait tout le génie, mais qui certes en est la moitié.
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Vous croyez avoir épousé une créature douée de raison, vous vous êtes lourdement trompé, mon ami.

Axiome

Les êtres sensibles ne sont pas des êtres sensés.

Le sentiment n'est pas le raisonnement, la raison n'est pas le plaisir, et le plaisir n'est certes pas une raison.
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Le jésuite, le plus jésuite des jésuites est encore mille fois moins jésuite que la femme la moins jésuite, jugez combien les femmes sont jésuites! Elles sont si jésuites, que le plus fin des jésuites lui-même ne devinerait pas à quel point une femme est jésuite, car il y a mille manières d’être jésuite, et la femme est si habile jésuite, qu’elle a le talent d’être jésuite sans avoir l’air jésuite. On prouve à un jésuite, rarement, mais on lui prouve quelquefois qu’il est jésuite; essayez donc de démontrer à une femme qu’elle agit ou parle en jésuite? elle se ferait hacher avant d’avouer qu’elle est jésuite.
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Vidéo de Honoré de Balzac
Deuxième épisode de notre podcast avec Sylvain Tesson.
L'écrivain-voyageur, de passage à la librairie pour nous présenter son récit, Avec les fées, nous parle, au fil d'un entretien, des joies de l'écriture et des peines de la vie, mais aussi l'inverse, et de la façon dont elles se nourrissent l'une l'autre. Une conversation émaillée de conseils de lecture, de passages lus à haute voix et d'extraits de la rencontre qui a eu lieu à la librairie.
Voici les livres évoqués dans ce second épisode :
Avec les fées, de Sylvain Tesson (éd. des Équateurs) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/23127390-avec-les-fees-sylvain-tesson-equateurs ;
Blanc, de Sylvain Tesson (éd. Gallimard) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/21310016-blanc-une-traversee-des-alpes-a-ski-sylvain-tesson-gallimard ;
Une vie à coucher dehors, de Sylvain Tesson (éd. Folio) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/14774064-une-vie-a-coucher-dehors-sylvain-tesson-folio ;
Sur les chemins noirs, de Sylvain Tesson (éd. Folio) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/14774075-sur-les-chemins-noirs-sylvain-tesson-folio ;
Le Lys dans la vallée, d'Honoré de Balzac (éd. le Livre de poche) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/769377-le-lys-dans-la-vallee-honore-de-balzac-le-livre-de-poche.
Invité : Sylvain Tesson
Conseil de lecture de : Pauline le Meur, libraire à la librairie Dialogues, à Brest
Enregistrement, interview et montage : Laurence Bellon
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Les Éclaireurs de Dialogues, c'est le podcast de la librairie Dialogues, à Brest. Chaque mois, nous vous proposons deux nouveaux épisodes : une plongée dans le parcours d'un auteur ou d'une autrice au fil d'un entretien, de lectures et de plusieurs conseils de livres, et la présentation des derniers coups de coeur de nos libraires, dans tous les rayons : romans, polar, science-fiction, fantasy, BD, livres pour enfants et adolescents, essais de sciences humaines, récits de voyage…
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