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Critique de Presence


Il s'agit d'une bande dessinée de 68 pages, en couleurs. Elle a été publiée pour la première fois en 2019, écrite par Antoine Balzeau (chercheur au CNRS, paléoanthropologue, président de la Société d'Anthropologie de Paris), mise en images par Pierre Bailly. Elle fait partie de la collection intitulée La petite bédéthèque des savoirs, éditée par Le Lombard. Cette collection s'est fixé comme but d'explorer le champ des sciences humaines et de la non-fiction. Elle regroupe donc des bandes dessinées didactiques, associant un spécialiste à un dessinateur professionnel, en proscrivant la forme du récit de fiction. Il s'agit donc d'une entreprise de vulgarisation sous une forme qui se veut ludique.

Cette bande dessinée se présente sous une forme assez petite, 13,9cm*19,6cm. Elle s'ouvre avec un copieux avant-propos de David Vandermeulen de 9 pages, plus 1 page de notes. Il commence par évoquer les glossopètres, des fossiles décrits par Pline l'Ancien dans Histoire Naturelle. Puis il passe aux hypothèses de Michele Mercati (1541-1593) qui reconsidère les céraunies comme autre chose que des pierres de foudre et le consigne dans sa Métallothèque. Il passe en revue les différents scientifiques ayant identifié des traces de l'existence de l'homme ancienne, tellement ancienne qu'ils remettaient ainsi en cause la chronologie de la Bible, Antoine de Jussieu (1686-1758), Joseph-François Lafitau (1681-1746), Nicolas Mahudel (1673-1747). C'est ainsi qu'il arrive à William Buckland (1784-1856) et à sa reconstitution d'un squelette de Mégalosaure en 1824. Une nouvelle branche des sciences était en train de naître, et la préhistoire avec elle.

Au Musée de l'Homme sur l'Esplanade du Trocadéro à Paris, Antoine Balzeau observe les passants en bas, en considérant qu'ils sont tous des Homo sapiens. Il indique qu'il est difficile de dire ce qui caractérise précisément l'Homo sapiens, et qu'il va falloir s'intéresser à différents aspects afin de bien conter la grande histoire de notre humanité. Il annonce qu'il va aborder cette question sous 3 angles : où et comment s'élaborent les théories sur la nature de l'Homo Sapiens, puis faire un tour par l'époque préhistorique, et enfin essayer d'entrevoir ce que peut être l'avenir de l'Homo sapiens. Pour commencer, il repart de L'origine des espèces : Au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie (1859) de Charles Darwin. Il nuance les idées reçues en la matière en indiquant que l'évolution n'est pas la survie du plus fort, le culte de l'adaptation à tout-va. L'évolution n'implique pas une amélioration. Elle n'a pas non plus de direction. L'homme d'aujourd'hui n'est pas un aboutissement, une finalité. Il est plutôt le fruit du hasard. Il prend des exemples concrets comme le fait que le lièvre et la tortue sont des animaux aussi adaptés l'un que l'autre. Puis il évoque une particularité que l'Homo sapiens ne partage qu'avec un seul autre mammifère : le menton.

David Vandermeulen compose une introduction focalisée sur l'histoire des sciences et de la paléontologie. Au cours de ces 9 pages, le lecteur découvre comment l'être humain a été amené à s'interroger sur des fossiles, à s'interroger sur la nature de ce que sont ces traces du passé, et à lutter contre une vision de l'histoire de l'humanité ayant force de loi, situant le début de l'humanité à -4000 ans. Cette approche historique de cette science permet au lecteur de disposer du contexte de son développement sur lequel Antoine Balzeau appuie une partie de son développement. le lecteur est conscient que cette collection fait oeuvre de vulgarisation, et que ce tome ne se veut pas être un ouvrage universitaire pointu. Les références professionnelles d'Antoine Balzeau sont aisément vérifiables et il a déjà écrit des ouvrages de fond sur le sujet, ainsi qu'un ouvrage récent intitulé 33 idées reçues sur la préhistoire (2018). Effectivement son exposé ici comprend à la fois des informations scientifiques sur l'histoire de l'Homo sapiens et sa relation avec d'autres branches Homo, et à la fois des informations venant expliquer en quoi certaines idées reçues sont erronées ou à nuancer. Ça commence directement avec une mise en perspective de la survie du plus fort (l'un des principes darwinien), et ça continue avec l'erreur que constitue l'image montrant une succession de singes se redressant petit à petit passant par des Hommes d'abord velus et simiesques pour aboutir à nous. Ces précautions font sens en repensant à l'introduction de David Vandermeulen. Antoine Balzeau explique que les bases de la paléologie ont été posées dans les années 1970, et que depuis de nombreuses découvertes ont été faites qui ont permis d'affiner ou de revoir certaines positions. Dans le même temps, il explique qu'il s'agit de rectifier certains raccourcis, mais qu'il est peu probable qu'il puisse y avoir des découvertes qui remettent en cause toute la structure de l'histoire de l'humanité. Il met en garde contre les déclarations tonitruantes plus destinées à attirer l'attention que factuelles

Comme de nombreux autres auteurs des ouvrages de cette série, Antoine Balzeau a pris le parti de mettre en scène un avatar de lui-même pour dérouler son exposé. Il a donc confié son texte à Pierre Bailly, auteur de bande dessinée, ayant par exemple réalisé le Muret (2014) avec Céline Fraipont. Par rapport à d'autres ouvrages de la collection, le scientifique ne s'est pas contenté de livrer un texte clé en main avec charge pour le dessinateur de trouver comment y accoler des images : il y a une véritable interaction entre les images et l'exposé. L'avatar de Balzeau ne se tient pas juste debout pour commenter un image : il se déplace, interagit avec les éléments du décor, se retrouve à mourir de soif dans un désert, regarde la télévision, examine un crâne, se retrouve à l'époque préhistorique, fait des crêpes, déplie un plan, écrit au tableau, travaille dans son laboratoire en examinant des résultats produits par la plateforme AST-RX permettant la numérisation par microtomographie et nanotomographie de spécimens des sciences naturelles. Pierre Bailly réalise des dessins descriptifs de type simplifiés, accessibles à tout public, avec une grande diversité dans les éléments représentés (d'un dé à jouer à un groupe de rock, en passant par de nombreuses espèces animales et différents stades Homo). du fait d'une réelle coordination avec l'auteur, il intègre également des références à la culture populaire comme Homer Simpson, les schtroumpfs ou encore les Buzzcocks. Il peut même réaliser des dessins comiques en connivence avec Balzeau, par exemple avec un groupe de touristes prenant un selfie, alors que l'avatar du paléonthopologue énonce que l'évolution n'implique pas une amélioration.

Le lecteur se laisse facilement emmener par la narration visuelle, diversifiée et en interaction de bon niveau avec l'exposé. Au vu du titre, son attente porte sur une histoire de l'humanité avec le sous-entendu implicite que l'Homo sapiens désigne l'être humain dans son dernier stade d'évolution à ce jour. Il se rend compte que les remarques sur les idées reçues (ou plutôt acceptées comme des évidences et des certitudes absolues) sont les bienvenues pour revenir sur un terrain scientifique, et qu'elles permettent de mieux comprendre les informations sur l'état des connaissances. Dans la première partie, Antoine Balzeau illustre le principe de l'évolution à la fois avec un contre-exemple d'une vision purement utilitariste (le menton), à la fois avec une mise en scène de la séparation d'un groupe d'êtres humains à partir d'un groupe principal. Avec des exemples très concrets et des illustrations adaptées, il sait faire voir des concepts complexes. le lecteur apprécie encore plus le travail de collaboration entre scénariste et dessinateur qui aboutit ici à une vulgarisation de haut niveau. Impossible d'oublier l'image du lièvre et de la tortue comme 2 exemples d'animaux adaptés à leur environnement, avec une caractéristique physique totalement opposée. de la même manière, au fil de l'exposé, Antoine Balzeau montre comment tous les êtres humains sont issus d'une même souche, ce qui annihile toute velléité de parler de race, ou même de couleur de peau.

Le paléoanthropologue répond donc à l'attente du lecteur qui est de savoir d'où vient Homo sapiens, comment il se situe par rapport à Homo erectus, à Homo Heidelbergensis, à Homo Rodhesiensis, et à l'homme de Cro-Magnon, ainsi que l'origine de la diversité chez les êtres humains, tout en reprenant les bases et en expliquant comment la science a pu en établir autant, et pourquoi il reste tant à découvrir. Alors que le lecteur pouvait penser que la dernière partie sur le devenir de l'humanité n'a pas grand rapport avec le sujet de l'ouvrage, l'auteur effectue un développement organique, établissant des applications pratiques des découvertes de la paléoanthropologie.

Ce tome sur l'Homo sapiens constitue un bon ouvrage de la collection de la petite bédéthèque des savoirs car auteur et dessinateur ont collaboré de manière à produire une vraie bande dessinée (plutôt qu'un texte illustré), les dessins de Pierre Bailly rendent le discours très vivant, David Vandermeulen contextualise la paléologie, et Antoine Balzeau fait oeuvre de vulgarisation de manière ambitieuse, en sachant nuancer les idées reçues et expliquer clairement les concepts compliqués.
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