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Olivier Mannoni (Traducteur)
EAN : 9782743654955
304 pages
Payot et Rivages (02/02/2022)
3.88/5   13 notes
Résumé :
"Chacun a son histoire de maladie et de mort, chacun a ses pertes, ses images aux noires ramifications et qui ne pâlissent pas. Les morts ne sont jamais morts, ils ont leur place dans les premières phrases d’une rencontre, d’une discussion, ils sont assis dans les jardins, aux tables, devant les soupières, les corbeilles de pain blanc tranché, ils ordonnent, allons, parlez de moi à présent, ne baissez pas les bras, n’arrêtez pas de parler de moi."
Zsuzsa Bánk... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Zsuzsa Bánk est une écrivaine allemande de parents hongrois qui furent contraints à l'exil suite à l'insurrection hongroise de 1956. La Hongrie , le lac Balaton, l'eau et la natation sont des constantes de son oeuvre, notamment dans ce récit autobiographique.
« La mort ne sied pas à l'été. La mort relève de l'hiver », pourtant c'est dans la chaleur de l'été, que Bànk retourne avec son père en Hongrie, à son passé et à celui de sa famille, alors que ce dernier compte ses jours. Un été sec et étouffant sous tension de la perte imminente de l'être cher, dont la plume d'une simplicité désarmante de Bánk nous en fait sentir la réalité au plus près. Sans entrer dans le pathos, elle relate la longue agonie vers la fin, , "il ne suffit donc pas que son corps l'abandonne, le voilà aussi lâché par sa raison….Non, il n'y a pas de bonne fin. Oui, toute fin est cruelle.” Elle alterne avec les souvenirs, les siens et ceux de ses parents, dont la majorité sont des souvenirs de Hongrie , le pays d'origine dont la nostalgie n'a jamais quitté les parents, et apparemment aussi la fille, bien qu'elle soit née et ait grandi en Allemagne.
Un livre qui me touche personnellement ayant vécu la même expérience avec un père adoré avec le même diagnostique et ici je retrouve mes propres ressentis et mes propres mots face à la douleur d'une séparation définitive, que je n'ai finalement jamais accepté comme définitive, «  Moi aussi, j'ai ces morceaux de lien avec mon père, des ponts minuscules vers notre temps commun, qui me montrent que c'est vrai, oui, nous avons existé, nous étions authentiques, nous étions là ». Même si la mort de nos parents est logiquement inévitable , quand elle fait de nous ses protagonistes, nous ne sommes pas préparés, nous savons rien et nous ne pouvons recourir à rien. Nous seuls le vivons, nous seuls le vivons à notre manière. Nous sommes toujours seuls dans notre douleur.
Pour qui ne connaît pas encore Zsuzsa Bánk je conseille expressément ses très beaux livres, « Le nageur » et «  Les jours clairs ». C'est une superbe écrivaine , pas pour tous les goûts , sûr, mais cela vaut largement la peine de la rencontrer.


L'ÉTANG
 
Il repose, serein, dans la lumière du matin,

En paix, comme une conscience pieuse ;

Quand la brise d'ouest embrasse son miroir,

La fleur de la rive ne le sent pas ;

Les libellules vibrent au-dessus de lui,

Baguettes d'or, d'azur et de carmin,

Et à la surface de l'éclat du soleil,

L'araignée d'eau danse ;

L'iris se dresse sur la rive

Et écoute les berceuses des roseaux ;

Un doux chuchotement arrive et passe,

Comme un murmure : Paix, paix, paix !

Annette von DROSTE-HÜLSHOFF
( une poétesse que partageait le père et la fille)


« Au bout du compte le paradis est verrouillé et nous devons faire le tour du monde pour voir s'il ne serait pas ouvert quelque part à l'arrière. »
Kleist
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"Je ne verrai plus jamais mon père , je ne lui parlerai plus jamais. Je n'entendrai plus sa voix que dans mes rêves et mes pensées , peut-être le souvenir ne suffira t-il plus à un moment donné , pour la recomposer dans ma tête , peut-être l'oublierai-je. (P.151)

En cet été particulièrement chaud, la famille Bánk, résidant habituellement en Allemagne, se retrouve dans son village hongrois natal, mais le repos estival est vite piétiné par la maladie du grand-père. Ce ne sont pas les sorties au lac et le temps dans la maison d'enfance qui vont scander ces vacances, mais le cancer.

Zsuzsa Bánk livre ici un témoignage réaliste, à la façon d'un journal familial intime, sur le chemin de croix que représente la maladie, pour le malade lui-même, mais aussi pour sa famille.
Elle égrène l'insensibilité pressée des médecins, les étapes éreintantes des établissements et traitement ou examens à endurer, parcours du combattant de celui qui est déjà épuisé : oncologie, chirurgie, anesthésiologie, médecine intensive, gériatrie, clinique de jour et à nouveau, retour en oncologie...
L'auteure souligne quel traitement indigne peut être infligé aux malades et à leurs famille. Les médecins (et les soignants en général), parfois impatients, agacés par les questions... Pour eux bien sûr, c'est le énième patient, mais pour une famille, on ne perd son père ou sa mère qu'une seule fois.

Zsuzsa Bánk raconte sans fard la maladie, comme un îlot hors du temps et en marge du monde.
Le temps, les journées et les nuits sont modelées par la maladie. Accompagner le malade, c'est vivre dans un autre univers où le temps ne s'écoule pas de la même façon, à la même vitesse.
Chaque geste apparemment anodin du quotidien devient une lutte, une douleur. Chaque nuit est une errance sans certitude du lendemain. La maladie broie le malade et use son entourage.
"Le temps que mon père passe à la maison est un temps difficile, ce sont des journées de douleur ou chaque pas devient une torture, chaque pas un coup, une piqûre. [...] Il n'est plus question de dormir, la nuit est dévastée par les coupures, la nuit n'est plus un lieu de repos, la nuit est un lieu où l'on endure et où l'on résiste. (P.104)
Ce temps, isolé des autres vivants, est un aspect prégnant de cette bulle de douleur et de chagrin dans laquelle est enfermée cette famille.
Le temps, qui court comme un décompte, le temps qu'on n'a plus. le temps qui vous est compté... Même à partir de l'heure du décès : vous n'avez que 6h avant l'enlèvement du corps...
Le temps est dilaté. La chimio aura accordé 5 années supplémentaires : "Et cinq années, c'est beaucoup. Ce n'est pas suffisant, mais c'est beaucoup. [...] Cinq années à cultiver le jardin. Cinq années à regarder les pommes mûrir sur l'arbre, les vers s'y attaquer. Cinq années à voir le feuillage prendre des couleurs vives et tomber."(P.156)
La maladie et la mort vous poussent hors du temps, hors de la société. Les vivants ne veulent pas de ça dans leur quotidien. Même le funérarium traduit par son emplacement excentré et peu accueillant le traitement que notre société réserve à la mort : "Mon amie pastoresse me dit plus tard que les funérariums sont souvent des lieux indignes, des fragments mal aimés, reculés et oubliés de l'administration municipale.[...] La mort, me dit-elle, est repoussée dans le dernier coin crasseux, on n'imagine pas dans quels cagibis elle doit parfois se préparer."(P.182)

Mais à travers ce "journal de la séparation", dans ce récit autobiographique l'auteur convoque surtout L Histoire. Elle retranscrit les séparations et les adieux qui auront précédé la disparition de ce père tant aimé : l'arrachement de ses parents à leur patrie et à leur famille respective. L'au revoir à ce père, c'est l'histoire familiale et intime qui affleure à la surface.

Car Zsuzsa Bánk raconte avec délicatesse et pudeur l'exil de ses parents.
Ne se connaissant pas encore, son père et sa mère fuient leur Hongrie natale, Budapest, en 1956, comme nombre de leurs compatriotes, face à l'avancée des chars soviétiques.
À travers son propre deuil, l'auteure tire les fils douloureux de cette fuite pour survivre, de ce déracinement qu'ont dû choisir ses parents pour tenter un avenir meilleur, ailleurs. Quitte pour cela à ne plus jamais revoir les leurs.
À travers le prisme de son propre deuil, Zsuzsa Bánk évoque donc les deuils, les multiples pertes et déchirements d'une vie, les au revoirs qui vous tailladent l'âme, les derniers regards dont on réalisera trop tard qu'ils étaient ultimes. Cette déchirure poignante que constituent les au-revoirs entre le fils et le père, "quand le plus ancien sait en silence qu'il s'agit d'adieu." (p.72)
Et toujours Zsuzsa Bánk émaille son récit de ce temps terrible, qui ne se rattrape pas...
Pour toutes ces personnes en errance, poussées hors de leur pays par le régime autoritaire et ses fils barbelés, une vie communautaire s'est recréée dans ces immeubles d'accueil. La famille au sens traditionnelle est abîmée, certains sont restés en Hongrie, d'autres sont morts d'avoir résisté. Mais les liens se recréent autrement. Dans ces temps-là, on s'épaulait.

Alors, la disparition du père, c'est toute la fin d'une époque. Elle était finie depuis belle lurette, mais il en était encore la "survivance" malgré tout, le témoignage de ce qui fut.
"Enfant , nous nous promenions d'un appartement à l'autre , nous étions les bienvenus , on nous aimait et on nous portait. Quand mes parents allaient danser , la voisine venait voir ce que nous faisons , comme le font ordinaire les tantes et les grands-mères.'" (P.148)
La mort du père, c'est aussi le retour sur les lieux de l'enfance, ce sont les souvenirs de ce que nous fûmes et ce que furent les lieux qui accueillirent nos jeux, les copains, les virées à la boulangerie, les fêtes religieuses qui scandent l'année.

En réalité, au-delà de la disparition de son papa, c'est notre finitude que sonde Zsuzsa Bánk. Elle craint l'effacement: à la perte physique de l'être aimé, se superpose la crainte de l'oubli... de sa voix, de son visage, de son existence même. Avec celui qui s'en va, s'évanouit l'histoire dont il était porteur. Alors, elle "rassemble", et malgré les nécessaires ventes et dons qui succèdent à un décès, elle tente de sauver ce qu'elle peut comme on griffe l'eau de la vague qui se retire. La lutte est presque désespérée... "Moi aussi, j'ai ces morceaux de lien avec mon père, des ponts minuscules vers notre temps commun, qui me montrent que c'est vrai, oui, nous avons existé, nous étions authentiques, nous étions là." (P.242)

Zsuzsa Bánk est désarmante d'authenticité dans son chagrin et dans l' effarement à réaliser l'absence à présent définitive de son père. Elle semble découvrir la façon dont la mort va impacter sa vie. La mort n'est plus une voisine lointaine.
"J'ai peur lorsque je vois combien ma mère est encore capable aujourd'hui de pleurer ses parents , comment cette vieille femme qui vit depuis longtemps sans eux les pleure parfois comme si la perte datait de la veille." (P.56)
Son chagrin s'épaissit chaque jour un peu plus. Passé l'épuisement de l'accompagnement, et l'état de choc dans lequel la laisse la mort de son père, l'auteure réalise en conscience que cette fin humaine est inéluctable.
"Ce ne sont pourtant pas les jours ou les moments rares et particuliers qui me manquent. Ce qui me manque , c'est la vie quotidienne avec mon père , les choses que nous partageons tous les jours , téléphoner, parler, boire du café, attendre le soir au jardin. Les nombreuses choses du quotidien qui vont disparaître et que rien ne remplacera." (P.99)
Et face au vide laissé par la personne, tourne comme une harangue l'obsessionnelle question de savoir, de comprendre où ce père peut bien être à présent...

La mort n'est plus lointaine, un concept dont on a connaissance mais qui nous frôle à peine. Non, aujourd'hui insidieusement, elle s'infiltre comme une composante quotidienne de notre vie.
"J'ai toujours pensé que les gens mouraient entre novembre et janvier, une fois que le soleil a pris congé , que les températures tombent et que l'obscurité s'installe. L'hiver, c'est la mort, pas l'été. L'été, c'est la vie. Mais ce qui est fou, c'est que les gens meurent aussi en été, ils meurent même par des journées brûlantes, claires, innocentes, impeccable. La mort est capricieuse, on doit compter avec elle à tout moment."(P.122)

Le deuil, après la maladie, finit d'ôter les repères. Il jette ceux qui restent dans un après qui ressemble à un décor vide de sens : "J'ai pris de l'âge, mon visage est celui d'une vieille femme, mes yeux se sont détournés de je ne sais quoi, ils sont devenus ternes et petits, ils se sont retirés comme s'ils voulaient disparaître. La vie continue, me disent beaucoup [...] Mais ce n'est pas vrai, non, la vie ne continue pas, seules les nombreuses nuances du deuil se déploient, la grande palette des couleurs de deuil avec leur dégradé du gris au noir et du noir au gris, et il faut parcourir toutes les nuances. Mais la vie ne continue pas du tout, non, elle ne s'immobilise pas non plus, elle se contente de faire du surplace, c'est plutôt cela. Elle devient une faible réplique d'elle-même, blême et vide, elle ne fait pas d'offres, elle ne montre rien et n'invite plus à rien, elle ne fait plus que traîner stupidement, traîner stupidement et inutilement." (P.133)

La survivance des morts parmi la communauté des vivants fait partie de nombreuses cultures et des rites religieux, quelque soit la confession. Mais à présent, il ne s'agit plus d'un rite, mais d'une véritable conviction, une façon de vivre définitivement modifiée. L'auteure aborde cette présence invisible consacrée, à travers les moments de solitude ou ceux, familiaux, où une place est réservée au mort. "Nous avons toujours beaucoup parlé de nos morts, mais à présent il s'agit de plus que cela, les morts sont toujours parmi nous. Ils sont assis à notre table, ma mère et moi leur consacrons nos après-midis, nous leur offrons nos soirées et nos nuits. La vie avec eux ne s'arrête pas au seul motif qu'il sont morts." (P.222)

Avec l'âge, avec nos pertes et nos chagrins, nos yeux voient différemment. Et nous commençons à avoir un pied ici... mais aussi un pied ailleurs... L'âge ou la douleur nous poussent irrémédiablement vers cette prise de conscience. "Nous employons toute notre vie à exclure la mort, à la tenir à distance. Chaque matin nous regardons dans le miroir sans penser en même temps à la mort, chaque soir nous nous couchons dans notre vie avec la certitude de nous réveiller le matin".(P.223)

Zsuzsa Bánk colle au réel et nous retranscrit étape après étape le long et pénible cheminement vers la perte d'un père, la maladie, le calvaire des hôpitaux, les traitements, l'espoir, puis la résignation, la souffrance, les moments arrachés à la maladie, la peur permanente et puis la séparation, le deuil... L'après, un chagrin qui sonne. le temps qui s'étire, les journées sans fin, les démarches administratives parfois kafkaïennes, le peu d'énergie restante avalée, engloutie par des formalités, le choix d'un cercueil, d'une concession au cimetière, d'un restaurant où recevoir après l'inhumation... Et l'incompréhension: où est-il à présent ?

Zsuzsa Bánk nous fait déambuler sur ce chemin de peine avec elle, dans cet été germano- hongrois qui n'en finit pas d'écraser les individus autant que le chagrin la perfore. J'aurais voulu parfois qu'elle parvienne à se décoller de ces événements, de ses sentiments "coups de baffe" pour éviter un récit quasi journalistique.

L'un des extraits de ce roman figurant sur la 4ème de couverture m'avait laissée émue, songeuse face à cette perte inéluctable que l'auteur semblait transcender avec douceur et nostalgie, une sorte de poésie, un aveu d'impuissance face à ce que l'on ne peut combattre, qu'il nous faut accepter, mais que l'on peut teinter d'une lumière satinée. Je n'ai pas retrouvé dans ma lecture cette teinte de douce amertume. Et si le récit se lit sans difficulté, je n'y ai finalement pas trouvé ce qui m'avait remué le coeur à la lecture de l'extrait présentant ce roman.
Malgré une illustration de couverture sublime et un style très fluide, ce récit restera une petite déception au final, et un thème peu évident lorsqu'on a soi-même perdu un être cher.

Je remercie sincèrement Babelio et Nicolas pour cette Masse Critique ainsi que les éditions "Rivages" pour leur confiance et l'envoi de cet ouvrage.
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Dans ce texte autobiographique, Zsuzsa Bánk évoque la mort de son père. Les différents moments de la maladie, les hôpitaux, les soucis quotidiens que tout cela cause. Mais aussi la manière dont cela affecte les relations, les liens familiaux. Tout le travail de mémoire que cela provoque : au-delà de la mort de son père, elle remonte à celle de son grand-père, par exemple. Mais aussi à l'histoire de ses parents, nés en Hongrie, partis en Allemagne après 1956, l'entrée des chars soviétiques dans leur pays. Une vie entre deux pays, la traversée des frontières, impossibles, puis compliquée, puis sans aucun problème. Une vie entre deux (voire trois, car des cousins au Canada) langues. La langue maternelle de ses parents, difficile à maîtriser, mais indispensable, certaines choses ne peuvent être traduites qu'en perdant du sens. Et les étés hongrois, dans une maison familiale, une maison pleine de souvenirs, de différentes générations. Une maison qui devra être quittée après la mort du père, tirant définitivement un trait sur une partie du passé. Plus rien ne sera comme avant.

L'auteure dit dans ce libre tout son immense amour à son père. C'est une façon de faire le deuil, grâce aux mots, à l'écriture. C'est aussi une manière de restituer une histoire, celle de ses proches, mais aussi celles de tous ces gens qui ont vécu des histoires un peu similaires, de déracinement, de rupture. Ou tout simplement de la perte d'un être cher.

C'est très sensible, très bien écrit, cela touche forcément les gens qui ont vécu cette expérience de la perte d'un proche. Il faut sans doute choisir le moment pour le lire et entrer dans l'écriture de Zsuzsa Bánk.
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J'ai toujours aimé courir le risque (très mesuré, je n'ai rien d'une aventurière…), de me lancer, grâce aux Masses Critiques Babelio, dans des lectures un peu hors cadre, hors appétits habituels, bref, hors de mes sentiers battus, mais cette fois, je l'avoue, je me suis fait rattraper par mon étourderie : « Mourir en été », de Zsuzsa Bank, paru chez Rivages, ça sonnait comme un bon polar...non ? J'avais cependant omis quelques détails : ces Rivages-là n'étaient pas noirs et, s'il y avait bien un mort, il n'y avait pas de mystère, le coupable, multi récidiviste, était fort bien connu, « cancer » était son nom. Car « Mourir en été » est ce que l'on a coutume d'appeler pudiquement un « récit de deuil ». Zsuzsa Bank nous y fait partager son cheminement lent et douloureux vers un statut que l'on souhaiterait atteindre, lorsque l'on a, comme elle, une relation douce et chaleureuse avec l'auteur de ses jours, le plus tard possible, celui d'orpheline de père.
« Ça n'a rien de particulier et ça arrive à tous. Nous venons au monde, nous mourons, nous perdons quelqu'un emporté par la mort, et un jour quelqu'un nous perd emporté par la mort. Pourquoi est-ce que j'en fait quelque chose d'exceptionnel? Comme si ça n'arrivait qu'à moi? »…Sans doute parce que, lorsqu'arrive ce moment auquel rien ne prépare jamais vraiment, on se sent tellement démuni que toute tentative de donner sens, de donner forme à cette douleur, chacun avec ses aptitudes, chacun avec ses moyens, ne peut qu'être accueillie avec soulagement. Les sportifs décrochent des médailles qu'ils dédient au parent disparu, les comédiens font de même avec leur César, les peintres peignent, les écrivains écrivent, on a les exorcismes que l'on s'est choisis. Reste l'art délicat du partage…Car il en faut du talent pour donner à cette expérience intime un caractère suffisamment universel pour que d'autres acceptent de la revivre à vos côtés, entre vos lignes, à travers vos souvenirs, pour que d'autres acceptent de se confronter à l'inexorable. Il faut avoir la douceur obstinée d'une Zsuzsa Bank, le phrasé souple et fluide de ses évocations pleines de tendresse, il faut savoir, comme elle, faire ressurgir les paysages de l'enfance, l'histoire d'un exil, la lumière sans pareil des étés aux joies disparues, il faut pouvoir, comme elle, trouver le courage de repasser par sa peine, d'en questionner la mémoire, d'en accepter les nouveaux contours, à la lueur d'une nostalgie enfin supportable, depuis une distance enfin « partageable ». Et je ne cache pas qu'il vaut mieux ne pas s'attendre à un polar avant d'attaquer sa lecture…on en sort un peu moins indemne !
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Zsuzsa Bank signe un magnifique texte sur la mort de son père. Elle décrit avec pudeur et émotion les derniers moments de son père et l'année qui a suivi le deuil. Les souvenirs remontent à la surface et rendent plus douloureux ces moments. le deuil n'est ni blanc ni noir, il est un nuancier de gris.

La mort nous fait prendre conscience que les êtres aimés s'en vont et que notre temps avec eux est limité.

La force du texte est que, malgré la grande tristesse qui s'en dégage, il est lumineux.

un grand merci à Babelio et aux éditions Rivages pour l'envoi de ce roman.
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critiques presse (1)
LeMonde
30 avril 2022
Zsuzsa Bank écrit un livre d’une simplicité radicale, dont le titre témoigne dès l’abord : Mourir en été. A rebours de Claro et de la fureur dynamique de sa langue, l’écrivaine allemande s’efforce de mettre à plat dans un style dépourvu d’éclat la réalité ordinaire de la perte et du deuil.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Incurable…..Nous devions commencer par trouver son sens ou son non-sens derrière les lettres, sa signification véritable, ce qu’il y avait en lui de rusé et d’inéluctable – qu’il signifie : incurable, qu’il signifie : sans perspective, qu’il signifie : sans avenir, qu’il signifie : sans lendemain, qu’il signifie : ça ne s’améliore pas, ça n’ira plus jamais bien. La doctoresse l’avait posé sur la table à notre intention, non, elle l’avait jeté avec énergie, sans fil d’émotion, sans même un fil ténu, à peine perceptible, de compassion, elle l’avait jeté devant nous, pour nous. Et elle nous avait ensuite consacré environ six minutes. Peut-être seulement cinq. Après deux semaines d’investigations coûteuses et d’angoisses montantes qui s’étaient transformées en certitude, elle n’avait eu pour nous que ces quelques minutes. Elle n’avait pas dit grand-chose, juste une phrase brève, quoique grammaticalement correcte, à propos de la tumeur, avec sujet, verbe et adverbe déterminant, pas plus de quatre mots : « Elle est comme ça. » Puis son téléphone avait sonné, elle avait fini sa pomme et nous avait lancé un regard qui voulait dire : qu’est-ce qu’il y a, encore ?
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Autrefois, en Hongrie, les aiguilles des horloges s’arrêtaient lorsque quelque chose de décisif s’était produit. Quand la mort emportait quelqu’un, la foudre tombait à proximité, le vent ouvrait la porte, gonflait les rideaux et refermait violemment la fenêtre, le battant de la pendule s’immobilisait d’un seul coup, son tic-tac s’arrêtait –et chacun savait que quelque chose s’était produit, que quelqu’un était blessé ou accidenté, que l’un de nous était parti. L’histoire de ma famille est pleine de ce genre d’images, toutes les histoires familiales sont peintes comme cela, une note de couleur faite de malheur et d’inéluctabilité se dépose sur cette trame et imbibe ce tissu de superstition et de goût du surnaturel. Les récits de ma grand-mère étaient remplis de ces présages et de ces annonces, de ces nouvelles de l’inquiétant. Ils nouaient des liens entre les générations, associaient les mondes visible et invisible et nous disaient : faites-y attention, reconnaissez-les et comprenez-les. Ne les repoussez pas, ne les négligez pas, ne les laissez pas résonner en vain.
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…..à sept dans cette maison minuscule dans laquelle ma mère a grandi, à sept sur le plus petit espace, ils vivaient en autarcie, parfaitement bio, sans poisons dans le jardin, sans poisons pour les animaux, sans électricité dans la maison, sans voiture, sans voyages en avion, sans portable, sans consommation, on achetait des objets pour la vie, on faisait attention à eux, on ne les remplaçait pas. Ils vivaient à sept dans cette pièce, ils partageaient les lits, les armoires et la table, mais ma mère le dit aujourd’hui encore : Personne n’était plus riche que nous.
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Comment un corps peut-il être détruit aussi vite ? m’a souvent demandé mon père au cours des derniers mois, comme s’il en restait ahuri, comme s’il ne pouvait pas croire que son corps, le sien justement, lui faisait cela, ce corps qu’il n’avait jamais maltraité, envers lequel il ne se montrait jamais négligent ou indifférent, pas d’excès, pas de drogues, peu d’alcool, mais du sport, du mouvement, de l’air frais, ce corps envers lequel il avait toujours fait preuve de bonté. Chaque fois que nous discutions, ou presque, il me posait cette question : comment mon corps peut-il se dégrader aussi vite ? Non, il n’y a pas de bonne fin. Oui, toute fin est cruelle. Ma cousine ressent la même chose avec sa mère démente.
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Après tout, nous remplissons notre vie, nous la composons, nous l’emballons à ras bord, nous nous installons dans ce monde au prix de la plus grande dépense, nous nous charpentons une vie humaine en puisant dans toutes sortes de strates et avec des accessoires considérables – puis, un jour, nous devons la céder, ça doit prendre fin, et nous sommes censés accepter ça simplement ? Si nous voyons les choses comme cela, y a-t-il rien de plus bête, de plus absurde que la mort ?
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Vidéo de Zsuzsa Bànk
Un magnifique roman sur l?enfance et le poids du passé, d?une pureté stylistique époustouflante. Une ode touchante à la vie. Dans une petite ville du Sud de l?Allemagne dans les années 1960, Seri, Aja et Karl, liés par une amitié profonde, profitent des jours clairs de l?enfance. Ils passent la plus grande partie de leur temps dans le jardin et la maison d?Évi, la mère d?Aja, situés au milieu des champs, tout près du pont aux coquelicots qui mène à la forêt et à son lac.
Pourtant, tout n?est pas aussi idyllique qu?il y paraît et les trois amis, devenus adultes, devront faire face à des secrets de famille douloureux et leur amitié sera soumise à rude épreuve entre amour, trahison et culpabilité.
Dans ce roman envoûtant, à travers l?histoire de ces trois enfants et de leurs mères qui veillent à tenir à distance les jours sombres du destin, Zsuzsa Bánk aborde avec grâce les thèmes de l?apprentissage de la vie et de la famille.
"Les jours clairs", un roman de Zsuzsa Bánk (www.piranha.fr)
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